A la suite d’une projection du film Food Evolution à l’Assemblée nationale à l’invitation de M. Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse, le 18 février 2020, un débat a eu lieu entre deux membres de la fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) et des experts des OGM et des NBT (New Breeding Techniques, techniques issues du genome editing, qui regroupent les nouvelles techniques de mutagénèses ciblées dont CRISPR-cas) chez les végétaux. Il ne s’agit pas ici de s’opposer à l’agriculture biologique. Tant qu’il y aura des gens satisfaits d’en consommer et des gens satisfaits d’en produire, cela ne pose pas de problème. Mais il n’est pas possible d’accepter des nombreuses contre-vérités flagrantes. Voici donc six a priori qui reviennent de manière permanente dans le débat. Ce qui est inquiétant est que ces contre-vérités ont été dites il y a vingt ans, et que depuis la science a accumulé ds connaissances que certains ignorent.
1) Oui les OGM sont bien « naturels »
Il est consternant de constater que le concept normatif de ‘nature’-‘naturel’ ait été employé à chacune des interventions des deux représentants de la FNAB. Ils ignorent les transferts horizontaux de gènes entre les êtres vivants et soutiennent que la transgénèse n’est pas naturelle ignorant deux publications majeures démontrant le contraire notamment chez la patate douce (Kyndt et al. 2015) et 49 autres espèces végétales dont l’igname et le bananier (Matveeva & Otten 2019), organismes transgéniques naturels. Pour faire la transgénèse in vitro au laboratoire, on utilise le transfert naturel de gènes réalisé par Agrobacterium, une bactérie du sol, qui conduit à la formation de galles du collet ou de racines chevelues, en raison de l’expression des gènes de l’ADN-T transférés. La régénération spontanée de cellules transformées peut produire des transformants naturels portant des séquences d’ADN-T cellulaire d’origine bactérienne. Le transfert de gènes horizontal joue un rôle important dans l’évolution (comme la présence de mitochondries dans nos cellules). Dans cette étude, les chercheurs ont recherché des gènes de type ADN-T dans les génomes séquencés. Ainsi, le transfert d’Agrobacterium aux dicotylédones est remarquablement répandue in natura. Le transfert de gènes réalisé in vitro par Agrobacterium conduit à classer l’organisme produit comme un OGM au sens de la Directive 2001-18/CE.
2) Non la production d’OGM n’organise pas une privatisation du vivant
L’éternelle question de la privatisation du vivant posée par les deux représentants de la FNAB est inquiétante. Dans l’Union européenne aucune variété ne peut être brevetée, seule une invention, par exemple une construction génétique est brevetable (Le Buanec & Ricroch 2016). La brevetabilité des constructions génétiques est ainsi encouragée par l’INRA, le CNRS, etc qui rapportent des redevances. Le brevet ne privatise pas la connaissance, au contraire, l’inventeur a l’obligation de décrire son invention et rend ainsi public le résultat de ses investigations mais son utilisation exige l’accord du propriétaire du brevet. Le système de protection des obtentions végétales se différencie du brevet, puisqu’il permet d’utiliser des variétés protégées pour l’expérimentation et pour la sélection afin d’en créer de nouvelles, sans qu’il soit nécessaire d’avoir l’accord du propriétaire ; cela contribue à empêcher d’éventuelles situations de monopole et surtout le ralentissement du progrès génétique, en laissant l’accès à la diversité génétique pour la création de nouvelles variétés. Les sélectionneurs, créateurs, de nouvelles variétés peuvent faire protéger celles-ci sur la base de lignes directrices mondiales (UPOV, Union internationale pour la protection des obtentions végétales). Cette protection est attestée par un titre de propriété appelé “Certificat d’Obtention Végétale” ou COV. Il interdit à quiconque la production et la commercialisation des semences de la variété sans l’accord express de son propriétaire. La loi du 8 décembre 2011 et le décret d’application du 3 août 2014 autorisent pour 34 espèces la pratique des semences ou des plants de ferme de variétés nouvelles protégées dans le cadre de la protection française : dont l’avoine, orge, riz, seigle, triticale, blé, blé dur, pomme de terre, colza, lin oléagineux, pois chiche, lupin jaune, luzerne, pois fourrager, féverole, soja, moutarde blanche, (pois protéagineux, lentille et haricot. Cette autorisation est soumise à une rémunération équitable de l’obtenteur qui a créé la nouvelle variété. Il est toujours légal, de réaliser des semences de ferme de variétés non protégées par un COV, quelle que soit l’espèce. Pour commercialiser des semences ou des plants des espèces listées aux niveaux européens et français, il faut que les variétés soient inscrites sur les catalogues officiels français ou européen des espèces et variétés. Les catalogues européens (grandes cultures, potagères, fruitières) reprennent les catalogues nationaux, et répertorient ainsi toutes les variétés autorisées à la commercialisation sur le territoire de l’Union européenne (GNIS, 2020).
