Une nouvelle étape de la procédure de révision de la réglementation européenne pour les nouvelles techniques génomiques (NGT : new genomic techniques) a été franchie le 7 février dernier par un vote au Parlement européen réuni à Strasbourg. Où en sommes-nous de ce feuilleton à rebondissement qui dure maintenant depuis cinq longues années ?
…. l’idéologie au poste de commande
Je vous propose de faire le point d’étape… bien que rien ne presse puisque les derniers arbitrages n’interviendront qu’après les élections européennes qui se dérouleront le 9 juin prochain et dépendrons de la couleur politique du nouveau parlement.
Aussi parait-il important, outre le texte voté qui indique les grandes orientations finales retenues pour la réglementation après les amendements retenus par les eurodéputés, d’examiner les votes des différents partis politiques européens.
Je me suis largement fait l’écho de ce sujet de l’assouplissement réglementaire pour les NGT dans plusieurs articles traitant des nombreuses prises de position et des démarches d’organismes et d’institutions ou de citoyens (1) en faveur d’une révision de la réglementation européenne sur les nouvelles techniques génomiques et les débats intervenus à ce propos . La procédure engagée dès 2019 par le Conseil de l’Europe a été suivie de près dans ces colonnes avec l’analyse des propositions de la Commission européenne et le vote de la commission ENVI (environnement), l’étape préalable à la soumission de cette proposition au Parlement.
Nous vous renvoyons à ces articles et nous ne commenterons ici que les faits nouveaux.
Des amendements pour limiter le bénéfice de l’allégement réglementaire pour les NGT-1
Déjà bridée – puisque seule une petite partie des plantes génétiquement transformées par édition génomique, les « NGT-1 » serait exemptée de la réglementation appliquée aux OGM dans l’Union – la proposition de la Commission européenne a été amendée par les eurodéputés pour en renforcer les dispositions contraignantes.
Rappelons que la nouvelle législation proposée distingue deux catégories de plantes NGT : les plantes NGT-1 qui sont « indiscernables » de celles obtenues par sélection conventionnelle (NGT 1) et qui seraient exemptées des exigences de la législation sur les OGM, et les plantes NGT-2 (les autres) qui seraient soumises à la réglementation de « type » OGM (directive 2001/18) « proportionnée au caractère modifié et à l’évaluation des risques de sécurité sanitaire et environnementale ». De la manière dont est effectuée cette évaluation actuellement avec de lourds dossiers de demande d’homologation des OGM qui mobilisent les nombreux experts des commissions des Etats-membres et de l’EFSA ( European Food Safety Agency) et coûtent très chers aux industriels pétitionnaires, cette deuxième catégorie, les plantes NGT-2, est déjà de fait abandonnée aux foudres d’une réglementation qui apparaît aujourd’hui démesurée par rapport aux progrès des connaissances scientifiques acquises au cours des vingt dernières années, comme j’ai pu le souligner dans mes deux derniers ouvrages (2,3).
En fait, c’est la première catégorie « NGT-1 » qui a focalisé les amendements des eurodéputés opposés à l’assouplissement réglementaire.
- Etiquetage et essais au champ : toujours plus d’administratif
Ainsi il était prévu que les plantes NGT-1, toujours soumises à la traçabilité avec une inscription dans un registre public, bénéficieraient d’une procédure d’étiquetage allégée avec une mention sur les seules semences livrées à l’agriculteur, mais pas sur le produit final issu de la récolte (on rappellera que les NGT-1 possèdent les mêmes caractéristiques « indistinguables » que les plantes issues d’une sélection classique).
Les eurodéputés ont cependant voté que les plantes NGT-1 devront être étiquetées jusqu’au produit final (amendement 243). Ainsi les consommateurs auront le choix entre des produits totalement identiques mais labellisés différemment ! Que de confusion en perspective ! Et comment les convaincre dans ces conditions qu’il s’agit bien du même produit ?
Les eurodéputés ont aussi complexifié la procédure d’autorisation des NGT-1 en demandant, à côté des essais en milieu confiné, la réalisation d’essais en champ pour les « végétaux NGT capables de persister, de se reproduire ou de se propager dans l’environnement, à l’intérieur ou à l’extérieur des champs » qui « devraient faire l’objet d’une évaluation approfondie au regard de leur incidence sur la nature et l’environnement » (amendement 8). Il est précisé en outre dans les annexes que les modifications génomiques (traits en anglais) liées au rendement, notamment la stabilité et la limitation d’intrants, devront être assorties de traits relatifs à la tolérance/résistance aux agressions biotiques, à la tolérance/résistance aux agressions abiotiques ou à une utilisation plus efficace des ressources naturelles telles que l’eau et les nutriments (amendement 82). De même, les plantes NGT-1 tolérantes à un herbicide (afin de faciliter le désherbage des parcelles et de lutter contre des mauvaises herbes délétères comme l’ambroisie et le datura) sont exclues de l’allégement réglementaire car elles « ne devraient pas faire partie des végétaux NGT de catégorie 1 » (amendement 18).
