Voici le deuxième volet d’une trilogie intitulée Biodiversité et agriculture. Mythe et réalité. Le cas de l’Agriculture de Conservation des Sols. Son auteur Gérard Rass, ingénieur agronome et expert du sujet développe en profondeur la thématique.
Deuxième Partie
Après avoir traité dans notre première partie de l’aménagement par l’Homme de son espace de vie par l’élevage et l’agriculture, de l’enjeu des techniques agricoles sur la biodiversité des écosystèmes et de l’enjeu alimentaire de l’Humanité, nous regarderons ici l’impact des systèmes de culture, conventionnel, Bio, et en ACS (Agriculture de Conservation des Sols) sur la biodiversité.
Nous parlerons plutôt des biodiversités au pluriel, ou, mieux, des d’écosystèmes.
Ceux-ci peuvent être grossièrement classés, pour simplifier et par pédagogie pour faciliter la compréhension du raisonnement, en trois catégories.
Les écosystèmes naturels
Tout d’abord les écosystèmes naturels, ceux d’origine, avant leur transformation drastique par l’homme par l’agriculture et l’élevage, ainsi que nous l’avons vu.
Ils sont très rares en Europe, l’homme ayant imposé son empreinte à peu près partout. Seuls quelques très rares parcs nationaux et réserves intégrales mériteraient en réalité l’appellation de « réserves presque naturelles ».
Disons que ce qui pourrait les caractériser serait la présence en leur sein de populations viables sans interventions humaines de l’ensemble des espèces végétales et animales non éteintes, ayant encore existé aux temps historiques. Le signe le plus visible est la présence des grands herbivores et des prédateurs. A part quelques territoires périphériques d’Europe du Nord et de l’Est, ce qui s’en rapproche le plus pourrait être le Parc National Suisse, où depuis 1913 aucune activité humaine n’est tolérée, à part randonnée pédestre et observations sur des sentiers bien délimités.
Moins d’un pour 100 des surfaces européennes bénéficient de protections intégrales et méritent donc d’être appelées Réserves naturelles. Tout le reste a été transformé essentiellement par l’exploitation forestière, l’agriculture où l’élevage. La grande faune Bison, Cerf Elaphe, tous les prédateurs Loups, Lynx, Ours, ont quasiment disparu. Sans compter un très grand nombre d’espèces rares plus petites et moins visibles.
Même la plupart des pays en voie de développement font mieux sur le plan de la survie des espèces les plus rares et les plus en danger d’extinction, en leur allouant des espaces dédiés réellement à la protection des écosystèmes naturels nécessaires à leur survie, donc sans activité humaine, malgré la pression souvent importante des populations sur les limites.
Les écosystèmes intermédiaires
Une deuxième catégorie d’écosystèmes regroupe des espaces que l’on peut qualifier d’« intermédiaires », ayant subi les dégradations de l’activité homme, mais dont l’exploitation est plutôt extensive, avec un niveau de production agricole végétale où animale domestique plutôt faible par hectare.
L’exemple typique est celui des zones pastorales. Nous ne traitons pas en détail ce sujet ici, car les enjeux de production sont ailleurs.
Ces paysages bénéficient de la sympathie de la plupart de nos concitoyens, car ils leur paraissent ressembler à la nature ou à l’image qu’ils ont de la nature.
En réalité, ils en sont très loin par la composition de leurs écosystèmes. Celle-ci relève plus du spontané résiduel qui a réussi à survivre à l’action humaine que de la nature originelle, qui a été considérablement transformée et dont la biodiversité a été considérablement réduite, tant végétale qu’animale, en particulier en ce qui concerne prédateurs et les ongulés sauvages, disparus ou fortement limités car générateurs de conflits avec les exploitants.
On retrouve ici le rôle majeur du feu, qui y a été utilisé pendant des siècles, voire des millénaires, comme nous l’avons mentionné en introduction, avec un impact sans doute colossal, mais actuellement impossible à évaluer faute de zones témoins y ayant échappé sur notre continent. Cet impact est plus facile à évaluer dans les régions du monde d’intensification plus récente où la Nature « vierge » ou presque a existé jusqu’à une période récente.