3) Oui l’étude de Gilles-Eric Séralini de 2012 sur les rats a bien été rétractée
Ce qui est inquiétant aussi est que les deux représentants de la FNAB soutiennent la publication de l’équipe de Gilles-Éric Séralini (rétractée) disant qu’il manquait des rats pour rendre robustes ses analyses mais que dans le fond la publication n’est pas à remettre en question. C’est faux (http://www.fondapol.org/etude/laffaire-seralini-limpasse-dune-science-militante/). Rappelons qu’en septembre 2012, la publication alarmiste sur la consommation d’un maïs de type OGM résistant au glyphosate, par l’équipe de Gilles-Éric Séralini dans le journal scientifique Food and Chemical Toxicology, illustrée de tumeurs monstrueuses chez des rats sans montrer les photos des rats témoins (contrôles), déclencha une vague médiatique, des réactions politiques et un immense choc parmi les scientifiques. Cette publication fut discréditée par de très nombreuses agences de sécurité alimentaire puis finalement retirée du journal, et finalement réfutée par des études scientifiques financées par des subventions publiques françaises et européennes, et son mode de médiatisation (notamment, avant parution, les conditions inhabituelles imposées aux journalistes qui ne purent soumettre la publication à avis critiques) fut très critiqué.
4) Oui, la « pollution » du pollen OGM est une fiction conceptuelle
Le repésentant de la FNAB rapporte que ses agriculteurs ont peur des ‘pollutions’ du chou par le colza GM. Or, il n’y a pas de colza transgénique en France, les seuls essais de l’Inra de Rennes pour mesurer les flux de gènes vers des espèces comme le chou ont été vandalisés. Plus de 70 actes de vandalisme contre des expériences de recherche publique sur des plantes génétiquement modifiées ont été répertoriés en 2012 en Allemagne, au Royaume-Unis, en France et en Suisse (Kuntz 2012). La plupart était des essais au champ destinés à tester la biosécurité des OGM, et dans certains cas, la destruction a été accompagnée par d’autres dommages à des biens, des menaces ou des violences contre des personnes. N’ayant plus de cultures d’OGM à détruire en France, les militants anti-OGM se sont trouvés un nouvel ennemi : les «OGM cachés», ceux issus de mutagénèse aléatoire comme les variétés de tournesols présentés comme « mutés » et tolérant des herbicides.
Au sujet des flux de gènes les représentants de la FNAB n’admettent pas que cette question est déjà posée depuis les années 1950-1960 ! pour la pureté variétale en production de semences et que des solutions existent : décalage de floraison, distance géographique… Pour des semences de base de maïs, la multiplication d’une lignée est effectuée en parcelle isolée ; la distance entre cette parcelle et tout autre champ de maïs d’une autre variété doit être au minimum de 400 m ; pour une Lignée : il est toléré un maximum de 0,1 % d’impuretés, pour un Hybride, il est toléré un maximum de 0,1 % d’impuretés, respectivement dans le parent mâle et dans le parent femelle. La parcelle de production de semences certifiées doit être isolée de toute culture de maïs de variété différente, d’au moins 200 m (GNIS, 2020). Pour des semences certifiées il est toléré un maximum de 0,2 % d’impuretés, respectivement dans le parent mâle et dans le parent femelle. L’isolement de la parcelle, par rapport à toute autre culture de tournesol, doit être conforme à la distance fixée pour la catégorie de semences à produire : semences de prébase : 3000 m, semences de base : 3000 m, et semences certifiées : 500 m. Pour des semences de prébase et de base, pour une lignée il est toléré un maximum de 0,1 % d’impuretés, pour un hybride , il est toléré un maximum de 0,1 % d’impuretés dans le parent mâle à partir du début de floraison du parent femelle, et il est toléré un maximum de 0,1 % d’impuretés dans le parent femelle entre le début de floraison et la maturité. Pour les semences certifiées, Il est toléré un maximum de 0,5 % d’impuretés dans le parent mâle à l’une quelconque des visites d’inspection à partir du début de floraison du parent femelle, il est toléré un maximum de 1 % d’impuretés dans le parent femelle entre le début de floraison et la maturité, dont un maximum de 0,5 % de plantes mâles fertiles (GNIS, 2020).