- Interdictions : brevets et agriculture biologique
Alors que la Commission ne s’était pas encore prononcée sur le sujet, la brevetabilité des innovations NGT a été rejetée par les eurodéputés de manière à « préserver la liberté d’exploitation ainsi que l’exemption des obtenteurs pour les variétés » (amendement 23) ce qui est déjà pratiquée dans l’UE avec le COV (certificat d’obtention végétal), mais aussi au motif plus politique que « les nouvelles techniques génomiques et leurs résultats risquent de renforcer la domination des multinationales semencières sur l’accès des agriculteurs aux semences. Dans un contexte où les grandes entreprises détiennent déjà le monopole des semences et contrôlent de plus en plus les ressources naturelles, une telle situation priverait les agriculteurs de toute liberté d’action en les rendant dépendants des entreprises privées. Pour cette raison, il est impératif d’interdire les brevets sur ces produits » (amendement 167).
En revanche, suivant en cela la position de l’exécutif européen, les députés ont voté pour que toutes les plantes NGT soient exclues de la production de l’agriculture biologique, les plantes NGT-2 définitivement et les plantes NGT-1 jusqu’à un examen de compatibilité entre « l’utilisation de nouvelles techniques génomiques avec les principes de production biologique ». Dans l’intervalle, « l’utilisation de végétaux NGT de catégorie 1 devrait donc être interdite dans la production biologique, jusqu’à la réalisation de cet examen » (amendement 15). Cette décision va à l’encontre de la position de Mme Jessica Polfjärd, rapporteur de la proposition de règlement, qui a estimé que les NGT devraient être autorisées dans l’agriculture biologique afin que « tout opérateur puisse utiliser ces techniques sans aucune discrimination… [et] …de garantir des conditions de concurrence équitables sans imposer de technique à un opérateur particulier ».
Toujours à propos de l’agriculture biologique, il est rappelé dans l’amendement 241 que compte-tenu de la politique du pacte vert pour l’Europe (Green Deal), cette agriculture bio si particulière était « annonciatrice d’un approvisionnement et d’une souveraineté alimentaires résiliants » et qu’en conséquence «le présent règlement ne doit pas compromettre la transition des systèmes alimentaires européens vers l’agriculture biologique à 25 % d’ici à 2030 ».
Que ce soient les amendements 18, 167 ou 241 (les plus flagrants qu’on vient de citer), on nage là dans l’arbitraire de l’idéologie politique, loin des critères agronomiques et scientifiques !
Qui a voté quoi ?
Ce texte intitulé « Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés » a été adopté en séance plénière par 307 voix « pour », 263 voix « contre » et 41 abstentions.
Plusieurs partis ont soutenu le texte : une large majorité des députés du Parti populaire européen PPE (auquel émargent en France les eurodéputés LR), les députés de droite et du centre droit (ID : Identité et Démocratie auquel sont inscrits les députés français RN, CRE : conservateurs et réformistes européens, Renew Europe Group auquel se rattachent les députés français du parti Renaissance), tandis que les Verts et la Gauche l’ont rejeté quasiment à l’unanimité. Les socialistes et démocrates (S&D) se sont divisés en deux. On remarque aussi que de nombreux socialistes des pays du Sud de l’UE ont soutenu le texte alors que ceux du Nord de l’UE sont contre. De même quelques députés des partis PPE et CRE, originaires de pays de l’Est ont rejeté le texte, soulignant ainsi qu’il existe des disparités d’ordre géographique, voire géopolitique, au sein de l’UE.
Plusieurs eurodéputés ont réagi sur le débat et ses conclusions. En faveur de la loi, des eurodéputés ont souligné que de nouvelles solutions étaient ainsi proposées aux agriculteurs mais que les NGT ne seraient utilisées uniquement que pour réduire les pesticides ou s’adapter au changement climatique. André Heitz, ancien fonctionnaire international d’une institution spécialisée des Nations-Unies et chroniqueur, a souligné que certains de ces eurodéputés influents avaient activement contribué à restreindre le champ de la loi (4). D’autres eurodéputés, opposés à la nouvelle loi, se sont vantés d’avoir obtenu l’étiquetage des produits NGT-1 jusque sur les étalages en assimilant les produits NGT à des OGM (5) tandis que d’autres se sont lamentés que le vote parlementaire « en faveur de la dérégulation des nouveaux OGM était un non-sens ! » (6).
Un débat qui se poursuit dans la société
Le clivage se retrouve aussi dans le débat sociétal : organisations professionnelles d’une part et les ONG bien connues pour leurs positions décroissantes, d’autre part.