J’ai parcouru la Forêt Equatoriale de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, et assisté aux débuts dans les années 1976, de son anéantissement presque total par une politique très agressive de déforestation massive du Gouvernement et des Sociétés de Développement financées par les grandes Agences et Banques de Développement Occidentales.
J’ai pu constater, ainsi que de nombreux chercheurs plus savants que moi, la différence fondamentale de biodiversité, entre un écosystème très peu affecté par l’homme, et sa transformation en plantations, qu’elles soient « villageoises » par des colonies de peuplement avec aussi des cultures vivrières, ou « industrielles », par des armées de manœuvres.
Le résultat, même extensif, même en cultures villageoises de subsistance, même qualifié maintenant par certains d’ « agroécologique », n’a aucune commune mesure avec la biodiversité d’origine. Les programmes « villageois » étaient des alibis « écologiques et sociaux » pour les programmes industriels, vraies sources de production intensive de coprah et huile de palme.
Dans les deux cas, il n’y a plus ni éléphant, éteint en Côte d’Ivoire sauf dans un petit périmètre près de la capitale, ni fauves ni grands singes, ni même aucun espoir de restaurer un jour, même partiellement, ces écosystèmes.
Cette déforestation des forêts tropicales et équatoriales, unanimement vilipendée par toute la « communauté internationale » quand il s’agit de créer des plantations ou des cultures intensives, fait l’objet de conventions et de signatures en grande pompe de résolutions dans les grandes conférences internationales des Nations-Unies, où la France brille par son activisme communicant.
Cette déforestation signe effectivement la disparition définitive d’écosystèmes encore naturels ou proches de l’état naturel, ainsi que de leurs occupants, y compris d’ailleurs les populations humaines indigènes.
Ce qui est complètement passé sous silence, c’est qu’une bonne partie de la déforestation et de la destruction des écosystèmes natifs est aussi le fait des populations locales ou attirées par « les terres vierges », du fait d’une démographie croissant plus vite que la disponibilité des terres et des ressources dans leurs lieux de vie.
On voit ça partout, y compris en Guyane, pourtant département Français, où la destruction d’une forêt tropicale exceptionnelle par sa biodiversité et par son étendue est en cours depuis des décennies dans l’indifférence générale et avec l’aval des pouvoirs publics, par l’exploitation du bois ou de l’or par de grandes sociétés privées ou des agences étatiques (ONF), mais également par des petits acteurs très nombreux, y compris illégaux, comme les garimpeiros brésiliens ou autres, ou légaux d’origine autochtones, pratiquant la même activité, qui se résume à exploiter les ressources naturelles en détruisant plus ou moins le milieu, comme le faisaient nos ancêtres à toutes les époques de croissance de la population.
Les « petits paysans villageois » ou les « peuples nomades ou semi-nomades » qui se sont installés et s’installent dans ces forêts ou dans d’autres milieux naturels comme la pampa, les steppes, un peu partout dans le monde et les dégradent pour finir par les détruire plus ou moins vite, bénéficient le plus souvent de la part des chercheurs, des médias et des décideurs d’une grande indulgence, et d’une image positive.
L’image « agroécologique » d’une « harmonie entre l’Homme et la Nature » se caractérise par l’idée que plus un système agricole ou pastoral est extensif, c’est à dire moins il produit par unité de surface (rendement/hectare), plus il est respectueux de son écosystème dit « naturel », plus il est « écologique ».
Hélas, en réalité ces systèmes extensifs utilisent beaucoup d’hectares pour peu de production et peu de personnes. La biodiversité d’origine naturelle ou ce qui en reste est assez faible, beaucoup d’espèces manquent, par la simplification des écosystèmes originels, et parce que prédateurs et grands herbivores posent des problèmes de compatibilité avec les productions et les espèces domestiques.
Ces systèmes « entre deux » intermédiaires entre production résolument intensive ou « sauvages », sont des équilibres très fragiles. Ils sont très dépendants pour leur maintien d’activités humaines bien spécifiques que leurs pratiquants ont tendance à cesser dès qu’ils en ont la possibilité, car peu rentables, demandant beaucoup d’effort, et supportant mal l’intensification de production animale ou végétale, l’augmentation de la densité humaine liée au mode de vie moderne et confortable.