Quand la question a été posée aux représentants de la FNAB de pourquoi ils avaient peur de la transgenèse pour la bannir de leur agriculture biologique qui pourtant sur le plan scientifique serait complémentaires, alors qu’on pourrait s’inquiéter d’un caractère donné qu’il soit apporté par transgenèse ou par sélection classique, les représentants de la FNAB ont répondu que c’est dans leur ‘directive’ de ne pas autoriser la transgenèse. C’est leur corps de doctrine, c’est leur idéologie qui les conduit à interdier la transgénèse et toutes les NBTs, c’est une attitude « rejectionniste ». Pourtant l‘agriculture bio cultivent des variétés d’orge ou de riz de Camargue qui sont issues des biotechnologies par exemple.
5) Non, les tests toxicologiques à long terme sur les animaux ne servent à rien
Au sujet des tests toxicologiques sur les animaux à long terme et sur plusieurs générations, ces tests ne révèlent aucun problème sanitaire lié à la consommation à long terme de nourriture dérivée d’OGM, qu’ils sont absolument inutiles et qu’ils ne sont pas exigés dans de nombreux pays (Snell et al. 2012 ; Ricroch, Boisron & Kuntz 2015). Les deux représentants de la FNAB veulent les mêmes tests, y compris ces tests sur les animaux, pour les OGM issus de techniques classiques comme la mutagénèse aléatoire, et issus des NBTs (New Breeding Techniques, techniques issues du genome editing), car ils veulent un étiquetage obligatoire même si ces tests-là sont superfétatoires et très coûteux pour lesquels seuls les grands semenciers peuvent se permettre de les financer. On peut se demander pourquoi les produits issus de l’Agriculture Biologique (AB) ne seraient pas soumis aux mêmes évaluations que les produits issus de transgénèse ou des NBTs pour assurer un étiquetage puisque certains produits issus de l’AB proviennent de techniques de mutagénèse aléatoire ou de croisement in vitro donc des biotechnologies in vitro.
6) Oui, toutes les plantes peuvent être également attaquées par un pathogène
Les deux représentants de la FNAB maintiennent que les virus des papayers à Hawaï sont dus au fait que les plantations sont exploitées sur de très grandes surfaces. En réalité, les virus se propagent aussi dans des micro-parcelles comme dans des serres maraichères par exemple. Un triste exemple récent le démontre (Oladokun et al. 2019) chez la tomate où un virus émergent, le Tomato Brown Rugose Fruit Virus (ToBRFV) pouvant causer jusqu’à 100% de pertes ,a été officiellement détecté en France en février 2020 dans une serre de Bretagne (identifié pour la 1ère fois en Israël en 2014). Selon les descriptions, l’incidence de la maladie dans les zones touchées varie de 10 à 100% de fruits atteints se traduisant par des pertes de rendement pour les professionnels. Tous les acteurs de la filière (semenciers, pépiniéristes, producteurs et aussi particuliers) et toutes les conduites culturales sont concernés par cette maladie : cultures sous-abri/plein champ, hors-sol/pleine terre, bio/raisonnée/conventionnelle. Ce virus peut également infecter d’autres espèces de la famille des Solanacées comme le piment/poivron, les pétunias ou la morelle noire. Le mode de dissémination particulièrement efficace peut être assuré par les semences, les plants et les fruits infectés susceptibles de véhiculer le virus sur de longues distances, notamment lors d’échanges commerciaux. Dans une zone de production, la propagation du virus s’effectue par un contact direct entre plantes, par les mains et tous supports inertes ou biologiques ayant été en contact avec une plante infectée : outils de travail, vêtements, insectes pollinisateurs, oiseaux, eau d’irrigation…. Aucun traitement et aucune variété résistante n’existe aujourd’hui contre le ToBRFV (Causse, com. pers).
On peut se demander si les représentants de la FNAB sont ignorants, ou aveuglés par leur idéologie, ou croyant en leurs contre-vérités avec une stratégie basée sur la peur et sur le concept normatif de nature-naturel pour faire payer les consommateurs.
Comme le montre bien le film Food Evolution, en effet, il existe bel et bien une stratégie non respectueuse des faits de l’agriculture biologique aux Etats-Unis, et que les deux représentants de la FNAB reproduisent les mêmes travers en France, validant ainsi la thèse du film !
