Auparavant, nous avons publié un article sur l’Union Européenne des Académies d’Agriculture appelant à une révision de la réglementation européenne sur les organismes génétiquement modifiés. Michel Thibier, ancien président de l’UEAA (Union Européenne des Académies d’Agriculture), membre de l’Académie d’Agriculture de France, de l’Académie Vétérinaire de France et de plusieurs Académies étrangères répond à nos questions.
EuropeanScientist : Vous avez été président de l’UEAA, pouvez-vous nous présenter cette
organisation ? Quel est son rôle ? Qu’avez-vous accompli pendant votre mandat ?
Michel Thibier : Merci, j’ai été membre du Conseil d’administration de l’UEAA depuis 2014 et Président de cette Organisation Européenne de 2016 à 2018. Celle-ci rassemble les Académies d’Agriculture ou structures correspondantes (pour les pays qui n’ont pas une telle Académie, comme en Espagne par exemple) des pays Européens qu’ils soient de l’Union Européenne ou en dehors et c’est une vraie valeur ajoutée que cet ensemble dans et hors de l’U E. L‘UEAA a été créée en 2000 à l’initiative de la France et de l’Italie avec lors de sa première réunion, 14 Académies membres. Il y a actuellement 29 Académies membres dont 7 provenant de pays hors U E. Toutes ses institutions sont dédiées à une approche scientifique des sujets portant sur l’Agriculture, l’Alimentation et la Nature (= environnement) selon sa charte constituante et ainsi que l’indique son titre en Anglais : « The Union of European Academies for Sciences applied to Agriculture, Food and Nature ». Son objectif est de « favoriser des études comparatives à l’échelle européenne concernant le développement et la diffusion des connaissances portant sur la recherche et l’innovation sur le développement durable de l’agriculture, de l’utilisation des terres et de l’approvisionnement alimentaire ».
La création de cette structure répondait selon les initiateurs et répond encore, à un réel besoin au niveau européen sensu largo d’échanger sur les divers problématiques concernant le développement de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement pour lequel il ne saurait y avoir de réponse qui ne repose sur des bases scientifiques avérées. L’UEAA propose ainsi de mettre en place une plateforme de scientifiques et de parties prenantes contribuant aux processus d’élaboration des politiques publiques.
Pendant ma Présidence, les deux événements principaux sont d’une part un Symposium international passionnant qui s’est tenu à Paris en Septembre 2016 et dont le titre était : « Science in agriculture : historical perspectives and prospective insights » et d’autre part une discussion en compagnie du Commissaire Européen en charge de l’Agriculture, Phil Hogan, à Bruxelles en Septembre 2017 sur un sujet d’actualité s’il en est, à savoir celui de la P A C. Cette réunion avec le Commissaire s’était tenue après que l’UEAA ait pu rédiger une déclaration approuvée par le Conseil d’administration et qu’elle lui a remise.
Bruxelles, 27 9 17 – Le Commissaire Phil Hogan et le Conseil d’administration ainsi que des expoerts de l’UEAA sur la P A C.
E.S. : Récemment l’UEAA s’est engagée pour une modification de la législation européenne concernant les Biotechnologies d’édition du génome. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M.T. : Oui, l’UEAA a pris une position très claire sur les nouvelles technologies d’édition génique, voir l’Avis publié sur le site de l’UEAA (1). Tous les membres du Conseil d’administration (CA) qui traitent de ce sujet au sein de leurs propres Académies sont tombés d’accord sur l’intense nécessité de faire évoluer la législation européenne des OGM, législation qui date de presque 20 ans, 20 ans…, une période considérable en regard des progrès scientifiques accomplis durant une telle période. En réalité, le consensus au sein de l’UEAA fut facile à obtenir car les Académies nationales membres de l’UEAA ont pour la plupart déjà publié de tels Avis telles que les Académie Roumaine ou Lithuanienne par exemple ou encore les Académies de France (voir infra). Naturellement, le regroupement de toutes ces institutions au sein d’une structure unique comme l’UEAA donne plus de poids à cette position qui repose sur des bases scientifiques avérées ainsi en accord avec les objectifs de l’UEAA. Il faut noter d’ailleurs que cet Avis de Novembre 2020 a été précédé de la part de l’UEAA par un autre Avis publié en 2018 à l’occasion de son Assemblée générale tenue à Florence (Italie) et qui concernait la partie végétale : UEAA acts to safeguard plant genome editing which is essential to develop sustainable agriculture” (2).