Quand on les intensifie si c’est possible compte tenu des conditions pédoclimatiques et des conditions de marché, ils perdent leurs caractéristiques extensives et leurs spécificités pour passer dans la catégorie « intensifs ».
L’Union Européenne dépense une très large part de ses budgets pour maintenir artificiellement ce type d’activités et de milieux, qui bénéficient de la sympathie unanime des citoyens, du fait de leur image « naturelle », faute de véritable nature à portée de regard et de connaissance.
Il y a quelques cas, plutôt rares, circonscrits à des surfaces localisées, où de tels systèmes extensifs sont indispensables à la survie d’écosystèmes anthropiques historiques, contenant des espèces spécifiques rares (et donc considérées comme à protéger), inféodées à un mode d’exploitation bien particulier.
On peut citer le cas de pelouses à orchidées et des Aigles de Bonelli dans les Garrigues, qui dépendent de pelouses pâturées par les brebis. Pour maintenir ces activités et ces systèmes, la subvention lourde assortie de cahier des charges strict est la seule solution trouvée par les autorités.
La Commission Européenne considérant ces systèmes extensifs comme la meilleure agriculture possible en « harmonie avec la Nature » et « préservant la Biodiversité », souhaite implicitement y convertir toutes les terres agricoles. Au début avec des aides financères conditionnelles, puis, très vite, par l’obligation, faute de budget suffisant pour financer plus que des surfaces minuscules.
C’est l’objet le fameuse Politique Agricole Commune « Farm To Fork » « De la Ferme à la Fourchette », qui fait de la Biodiversité l’objectif principal de l’Agriculture, oubliant au passage l’objectif de production alimentaire.
Des professionnels agricoles ont aussi une tendance à se servir de l’image de cette « agriculture agroécologique » comme étendard démontrant que « l’Agriculture protège la Nature ». Sous-entendant que sans les agriculteurs il n’y aurait plus de Nature. Les forestiers font de même, proclamant souvent que sans eux il n’y aurait plus de forêt. Ou les chasseurs sans lesquels il n’y aurait plus de faune sauvage. Comme si la Nature avait besoin de l’Homme pour exister.
Les écosystèmes agricoles intensifs
Dans la troisième de nos catégories d’écosystèmes on range les espaces essentiellement dédiés aux systèmes d’agriculture et d’élevage à forte production par hectare, dits intensifs. Leurs nombreux détracteurs disent « productivistes ». Leur objectif est clairement la production de matières premières végétales et animales abondantes pour l’alimentation principalement, mais aussi un peu pour le textile, l’énergie (agrocarburants, biogaz) et des matériaux biosourcés, dans un système économique marchand et profitable pour ses acteurs.
C’est là qu’on classe l’agriculture conventionnelle, réalisant la plus grande part de la production en Europe. Ce sont aussi ceux qui ont la biodiversité spontanée la plus faible. Du fait même que les rendements par hectare élevés sont obtenus par un contrôle drastique volontaire de la plupart des espèces nuisibles aux cultures.
De nos jours, un champ de blé, sauf accident tel un désherbage raté, a peu de mauvaises herbes par rapport à autrefois, peu de champignons, maladies, moisissures, est peu attaqué par les insectes. La forte diminution des mauvaises herbes dans les champs a par conséquent réduit tout ce qui en dépendait, des insectes aux oiseaux.
C’est voulu et fort heureux pour les agriculteurs comme pour les consommateurs, car c’est ce qui permet d’atteindre l’objectif de production et d’approvisionner tout le monde dans les pays développés.
Des aménagements de bord de champ peuvent être faits, boisés ou non, mais ils ne remplacent pas l’ensemble très important des surfaces de culture, et en plus n’abritent pas les mêmes espèces.
Quand on parle de biodiversité et d’écosystèmes, chaque espèce a sa place, et une espèce n’est pas substituable par une autre.
