Géographe, écrivain, économiste (avec une thèse sur le mécanisme des famines), ancienne présidente d’Action contre la Faim, Sylvie Brunel a publié de nombreux essais et romans pour défendre sa vision d’une géographie vivante, d’un développement durable dynamique et accessible à tous. Auteur du premier QSJ sur le développement durable (2004, sixième édition, 2018), elle a beaucoup écrit sur les enjeux alimentaires, en France et dans le monde. Son dernier ouvrage, Sa Majesté le Maïs, la plante que nous adorons détester et qui pourtant sauve le monde, vient de paraître aux éditions du Rocher. Sur la Camargue, elle a notamment publié Camargue, les légendes de Crin-Blanc, Nevicata, 2019, et sort le 24 avril une fable écologique Le Sourire de l’Alligator (éditions du Rocher).
The European Scientist : Lors d’une interview précédente vous nous avez présenté Nourrir votre ouvrage coup de gueule en défense des agriculteurs…. Depuis « on marche sur la tête » a fédéré la colère du monde agricole. Quel est votre analyse de ce mouvement ? Avez-vous été visionnaire dans votre diagnostic ?
Sylvie Brunel : Me prétendre visionnaire serait très immodeste. Je constate juste que mes cris d’alarme depuis des années sur les risques de désagriculturalisation de la France ont enfin été entendus, et que les différents membres du gouvernement reprennent textuellement les propos de mes livres, et notamment de celui de février 2023 (qui vient de paraître en poche chez Harper Collins) Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre. Oui, la colère du monde agricole est profonde et justifiée, sur le manque de respect, de reconnaissance et de rémunération dont ils sont victimes : plus ils en font dans l’excellence, le verdissement, les bonnes pratiques, plus on leur en demande. Comme si la réalité des campagnes et des exigences de la production agricole n’était pas connue.
Plus ils s’astreignent à des normes toujours plus exigeantes, plus ils perdent en compétitivité-prix, et plus la France importe de l’étranger des produits qui ne respectent pas les standards français, particulièrement élevés, qu’il s’agisse des vergers écoresponsables, en bio comme en conventionnel, des volailles élevées en plein air, du bien-être animal, d’une main d’œuvre rémunérée et protégée à des niveaux bien supérieurs à ceux de nos voisins, y compris allemands….
Sans compter les limitations faites à l’irrigation, l’interdiction du recours au génie génétique, la guerre faite aux traitements, avec un double standard particulièrement choquant quand on compare les interdictions pesant sur les paysans et la façon dont la médecine humaine et vétérinaire de ville ne s’interdit rien…Oui, on marche sur la tête !
TES. : Répondant à une question sur la prise en compte des récriminations des agriculteurs, Agnès Pannier Runacher a déclaré récemment « Le vivant ne se laisse pas enfermer par des règles dictées depuis Bruxelles » Pensez-vous que ces belles paroles illustrent un changement de politique à venir ?
S.B. : Je pense très sincèrement que les membres du gouvernement sont parfaitement conscients des aberrations pesant sur l’agriculture, et notamment sur l’agriculture française, qui, par sa « méditerranéisation » et son « aquitanisation », avec le changement climatique, est particulièrement exposée, mais que la marge de manœuvre de nos ministres est limitée : au-dessus, Bruxelles, en-dessous, l’administration, face à eux, les ONG écologistes, et les médias avec qui elles travaillent en cogestion (cogestion qui touche aussi le ministère de l’environnement, littéralement otage des activistes du climat et de la biodiversité). La trajectoire du paquebot des règlementations incohérentes, inadaptées ou arbitraires va être longue à modifier, mais la prise de conscience est enfin là : quand les agriculteurs jettent l’éponge, découragés, ce qui les remplace est dramatique : la friche, l’embroussaillement, des déserts ruraux, les méga-incendies… Personne n’a rien à y gagner, ni notre économie, ni nos emplois, ni même la nature, même si une armée grossissante de gardiens de l’environnement, rémunérés sur fonds publics, envahit les territoires sans rien produire d’autre que de la norme, des contrôles, des sanctions. Or il y va de la souveraineté alimentaire de la France, de l’Europe, dans un monde où l’arme alimentaire est revenue au premier plan. Poutine, nouveau maître du blé, en use avec cynisme, ne soyons pas aveugles ou naïfs !
TES. : Votre nouvel ouvrage reste dans le secteur agricole puisqu’il s’agit d’un travail de vulgarisation sur une culture méconnue, le maïs. Pourquoi avoir choisi cette céréale ? Vous dénoncez de nombreux a priori quels sont-ils ?
