A la fin du mois d’avril 2021, la Commission européenne a publié un rapport sur les « nouvelles techniques génomiques », qui était attendu par les développeurs de ces biotechnologies, car il pouvait avoir des implications majeures pour leur réglementation dans l’Union européenne (UE). De plus, la réglementation européenne affectera la commercialisation mondiale de ces produits en fonction de la fermeture ou de l’ouverture du marché européen. Cependant, loin de proposer une stratégie pour sortir de l’impasse européenne sur ces nouvelles biotechnologies, ce rapport ne fait qu’annoncer la poursuite des discussions. Une première série de discussions de ce type a eu lieu fin mai, lors d’un Conseil européen des ministres de l’Agriculture, sans qu’aucune décision n’ait été annoncée. La question que l’on est fondé à se poser est de savoir s’il est possible pour les pays européens de tirer profit de ces techniques génomiques dans le contexte idéologique et politique de l’UE…
UN PRIX NOBEL DE CHIMIE
Ces nouvelles techniques génomiques sont prometteuses pour l’agriculture, l’industrie et la médecine, et le rapport de la Commission européenne le reconnaît. De plus, la plus populaire parmi les scientifiques de ces technologies (les techniques d’édition génétique dites CRISPR-Cas) a vu ses pionnières, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, récompensées par le prix Nobel de chimie en 2020.
Il n’a pas échappé à l’attention de la Commission européenne que le continent se situe loin derrière les États-Unis et la Chine dans tous les domaines d’application de ces technologies. Il est également évident que la réglementation européenne des « OGM » (un concept juridique, souvent dénoncé par les scientifiques comme n’ayant aucune rationalité scientifique ou technique) a contribué à la débâcle de ces « OGM », constitués principalement de plantes transgéniques. Il y a au moins un consensus dans ce dossier : si ces « nouvelles techniques génomiques » sont réglementées comme des « OGM », alors il ne sera pas possible de les développer à des fins commerciales en Europe, et des obstacles coûteux devront être surmontés avant que leur importation ne soit autorisée.
LE GOUVERNEMENT DES JUGES
Un précédent rapport officiel européen (en 2011) indiquait déjà que « le cadre législatif tel qu’il fonctionne aujourd’hui ne répond ni aux besoins ni aux attentes, ni à ses propres objectifs » (traduction). Mais rien n’a été fait pour résoudre le problème au niveau politique dans l’UE. Ce qui s’est passé a été en fait tout le contraire : la charge réglementaire a encore augmenté, tout en laissant des incertitudes juridiques sur l’avenir des nouvelles biotechnologies. Inévitablement, lorsque les politiciens sont inactifs, le pouvoir des juges augmente, et c’est ce qui s’est passé. En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a conclu qu’une large catégorie de biotechnologies appelées « mutagenèse » « sont des OGM et sont, en principe, soumises aux obligations prévues par la directive OGM ».
Étant donné que les « nouvelles techniques génomiques » sont souvent des techniques de « mutagénèse » (elles modifient « chirurgicalement » les traits génétiques), cela signifie qu’elles entrent dans le champ d’application de la législation de l’UE sur les « OGM ». Le présent rapport de la Commission européenne était attendu pour apporter des réponses sur la manière de surmonter cette difficulté majeure.
Les réactions plutôt négatives du côté anti-biotech confirment que ces nouvelles techniques génomiques ont marqué des points au niveau de la Commission européenne. Le côté pro-biotech peut être satisfait, à court terme, car ce rapport reconnaît explicitement que les produits des nouvelles techniques génomiques « ont le potentiel de contribuer aux objectifs du « Pacte Vert » de l’UE et en particulier à la « ferme à la table », à sa stratégie de biodiversité et aux objectifs de développement durable des Nations Unies » (ce Pacte Vert a l’ambitieux objectif de faire de l’Europe « le premier continent climatiquement neutre »).