Exemples : si vous vous intéressez à deux Rapaces assez peu fréquents : un Epervier vivra dans un bocage, un Busard cendré dans une plaine ouverte, mais pas le contraire. Les deux ne vivent pas ensemble sauf exception. Vous ne pouvez par conséquent pas compenser l’arrachage d’un réseau de haies à Eperviers par des champs de blé, même Bio. A l’inverse, si vous plantez trop de haies dans une plaine céréalière les Busards en disparaîtront.
Une autre espèce rare emblématique des plaines céréalières est l’Outarde Canepetière, oiseau steppique qui n’existait certainement pas dans la Gaule forestière, et n’a pu progresser depuis les steppes de l’Eurasie et du Bassin Méditerranéen qu’à la faveur des défrichements. Une manière très efficace de le faire disparaître est de planter des haies, car il lui faut une vue très dégagée pour nidifier.
Pour toutes ces espèces, la première mesure ayant enrayé leur extinction fut l’interdiction de leur chasse, la deuxième est le maintien ou le développement de leur habitat, même non naturel et cultivé.
Avec ces exemples on voit bien que le premier ennemi de la Biodiversité est l’ignorance, y compris avec de bonnes intentions. Bien souvent suivie de politique inadaptées fondées sur l’image et non sur la réalité de terrain.
Voyons maintenant l’impact des trois types de systèmes de culture couramment en discussion, Conventionnel, AB et ACS, sur la gestion de la biodiversité dans les 3 types d’écosystème mentionnés ci-dessus : naturels, exploités extensivement, et exploités intensivement par l’agriculture. Nous laisserons l’exploitation forestière de côté, puisque notre sujet concerne la production agricole, essentiellement alimentaire, qui est l’enjeu du moment.
Sur les espaces naturels et extensifs, le premier impact de l’intensité du mode d’exploitation est indirect. À travers l’arithmétique. Comme nous l’avons déjà montré précédemment, Conventionnel et ACS se caractérisent par des rendements/hectare élevés.
Une augmentation des surfaces en AB, au rendement bien inférieur, entraîne mécaniquement, à demande constante de production, une pression plus forte sur les terres, donc au détriment des surfaces naturelles et extensives.
On l’a très bien vu à chaque période d’augmentation des cours, suite à une augmentation de la demande alimentaire mondiale, comme en 2008, et l’an dernier par anticipation, on assiste à des défrichements de zones marginales. Comme des landes et des bois en Bretagne par exemple, ou dans les Piémonts et en moyenne montagne.
Ces zones sont malheureusement peu aptes à la culture intensive. C’est d’ailleurs pourquoi elles ont été historiquement dédaignées. Les rendements sont faibles, la rentabilité faible ou négative, mais ça n’empêche pas certains de tenter la conversion. Avec comme résultat une perte de la biodiversité qui survivait, même ordinaire, composée d’espèces communes, mais toujours plus intéressantes que celle qui reste une fois le terrain défriché. La perte est d’autant plus dommageable quand il s’agit d’écosystèmes rares mais non répertoriés ou ne faisant pas l’objet de protection spécifique.
En France on parle beaucoup de protection, mais il y a énormément de trous dans les inventaires, sans doute par manque de chercheurs naturalistes connaissant vraiment la flore et la faune, et de programmes dédiés. ( * ). D’autre pays sont beaucoup plus avancés
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( * ) Il est plus profitable pour faire carrière de parler de grands concepts et de modélisations générales sur des concepts vagues comme la biodiversité sans nommer les espèces concernées, ou de mélanger agriculture et écologie politisée que de science des écosystèmes comme le fait l’écologie scientifique et que de se plonger dans la complexité de la nature, ce qui demande beaucoup de connaissances très techniques et très pointues.
Reconnaître les espèces végétales, les insectes, les oiseaux, demande des années de pratique de terrain, et connaître leurs us et coutumes, leurs relations entre eux, ce qui les limite ou les favorise, demande plus d’expertise et est beaucoup moins rentable pour une carrière que faire tourner des modèles mathématiques en mettant dedans n’importe quelles données récoltées par des stagiaires.
