Le prix Nobel de Chimie a été attribué en cette année 2020 à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna pour la découverte d’un nouvel outil d’édition du génome, la technique CRISPR-Cas, une révolution technologique plus connue sous le nom « les ciseaux génétiques ».
Cette invention est récente. Elle a été publiée par le journal Science en 2012 et tout de suite les laboratoires s’en sont emparés. Elle a déjà reçu de nombreuses applications en médecine humaine pour des traitements de maladies génétiques incurables comme la leucémie lymphoblastique. Elle apporte aussi des solutions génétiques à des maladies animales comme la peste porcine africaine ou une amélioration du bien-être animal à travers l’amélioration de la thermorégulation porcine ou l’obtention de races bovines sans corne. Elle peut être également utilisée dans l’amélioration variétale végétale pour la mise au point de plantes biotech qui fournissent des apports nutritionnels recherchés ou présentent des aptitudes pour mieux résister aux bioagresseurs des cultures ou à la sécheresse, élargissant ainsi la palette des solutions afin de répondre au changement climatique.
Mais alors que cette invention récente est déjà mise en oeuvre dans des pays de tous les continents (Etats-Unis, Canada, Argentine, Japon, Chine, Australie etc.), l’Union européenne accumule du retard pour des raisons réglementaires. En effet, de nombreux pays ont décidé que pour des modifications mineures du génome il n’y a pas lieu d’appliquer la réglementation OGM, ce qui baisse les coûts d’homologation des nouveaux produits d’édition du génome et favorise l’innovation. A l’inverse, l’Union européenne, par l’arrêt de sa Cour de Justice (CJUE) du 25 juillet 2018, a décidé que les nouvelles techniques d’édition du génome produisent des OGM. Or seuls les grands conglomérats internationaux ont une assise financière suffisante pour assumer les exigences réglementaires qui leur sont appliquées.
A cela s’ajoute la situation de la recherche européenne en matière d’édition génomique. Ainsi une étude de la Fondation pour l’innovation politique (1) souligne que plus de 80% des brevets déposés sur les applications de la technique CRISPR-Cas sont américains ou chinois et moins de 10% européens. Cette situation est inquiétante pour l’avenir et l’indépendance agro-alimentaire ou sanitaire de l’Union comme l’a souligné une étude récente publiée par l’Institut Sapiens (2).
Aux voix des conseillers scientifiques de la Commission européenne, le Scientific Advice Mechanism, de l’initiative citoyenne européenne Grow scientific progress, mais aussi du collectif de membres du parti politique Verts allemands, dont ce journal s’est déjà fait l’écho, demandant une révision de la réglementation européenne, se joignent désormais celles des Académies d’agricultures européennes rassemblées dans leur association, l’Union européenne des Académies d’agriculture (UEAA) qui se sont prononcés dans ce sens dans un communiqué en date du 5 novembre 2020 (https://ueaa.info/).
(1) OGM et produits d’édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques. Catherine Regnault–Roger. 27 janvier 2020. Fondation pour L’innovation politique, 56 pages
(2) Les biotechnologies agricoles, une clé pour l’indépendance agro-alimentaire, Catherine Regnault-Roger, 1er septembre 2020, https://www.institutsapiens.fr/les-biotechnologies-agricoles-une-cle-pour-lindependance-agro-alimentaire/
Image par LJNovaScotia de Pixabay
This post is also available in: EN (EN)