Quel contraste entre cette position de « on ne change rien » de la part de la Commission de l’UE et les extraordinaires progrès sur ces nouvelles technologies du génome tel que le Prix Nobel de chimie 2020 l’a illustré récemment. L’édition génique a constitué une percée scientifique formidable en ce qu’elle est très précise, bon marché, puissante et peut être utilisée au grand bénéfice de l’agriculture et de la société civile entière.
E.S. Courant Mai, la commission européenne a lancé le plan F2F. Ce plan semble miser essentiellement sur l’agro-écologie. Pensez-vous que cela soit une bonne stratégie ? Quel est le point de vue de l’UEAA à ce sujet ?
M.T. : L’UEAA en tant que telle n’a pas discuté de ce sujet, donc ma réponse sera strictement personnelle. Ma réponse est évidemment oui, cela fait sens. Il est dit que « ce plan de la ferme à l a fourchette est au cœur du pacte vert européen dans le but de rendre nos systèmes alimentaires plus durables et que « L’alimentation européenne doit rester sûre, nutritive et de qualité élevée. Elle doit être produite de la manière la plus respectueuse possible de la nature ».
Je ne pense pas que quiconque puisse être contre. Ceci dit, il est clair que les problèmes commencent aussitôt ; quels seront les moyens mis au profit de cette stratégie ? etc… Je pense personnellement que les nouvelles technologies d’édition génique (NBT = New Breeding Technologies) ont toute leur place dans cette stratégie. Naturellement comme je l’ai dit récemment à un congrès en Bulgarie : « Concernant la durabilité pour la société, l’édition du génome promet de répondre aux défis actuels de la production alimentaire et dont la demande mondiale est en forte croissance, tout en préservant l’environnement ».
A ce sujet, ces problèmes d’utilisation des techniques d’édition génique comme outil pour la réalisation de tels plans ont été débattus par les deux Académies Françaises pertinentes, à savoir l’Académie Vétérinaire de France (3) et par l’Académie d’Agriculture de France (4) qui ont chacune publié un Avis adopté par leurs membres. L’Avis de la première (Juin 2019) s’est essentiellement consacré au problème de la recherche et comme première étape recommande un investissement massif dans la recherche européenne et française pour tenter de combler le retard avant que ce ne soit trop tard, en particulier en comparant les résultats déjà acquis tant pour les végétaux que pour les animaux en Amérique du Nord ou du Sud ou en Chine… Ceci est d’autant plus navrant que selon moi, ces techniques pour les animaux d’élevage par exemple, peuvent constituer les moyens prophylactiques des maladies animales du 21° siècle. Plusieurs exemples chez le porc d’ores et déjà obtenus en Chine ou aux Etats Unis en sont l’illustration.
L’Académie d’Agriculture de France a élargi son champ de réflexion pour l’Avis qu’elle a publié en Mars 2020 et dont le titre est : « Réécriture du génome, éthique et confiance ». Cet Avis propose plusieurs recommandations dont la nécessaire évolution de la réglementation européenne des OGM et des futurs Organismes Génomiquement Edités (OGE) qui doit reposer en particulier sur les trois principaux axes suivants : (I) – Agir de façon responsable, (II) – Respecter le principe de précaution et (III) – Associer largement le public. Informer. Agir de façon transparente.
(1) https://ueaa.info
(2) https://ueaa.info/2018/11/23/ueaa-acts-to-safeguard-plant-genome-editing-which-is-essential-to-develop-sustainable-agriculture/
(3) https://academie-veterinaire-defrance.org/prises-de-position/genome-des-animaux-domestiques-modifications-ciblees
(4) https://www.academie-agriculture.fr/publications/publications-academie/avis/avis-reecriture-du-genome-ethique-et-confiance
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