Pour piéger un de ces pontes qui vous parlent doctement de biodiversité dans des grandes conférences de « haut niveau » où sont prises des décisions impactant les écosystèmes, l’agriculture, et notre vie à tous, posez-lui la question sur la différence entre une fauvette à tête noire et une fauvette babillarde, un pic épeiche et un pivert, une chouette hulotte et une chouette effraie, un milan noir et un autour des palombes, une fouine ou une martre, à la fois sur l’apparence, et sur l’habitat. Le résultat vous dira si vous avez affaire à un expert sérieux opérationnel en matière de protection, ou à un scientifique engagé bonimenteur utilisant la « biodiversité » comme argument militant.
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Dans les zones de culture intensive ou moins intensive, l’impact sur la biodiversité dans les champs sera le résultat de 3 facteurs :
- un sol plus ou moins couvert,
- un sol plus ou moins travaillé mécaniquement
- la diversité des végétaux mise en place,
qui impactent
- d’abord la richesse en humus, qui est l’aliment des micro-organismes et macro-organismes des sols, dont les vers de terres de l’espèce Lombric terrestre sont les plus emblématiques, mais aussi les microarthropodes, petits et grands insectes, etc…
- puis le gîte et le couvert pour toutes les chaînes trophiques.
Il est alors facile de comprendre que le système gagnant est de loin l’ACS.
Noter que pour toutes les espèces citées plus haut inféodées aux systèmes de cultures céréalières, l’ACS est la seule à leur procurer abri et nourriture abondante, et à produire des récoltes importantes pour l’agriculteur et les consommateurs. Il en est de même pour la plupart des espèces animales champêtres « ordinaires », oiseaux, mammifères, insectes, ou autres, dans la limite permise par l’agriculteur en ce qui concerne leur nuisibilité pour les cultures.
Conventionnel et Bio partagent le vice rédhibitoire du travail du sol, très fortement réducteur de la biodiversité du sol.
Le travail du sol affame tout ce qui vit dans le sol, des micro-organismes aux vers de terre et insectes, en supprimant pendant plusieurs semaines la végétation et les restes de végétaux qui normalement les nourriraient s’ils étaient restés en surface comme dans une prairie ou une forêt. Dans la nature il n’y a jamais de sols nus, sauf dans les déserts.
Le travail mécanique du sol injecte de force de l’air à plus ou moins grande profondeur en créant de grandes cavités. Ceci provoque l’oxydation rapide de la matière organique des sols, l’humus en raccourci, essentiellement composé de carbone C et azote N, transformé en CO2 (Gaz à effet de serre) et NO3- (molécule de nitrate, connue pour sa présence en excès dans les eaux dans les zones cultivées).
Le passage en ACS a été partout dans le monde la solution à la pollution des eaux par les nitrates.
Il est maintenant aussi la base des programmes de réduction des émissions de CO2 et de séquestration du Carbone dans les sols agricoles, comme l’Initiative Internationale 4 pour 1000 pour les Sols et le Climat, lancée en 2015 à la Conférence de Paris.
En même temps la dégradation de l’humus par oxydation provoque la diminution de son stock dans le sol, réduisant sa capacité à retenir et réguler les pluies et à les restituer aux cultures en conditions sèches.
Cela réduit aussi l’activité biologique de ces écosystèmes vivants que sont les sols, puisqu’il est la base de leurs chaînes trophiques.
Le travail mécanique détruit directement non seulement les habitants du sol, mais également leur habitat, qui a normalement une structure stable, permettant aux porosités de persister en laissant circuler l’air et l’eau, éléments dont ont besoin la plupart des organismes vivants à la surface terrestre. Dans une prairie ou un sol en ACS stabilisé depuis quelques années, les pieds ne s’enfoncent pas, et même des engins assez lourds ne marquent pas, et on peut rouler en voiture, alors que les sols travaillés sont très sujets aux ornières et qu’il est hors de question d’y circuler dès qu’il pleut.
Un grand expert mondial des sols, retraité de l’Université du Minnesota, Donald Reicosky, dit que le travail mécanique a le même effet sur la faune du sol et son habitat que sur la maison d’une famille humaine un tsunami, un tremblement de terre, et un incendie simultanés.