Bibliographie
GNIS Groupement National Interprofessionnel des Semences et plants (2020). https://www.gnis.fr/reglementation-semences/
Kuntz M. (2012). Destruction of public and governmental experiments of GMO in Europe. GM Crops & Food, Vol. 3(4), 7
Kyndt Tina, Dora Quispe, Hong Zhai, Robert Jarret, Marc Ghislain, Qingchang Liu, Godelieve Gheysen, and Jan F. Kreuze. The genome of cultivated sweet potato contains Agrobacterium T-DNAs with expressed genes: An example of a naturally transgenic food crop (2015). PNAS 112 (18) 5844-5849; first published April 20, 2015 http://www.pnas.org/content/112/18/5844.full
Le Buanec B. & Ricroch A. (2014). Intellectual Property Protection of Plant Innovation. In: Ricroch A., Chopra S., Fleischer S. (Editors) Plant Biotechnology – Experience and Future Prospects. Publisher: Springer ISBN 978-3-319-06892-3
Matveeva, T.V. & Otten, L. (2019) Widespread occurrence of natural genetic transformation of plants by Agrobacterium. Plant Mol Biol 101, 415–437 (2019). https://doi.org/10.1007/s11103-019-00913-y
Oladokun J.O., Halabi M.H., Barua P. & Nath P.D. (2019) Tomato brown rugose fruit disease: current distribution, knowledge and future prospects. Plant Pathology (2019) 68, 1579-1586 Doi: 10.1111/ppa.13096
Ricroch A., A. Boisron & M. Kuntz (2015). Looking back at safety assessment of GM food/feed: an exhaustive review of 90-day animal feeding studies. International journal of biotechnology, special issue “Impacts of Agricultural Biotechnology: Long-Term Evidence » Vol. 13, No. 4, 2014. 230-256
Snell C., A. Berheim, J. B. Bergé, M. Kuntz, G. Pascal, A. Paris & A. Ricroch (2012). Assessment of the Health Impact of GE Plant Diets in Long Term and Multigenerational Animal Feeding Trials: a Literature Review. Food and Chemical Toxicology, 50, 34, March 2012, 1134-1148
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Magnifique article merci.
Je vais demander dès demain des ogm à mon épicier.
Et j espère que j aurai un livre de recettes gratuit de chez Monsanto.
On va se régaler….
En tout cas, on vous souhaite de bonnes vacances ou une bonne retraite, avec ce qu on vous a payé pour enfumer les cons- sommateurs vous pourrez au moins vous acheter un palace ou une île dans le pacifique…..
Merci.
Bel article très instructif.
Il reste un long chemin à faire avant de convaincre.
Chère Madame,
Bravo pour ce très bel article. Il faut lutter avec la science, la connaissance et la raison contre ces obscurantismes et ces diktats de ces nouveaux gardiens du mythe de la « pureté naturelle » qu’ils veulent imposer aux gogos.
Quand les gogos réaliseront que leur nourriture dépend du formidable progrès technologique fait en agriculture depuis un siècle (engrais: nourrir les plantes, protection des plantes: santé de nos aliments végétaux et par là même notre santé,…) et que les modèles « bio » ne peuvent nourrir que la moitié de la planète, il va y avoir de la casse à la sortie: prix des aliments, famines, etc…
Je suis toujours très étonné de voir le peu de réactions des journalistes qui promettaient un désastre sanitaire liè aux OGM fin des années 90 -début 2000. Ces Cassandres ont eu une vingtaine d’années pour se rendre compte que les produits agricoles sont de plus en plus sûrs, abordables et nourrissent de plus en plus de monde malgré l’introduction massive des OGM hors Europe. La quantité de pesticides dangereux a été réduite considérablement par l’arrivée des OGM (Bt sur maïs, cotton, ce qui a évité des milliers de tonnes d’insecticides au profit de la diversité naturelle des insectes; Résistance au glyphosate sur soja, maïs, … ce qui a permit d’utiliser le glyphosate environ 100 x moins toxique que tous les autres herbicides précédents).
Bref, Bravo, Madame pour ce bel article.
Les Prêtres de la Secte Bio ne seront probablement pas convertis, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, mais petit à petit, ouvrir les yeux et les neurones de nos concitoyens, n’est pas oeuvre inutile…
Jean-Paul
Excellent article pour le néophyte que je suis en manipulation du génome. la question que je pose, les plantes brevetées tomberont elles dans le domaine public?.