S.B. : Le maïs est la première céréale mondiale. Avec 1200 millions de tonnes, presque autant que le blé et le riz réunis, plus de 150 pays en produisent, dans le monde entier. C’est la céréale de la sécurité alimentaire, par son adaptabilité, ses rendements records, sa polyvalence : tout ce que vous faites avec les carburants fossiles, vous pouvez les remplacer grâce au maïs ! Chimie verte, énergie, mais aussi les mille produits du quotidien, alimentaires bien sûr, biosourcés, renouvelables…
Et en réparant la fameuse « planète » : céréale dite en C4, le maïs capte en poussant plus de gaz à effet de serre que l’Amazonie et stocke plus de carbone dans des sols qu’il n’épuise pas ! Poussant en moins de six mois (trois au Québec !), il permet d’affecter la terre à d’autres usages. Très peu traité, demandant peu d’azote, tellement généreux avec ses 20 tonnes/ hectares quand il reçoit un peu d’eau (toutes les productions sous signe de qualité ont besoin d’eau, mais le maïs est celle qui les utilise le plus efficacement), il est une céréale miracle, la réponse aux enjeux écologiques et alimentaires qui nous préoccupent.
L’Europe en est la première importatrice mondiale, à égalité avec la Chine, qui mise sur lui pour assurer sa souveraineté alimentaire (qui se dit souveraineté des grains en chinois). Nous devrions donc tout faire pour développer sa culture, d’autant que la France a encore la chance d’être la première exportatrice de semences de maïs au monde… mais là encore, c’est l’inverse qui se produit : nous avons fait, à tort, du maïs le bouc émissaire de nos peurs et les producteurs se découragent. Cherchez l’erreur !
TES. : Vous vous êtes exprimée récemment dans un débat au sujet de la biodiversité de la Camargue. Pouvez-vous nous en dire plus ?
S.B. : Oui, la Camargue que nous aimons, celle de Crin-Blanc, des milieux peuplés de flamants roses et de milliers d’autres oiseaux, de chevaux blancs emblématiques et de taureaux noirs qu’on ne met pas à mort, n’existe que grâce à l’action de l’homme. C’est une nature produite par une culture, celle de la bouvine, celle du riz qui dessale les terres et permet les pâturages, celle des saliniers qui valorisent un produit essentiel à notre indépendance et à notre souveraineté, la fleur de sel et le sel (qui viennent d’obtenir l’IGP), en créant des paysages d’exception, dunes blanches, étangs roses, marais peuplés d’une infinie biodiversité d’eau douce et saumâtre. Mais au nom du changement climatique et d’une submersion marine présentée, là-encore à tort, comme inéluctable, la « renaturation » et le « repli stratégique » font des ravages en Camargue, où un mille-feuilles d’organismes écologiques rendent les terres à la mer, refusent d’entretenir les digues, expliquent aux Camarguais qu’ils vont devoir plier bagage. Ça me met hors de moi, d’autant que les Salins, du Midi présents en Camargue depuis 150 ans, sont parfaitement capables de préserver les digues, les milieux de biodiversité d’eau douce, la beauté des paysages de Camargue, tout en nous fournissant des richesses et des emplois. Hubert François, son président, vient d’ailleurs de lancer un Manifeste pour une Camargue vivante (1), que j’appelle tous les acteurs camarguais à signer.
TES. : Que pensez-vous de la loi sur la restauration de la nature qui vient d’être adoptée ? Bruxelles souhaite restaurer au moins 20 % des zones terrestres et 20 % des zones maritimes d’ici 2030 et tous les écosystèmes qui en ont besoin d’ici 2050.
S.B. : En tant que géographe, je pense qu’il faut bien comprendre que nos paysages sont des héritages façonnés par l’action aménageuse des hommes, leur volonté de créer des milieux d’exception, vivants, utiles et évolutifs, la Camargue, les Landes, le marais poitevin, la Dombes…. Si je comprends pourquoi il faut sauver les mers de l’exploitation sauvage et de la surpêche, d’autant qu’un autre de mes combats est la défense des hippocampes, ce petit cheval des mers discret, méconnu et en voie d’extinction en raison des atteintes aux littoraux, hippocampe qui est aussi, dans notre cerveau, le siège de la mémoire (et la seule espèce dont le mâle connaît les douleurs de l’accouchement, ce qui ne peut que réjouir la féministe et mère que je suis…), je ne comprends pas, en revanche, pourquoi il faudrait opposer agriculture et environnement.
Les premiers écologistes, ce sont ceux qui travaillent au quotidien avec le vivant, les paysans. La nature est leur outil de travail, et ils mettent tout en œuvre pour assurer la durabilité de leurs écosystèmes. Alors oui, pour préserver les milieux, mais avec les paysans, les éleveurs, les pêcheurs, les chasseurs, les saliniers… et tout ceux qui connaissent vraiment la nature, et l’aiment au quotidien, au lieu de la voir comme le champ privatisé de fantasmes élitistes !
(1) https://www.salins.com/manifeste-pour-une-camargue-vivante
Tout cela est très bien dit et tellement intelligent.
bonne analyse avec des éléments sérieux qu’il est bon de rappeler même si cela mets en porte a faux les écolos avec leurs arguments »bidon »
On comprend pourquoi Sylvie Brunel n’est pas la bien venue a la télé ,sa présentation et sa sincérité dérange …et pourtant elle permet la réflexion et chacun établira sa vérité a partir des différents éléments