Créé en 2019 quand débuta le processus de révision de la réglementation européenne pour les NGT (alors appelées NBT- pour New Breeding Techniques – car concernant surtout l’amélioration variétale mise en œuvre par les sélectionneurs de nouvelles variétés), le Collectif pour l’innovation variétale regroupe 30 organisations représentatives des agriculteurs et des filières agricoles et agro-alimentaires « qui souhaitent valoriser l’intérêt de la sélection variétale pour répondre aux enjeux du changement climatique et de souveraineté alimentaire ». Ce collectif a souligné que « le vote reflète une prise en compte des moyens et potentiels que proposent la science et l’innovation pour relever les enjeux agricoles et environnementaux, grâce à un cadre juridique clair et adapté » (7).
A l’inverse, plusieurs ONG s’opposent à la « déréglementation » proposée par la Commission et le Parlement et assimilent les plantes NGT à des « OGM cachés ». Pour Générations futures, « les membres du Parlement européen ont manqué à leur devoir de protéger la santé des citoyens, l’environnement et l’avenir de l’agriculture européenne » (8). L’ONG « Nature et Progrès Belgique » affirme que le Parlement européen a pris une décision « délétère… en votant pour la dérégulation des nouveaux OGM… au profit de l’industrie semencière », mais espère que des désaccords entre Etats-membres leur donnera « un peu de répit pour permettre une mobilisation plus large et de réels débats dans la société et dans les médias sur l’agriculture et l’alimentation que nous voulons pour demain » (9).
Et après ?
A l‘issue de ces débats animés, le processus doit se poursuivre par une finalisation en trilogue qui conclut les procédures législatives ordinaires de l’Union européenne. Le trilogue réunit des représentants du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne pour une dernière négociation inter-institutionnelle informelle.
Le Conseil de l’UE, composé des ministres des États membres, s’est réuni quelques heures après le vote du Parlement européen pour parvenir à un accord sur un mandat de négociation en vue du trilogue. Mais il n’y est pas parvenu car il y aurait des divergences de position des Etats membres notamment sur les brevets (10). Aussi a-t-il été décidé de renvoyer l’examen du dossier à l’issue des élections européennes du mois de juin 2024.
Quel sera l’épilogue de ce feuilleton triste puisque l’Union européenne n’en a pas fini avec ses démons de la décroissance et est en passe de se priver de la plupart des avancées positives des NGT appliquées à l’agriculture ? A suivre….
By Lucluckies – Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=128077281
Références
(1) Tels que celles du Scientific Advice Mechanism, le groupe des conseillers de haut niveau auprès de la Commission européenne, de l’Initiative citoyenne européenne Grow scientific progress: crops matter !,ou encore de l’Union européenne des académies d’agriculture (UEAA)
(2) Enjeux Biotechnologiques, des OGM à l’édition du génome, Catherine Regnault Roger, 2022, Presses des mines, 204 pages
(3) Biotech Challenges, Catherine Regnault Roger, 2023, Springer Nature, 157 pages
(4) Nouvelles techniques génomiques : faut-il leur dire adieu ? André Heitz Atlantico 14.02.2024 https://atlantico.fr/article/decryptage/nouvelles-techniques-genomiques-faut-il-leur-dire-adieu-andre-heitz
https://seppi.over-blog.com/2024/02/nouvelles-techniques-genomique-faut-il-leur-dire-adieu.html
(5) Compte rendu in extenso des débats, 6 février 2024, Strasbourg. Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-9-2024-02-06-ITM-007_FR.html
(6) Le Parlement européen en faveur de la dérégulation des nouveaux OGM : un non-sens ! communiqué de presse, Europe-Ecologie-Les verts, https://agriculture.eelv.fr/le-parlement-europeen-en-faveur-de-la-deregulation-des-nouveaux-ogm-un-non-sens/
(7) Le Parlement européen fait le choix de l’innovation et de la science avec un accès aux NGT encadré. Communiqué de presse du 8.02.2024 https://www.terresinovia.fr/-/le-parlement-europeen-fait-le-choix-de-l-innovation-et-de-la-science-avec-un-acces-aux-ngt-encadre
(8) Le Parlement européen se prononce en faveur des NGT, Plein Champ 8.02.2024, https://www.pleinchamp.com/actualite/le-parlement-europeen-se-prononce-en-faveur-des-ngt
(9) Nature et Progrès Belgique. Communiqué de Presse 8 février 2024 « jour sombre pour le vivant » https://www.natpro.be/deregulation-des-nouveaux-ogm-une-journee-sombre-pour-le-vivant/
(10) Le Parlement européen approuve son texte en faveur des nouvelles techniques génomiques Maria Simon Arboleas, Euroactiv.com 8.02.2024 https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/le-parlement-europeen-approuve-son-texte-en-faveur-des-nouvelles-techniques-genomiques/