Un an après la diffusion en salle du film Food Evolution, European Scientist a pu interviewer Eddy Agnassia, responsable de 2iFilms (1), la maison de distribution qui nous présente ici un bilan amer et surtout rend compte d’une forte opposition idéologique du milieu cinématographique pour empêcher la diffusion d’un film qui raconte l’histoire des OGM. Une interview qui tombe à pic au moment où Ricky Gervais a tancé Hollywood lors de la remise des Golden Globe en rappelant aux acteurs qu’ils n’étaient pas en position pour faire la leçon à quiconque, ne connaissant rien du vrai monde.
The European Scientist : 2iFilms était le seul distributeur à vouloir diffuser le film Food Evolution en France pourquoi ?
Eddy Agnassia : Je pense que le traitement des OGM et des pesticides abordés dans FOOD EVOLUTION a fait peur à la plupart des distributeurs européens et français. C’est une approche très différente des autres films programmés au cinéma qui dénoncent habituellement les dangers des OGM. Personne ne voulait endosser la promotion d’un film ouvertement pro-science, qui risquait fort d’être catalogué comme étant un film pro-OGM. Avec FOOD EVOLUTION, on voulait proposer autre chose au spectateur qu’un énième film qui relate le combat de gentils écolos-citoyens face aux méchantes sociétés multinationales agro-empoisonneuses, telle que Monsanto. Choisir et distribuer un film au cinéma, c’est toujours un risque commercial. Disons que le refus des OGM est majoritaire dans l’opinion, et ne pas sortir ce film est confortable et sans risque de déplaire.
TES : Au début du film vous étiez confiant, même si vous aviez conscience du fait qu’il s’agissait d’un vrai challenge.
EA : Sincèrement, j’étais confiant car FOOD EVOLUTION est un documentaire de très grande qualité cinématographique, tant sur le fond que sur la forme. Ce film a été réalisé par Scott Hamilton Kennedy, réalisateur américain nommé aux Oscars et il a été porté par le charisme du narrateur, Neil deGrasse Tyson, qui est le scientifique le plus populaire aux États-Unis ; notoriété renforcée avec sa présence en tant qu’animateur de la série télé scientifique « COSMOS ». En proposant FOOD EVOLUTION au spectateur, je voulais garantir le pluralisme des idées et des opinions sur les enjeux et les défis alimentaires. En tant que distributeur, c’est mon rôle de proposer des films originaux. En ce sens, FOOD EVOLUTION est un film unique et iconoclaste dans sa catégorie.
TES : Le film a reçu un certain succès aux USA, malgré l’existence de controverses sur le sujet
EA : J’étais au courant que sa sortie aux États-Unis avait été sujette à quelques controverses, notamment auprès de militants écolos et des promoteurs de l’agriculture BIO, mais les critiques de cinéma étaient très positives ainsi que l’accueil bienveillant de la part des médias spécialisés, notamment scientifique et agricole.
Aux États-Unis, FOOD EVOLUTION est considéré comme l’un des meilleurs films sur l’agriculture et l’alimentation. Je crois que les communautés américaines scientifiques et agricoles ont fait bloc pour soutenir ce film. Ils ont vite compris que FOOD EVOLUTION est le seul film à défendre la science. J’apprécie la citation du New York Times faite sur le film : « Avec FOOD EVOLUTION, la science contre-attaque » (2).
TES : Vous vous êtes vu refuser le label « Art et essai » … quels autres blocages avez-vous ressenti pendant la diffusion ?
EA : Croyant naïvement que le cinéma, dernier bastion de la liberté d’expression, pouvait accepter facilement un film comme FOOD EVOLUTION, j’avais sous-estimé l’opposition idéologique et culturelle contre les OGM auprès des professionnels du cinéma. Je peux affirmer clairement que le cinéma français n’a pas été garant du pluralisme et de la diversité de l’offre cinématographique aux spectateurs sur les thématiques de l’agriculture et de l’alimentation. FOOD EVOLUTION n’a obtenu aucun label cinéma, et a été injustement déprogrammé, censuré, non-sélectionné, non-recommandé et évincé de plusieurs festivals.
TES : Vous supposez que Juliette Binoche est intervenue en personne pour déprogrammer le film du festival le Temps presse ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
EA : Il m’est impossible d’affirmer avec certitude l’implication de Juliette Binoche (Présidente du Jury du festival le Temps presse) dans la déprogrammation immédiate et non justifiée de FOOD EVOLUTION au sein de ce même festival, mais les récentes prises de position de Juliette Binoche sur l’agroécologie et l’interdiction du glyphosate ne plaident pas en faveur d’un film comme FOOD EVOLUTION vis-à-vis de son engagement militant.
TES : Vous vous êtes rendu compte du rôle fondamental que jouaient les associations pour influencer la programmation
EA : La sortie de FOOD EVOLUTION au cinéma a révélé, une situation inquiétante qui était méconnue, à savoir la mainmise totale des associations militantes dans la programmation de films documentaires sur l’agriculture, l’alimentation et la science dans les salles de cinéma. C’est simple, la plupart des documentaires doivent maintenant recevoir l’approbation et le soutien de ces associations militantes, sous peine de ne pas exister médiatiquement et commercialement. On comprend aisément l’explication de l’unique diffusion au cinéma de films anti-OGM, anti-pesticides, anti-science, anti-agroalimentaire mais faisant la promotion perpétuelle du bio, de la permaculture et de l’agroécologie dans son ensemble. N’hésitez pas à regarder sur le net la liste des films diffusés depuis plus de 10 ans au cinéma, vous allez être étonnés.
TES : Pensez-vous que cette situation soit défavorable à la vulgarisation scientifique ?
EA : Oui, le cinéma est maintenant l’ennemi de la science. Je ne parle pas de films de fiction mais de films documentaires dans les salles de cinéma. Il ne s’agit pas uniquement de la diffusion du film FOOD EVOLUTION, mais de futurs films et documentaires qui ne verront jamais le jour avec cette mainmise des associations militantes sur la programmation. Seuls les films qui défendent leurs causes ont droit de cité. C’est un monopole de la pensée qui est ainsi imposé au public. Un film est beaucoup plus efficace qu’un sit-in ou une manifestation. Face à l’émotion provoquée par le cinéma, les faits scientifiques ne font pas le poids !
TES : Avez-vous eu des échos sur la diffusion du film dans d’autres pays européens ? Est-ce que la France reste une exception ?
EA : A ce jour, FOOD EVOLUTION n’a pas eu de distribution dite cinéma en Europe. La France fait exception en Europe en dehors des États-Unis.
TES : Qui a financé le film ?
EA : FOOD EVOLUTION a été financé par l’Institute of Food Technologists (IFT), une organisation scientifique internationale composée de professionnels du secteur des sciences de l’alimentation et des technologies alimentaires. Cette organisation compte plus de 17 000 membres provenant de plus de 95 pays. Le réalisateur a eu le contrôle créatif complet et le final cut du film.
TES : Après sa sortie au cinéma, où peux-ton regarder le film ?
EA : FOOD EVOLUTION est disponible en VOD sur la plateforme de streaming vidéo VIMEO, ci-dessous le lien : https://vimeo.com/ondemand/foodevolution
(1) https://www.2ifilms.com
(2) https://www.nytimes.com/2017/06/22/movies/food-evolution-review.html