L’indicateur le plus parlant et le plus facile à observer est la quantité de Lombrics dans les champs.
Un sol non travaillé en ACS a toujours plus de Lombrics qu’un sol travaillé, qu’il soit en Bio on non.On trouve facilement une augmentation d’un facteur 5 ou 10, ou même au-delà.
Un autre indicateur popularisé par l’APAD au Salon International de l’Agriculture de Paris est le « test des slips » : on enterre dans les champs des slips en coton pur non teints, non traités, et on revient les déterrer des semaines ou des mois plus tard. Le degré de dégradation (pourrissement) indique le niveau d’activité des microorganismes qui ont « mangé » le textile. Ca marche aussi avec d’autre textiles biodégradables comme des sachets de thé. Le résultat en faveur de l’ACS est très généralement probant.
L’agriculture biologique a un réel problème avec le travail mécanique répété du sol. Plus intensif encore qu’en conventionnel, car seul moyen de désherber en l’absence d’herbicide.
Il y a de plus en plus de programmes de recherche destinés à faire de l’AB des systèmes plus vertueux en réduisant le travail du sol. Mais parvenir en AB à supprimer le travail du sol comme en ACS tout en conservant un niveau de rendement acceptable (bien que toujours très inférieur à l’ACS ou au conventionnel), et sans être débordé par les mauvaises herbes après quelques années, semble impossible. Personne ne peut dire que ça ne sera jamais possible, par exemple en misant sur des robots reconnaissant les herbes, ou des technologies encore inconnues. Ce qui est sûr c’est que les nombreuses tentatives faites depuis plus de cinquante ans dans le monde entier, et intensifiées sous la pression politique, avec des programmes subventionnés à coup de centaines de millions d’argent public et privé, ont toutes abouti à des échecs.
En résumé, la synthèse de l’AB et de l’ACS, rêve idéalisé par le concept récent et très bruyant de l’ « Agriculture Régénérative », est un concept très séduisant pour une belle histoire de communication, mais n’a aucune réalité pratique sur le terrain, comme tout oxymore.
L’Agriculture Régénérative, qu’est-ce que c’est en réalité ?
La synthèse conceptuelle théorique de l’AB et de l’ACS est la maintenant très bruyante Agriculture Régénérative Bio = « Organic Regenerative Agriculture », portée par l’IFOAM, Regeneration International, Kiss the Ground, SaveSoil, Conscious Planet, Pour une Agriculture du Vivant, et un nombre impressionnant et croissant d’ONG et institutions qui ont toutes comme point commun de beaucoup communiquer leur « story telling » ( les communicants perlent de « narration » ) au grand public, médias, politiciens, institutions, et de se faire rémunérer pour leur influence médiatique, idéologique et politique, aussi bien par des institutions gouvernementales, de grands groupes privés agroalimentaires, des milliardaires ou des financiers « verts », sans toutefois apporter la :moindre solution technique pratique aux agriculteurs.
En résumé, l’Agriculture Régénérative, tout comme l’Agroécologie en son temps, c’est de la Bio, parée des attributs de l’ACS.
Que ce soit Rudolf Steiner, Miguel Altieri ou Sadhguru, le fond est le même, politique, idéologique, quasi religieux. Et un déni de réalité flagrant pour qui connaît le terrain, la technique, et la Nature.
La déification du Sol et de la Planète comme entités divines a certes un effet de communication « inspirant » pour faire monter le sujet dans l’agenda médiatique et politique.
Mais la surenchère communicante n’a aucun effet positif sur le savoir faire des agriculteurs sur le terrain. Nulle part dans le monde. Et en particulier dans les pays les plus pauvres, ou les petits paysans comme leurs concitoyens ont plus que tout autres un besoin existentiel d’augmenter drastiquement la production.
Pire, il se traduit pour les agriculteurs en ACS ou tentés par celle-ci, très nombreux, par l’injonction politique et médiatique de passer en Bio. Donc d’arrêter l’ACS hautement productive qui a fait leurs résultats techniques, économiques et environnementaux.