LA STRATEGIE « DE LA FERME À LA FOURCHETTE » IMPOSSIBLE À RÉALISER SANS LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
En fait, les objectifs de « la ferme à la table » et sur la biodiversité, qui ont été décidés bureaucratiquement (sans considération de leur faisabilité), pourraient bien être impossibles à atteindre sans les nouvelles technologies. Parmi elles, ce sont précisément les biotechnologies, qu’il s’agisse de transgénèse classique ou des « technologies génomiques génétiques », les deux étant paradoxalement bloquées en Europe pour des raisons idéologiques.
Ce problème n’est pas réglé par ce nouveau rapport. De plus, les discussions européennes annoncées à plus haut niveau ne le résoudront peut-être pas non plus, puisque le rapport de forces actuel entre les États membres de l’UE n’est apparemment pas en faveur des biotechnologies, surtout après le « Brexit » du Royaume-Uni (qui est plutôt pro -biotech) et la montée des Verts allemands (qui ont confirmé leur opposition aux biotechnologies).
Il est probable que ces discussions vont durer un certain temps. Lors de la réunion du Conseil européen à Bruxelles, les 26 et 27 mai, les ministres de l’Agriculture des États membres « ont tenu un débat sur les conclusions de l’étude de la Commission sur les nouvelles techniques génomiques et ont exploré les futures actions politiques possibles ». Le résumé officiel de ce débat est assez vague : « En général, ils sont d’accord avec les conclusions de l’étude, notamment la nécessité de lutter contre l’insécurité juridique et d’adapter la législation existante pour tenir compte des progrès scientifiques et technologiques ».
En outre, le débat au Parlement européen sera probablement entaché de points de vue idéologiques, comme le montrent les premiers commentaires des Députés verts critiquant les cultures tolérantes aux herbicides, en ignorant le fait qu’elles peuvent être utilisées dans les systèmes agricoles de conservation des sols.
POURQUOI L’EUROPE EST-ELLE SI RÉFRACTAIRE AUX BIOTECHS ?
La raison pour laquelle l’Europe est souvent à l’origine de restrictions concernant les biotechnologies et d’autres technologies a des racines profondément ancrées. L’Europe s’appuie sur ses « Grands Principes » (Démocratie, État de droit, Droits de l’Homme, etc.) pour éviter la répétition des tragédies historiques du passé (Guerres mondiales, génocides, etc.) et estime que ces « Grands principes » ont permis cela sur le continent. De même, suivant la même logique, pour éviter les drames technologiques, l’Europe a inventé d’autres « Grands Principes » : la participation des « citoyens », le Principe de Précaution (au sommet de la hiérarchie des normes) et un ensemble contraignant de lois environnementales. Dans un tel contexte, il est difficile de changer la tendance actuelle qui est en faveur d’une approche de précaution des nouvelles technologies.
Il était donc inévitable que ces « Grands Principes » se retrouvent au centre du récent rapport de la Commission et il est peu probable qu’une majorité d’États membres se démarquent de ces points de vue.
Si certains s’engageait dans cette voie, ce serait au niveau national et cela pourrait bien être une nouvelle étape dans une sorte de « déconstruction » européenne. En effet, la directive européenne OGM (UE) 2015/412 était déjà un premier pas dans cette direction en 2015. Après 15 ans de tentatives pour établir en commun un marché et une approche réglementaire de la biotechnologie, cette dernière directive offre « la possibilité pour les États membres de restreindre ou interdire la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire », même lorsque lesdits organismes disposent d’une autorisation au niveau de l’UE. Cependant, conformément à l’idéologie européenne restrictive, cette directive n’offre pas la possibilité d’une autorisation nationale sans autorisation au niveau de l’UE.
Il reste à voir si le Royaume-Uni facilitera les expérimentations et la commercialisation de certaines plantes et de certains animaux d’élevage modifiés génétiquement, comme mentionné dans certains médias. Si le Royaume-Uni post-Brexit récolte à l’avenir les bénéfices de la biotechnologie, alors que l’UE ne le fait pas et manque même ses objectifs de « de la ferme à la fourchette », ce serait une nouvelle démonstration de la nature délétère de l’idéologie européenne actuellement dominante.
* ce texte n’est pas une position officielle des tutelles scientifiques de l’auteur
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