Comme en agriculture, ce qui compte, c’est ce qu’on fait, pas ce qu’on dit , autant dire que pour les agriculteurs, pour qui l’important est « comment on fait » et non « à quoi je rêve », l’apport de ces narrations est plus nocif qu’une aide positive.
La réalité est que les nombreuses tentatives de faire en cultures de plein champ de l’ACS en Bio ( ou à l’inverse de la Bio en ACS, ce qui sur le plan technique revient au même ) cumulent les impasses techniques et les incohérences, donnant un résultat, notamment sur le rendement, qui est même inférieur à la Bio traditionnelle. Les mauvaises herbes deviennent rapidement un cauchemar obligeant à labourer pour sauver les cultures, au détriment de sols, de la biodiversité, de l’eau, du climat…
Le Bio avec charrue peut produire. C’était le mode de production de nos ancêtres. Sans charrue ni travail du sol, la production devient très aléatoire, menacée par les couverts non contrôlés et les mauvaises herbes.
L’INRA a fait à Grignon et Versailles des essais d’ACS sans herbicide. Les cultures de Blé furent envahies par les couverts non détruits et les mauvaises herbes. Le Maïs ne passa les premiers stades que pour un tiers des pieds tant le couvert non détruit lui faisait concurrence. C’était parfaitement prévisible par n’importe quel agriculteur ou agronome.
Tout ça n’empêche pas les plus naïfs et les plus fragiles psychologiquement des agriculteurs Occidentaux de se faire emmener dans un rêve qui le plus souvent finit très mal, dans le doute, le manque de résultats technico-économiques, la déprime, voire le suicide. Il y en a pas mal, et de plus en plus, dans les réseaux de l’ACS, en France, mais aussi, phénomène nouveau, aux USA.
C’est aussi dangereux que le phénomène sectaire qu’est en réalité toute « pensée magique », proche de la Biodynamie, de l’Anthroposophie, New Age, etc…
La Nature ne pardonne pas aux fragiles qui s’écartent de la réalité matérielle.
Mais pour les conteurs d’histoires prêcheurs de l’Apocalypse en même temps que marchands de rêves, ça n’a aucune importance. Leur objectif n’est ni la Nature ni l’Agriculture ni le Développement humain, mais de renverser le système social et politique de la société moderne, et prendre le pouvoir au nom d’un Bien théorique et divinisé. Jamais dans l’histoire de l’humanité on n’a assisté à une telle influence de l’obscurantisme au service d’une prise de pouvoir psychologique sur les foules, sciemment promu à l’échelle planétaire avec une telle efficacité, permise par un réel savoir-faire des technologies numériques, médiatiques, par des professionnels de l’influence sociologique. C’est brillant, mais hélas mortel.
Ce qui devrait nous avertir est le cas dramatique de la conversion du Sri Lanka par l’influence de quelques personnes des organisations citées ci-dessus, sur un président dictateur « converti » du jour au lendemain à l’Agriculture Bio ( dite Régénérative ), obligeant tous les agriculteurs à se passer d’engrais et de chimie, réduisant en quelques mois la production vivrière et l’exportation de thé (source de devise) à presque rien.
Même si nos médias européens en parlent très peu, voire nient cette histoire, elle est très bien documentée par de nombreux reportages de médias étrangers, des témoignages directs d’agriculteurs de cette partie du monde avec lesquels nous avons pu échanger personnellement dans nos réseaux d’agriculteurs (eux aussi utilisent Whatsapp et l’email !) pour se parler directement.
Ce n’est pas une légende, et d’ailleurs de cette conversion se vantent personnellement sur Twitter André Leu, Hans Herren, Ronnie Cummins, Vandana Shiva, toujours très fiers d’eux malgré le désastre humain qu’ils ont provoqué. Ce qui prouve bien que leur objectif n’est en rien le développement humain qu’ils promeuvent au nom du retour au bonheur naturel. Il va sans dire qu’ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes la sobriété et le mode de vie frugal qu’ils préconisent aux populations concernées.
Lire les deux autres parties
Lettre au sujet des positions anti-scientifiques et contraires à l’éthique du Dr Vandana Shiva
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