Plus de deux milliards d’êtres humains, dont de nombreux enfants, n’ont toujours pas d’accès à une eau potable de qualité. Un phénomène exacerbé par le réchauffement climatique et la crise sanitaire, laissant se profiler à l’horizon d’inquiétantes « guerres de l’eau ». Pour parer à l’urgence, le recours à l’eau en bouteille s’impose, dans l’attente de solutions de plus long terme, comme la désalinisation de l’eau de mer.
Guerres, faim, chômage, pauvreté, inégalités sociales, réchauffement climatique…: depuis un peu plus d’un an maintenant, la saturation médiatique due à la pandémie de Covid-19 ne laisse presque plus aucune place aux problématiques autres que sanitaires. Toute aussi vitale, la question de l’accès à l’eau potable fait partie de ces enjeux délaissés. A tort : plus de deux milliards d’êtres humains ne bénéficient ainsi pas d’accès direct à l’eau, selon un rapport présenté lundi 22 mars, Journée mondiale de l’eau, par l’ONU et l’Unesco. Une pénurie qu’a encore renforcé la crise sanitaire, dans un contexte où la pollution des fleuves et le changement climatique, couplés à une urbanisation galopante à et une pression démographique exponentielle, rendaient déjà la question de l’eau cruciale pour les années à venir.
Pourtant, l’or bleu est bien souvent négligé et même gaspillé, alertent les Nations Unies, qui pointent la responsabilité des pays riches. « Nous ne payons pas le prix juste de nos services d’approvisionnement. Peu d’entre nous savent, par exemple, que le traitement de nos eaux usées coûte cinq fois plus que le traitement de l’eau propre qui entre dans nos logements », dénonce Richard Conor, co-auteur du rapport. Sans réelle prise en compte de sa valeur autre que strictement pécuniaire, nous considérons l’eau comme un bien évident et quasi-inépuisable, alors qu’elle demeure « notre ressource la plus précieuse », met en garde la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay.
Le risque de futures « guerres de l’eau »
Une précieuse ressource à laquelle n’a pas accès un enfant sur cinq dans le monde, selon l’Unicef. Au sein de plus de 80 pays, principalement situés en Afrique, en Asie du Sud et au Moyen-Orient, quelque 450 millions d’enfants vivent en effet dans des zones où la vulnérabilité hydrique est « élevée » ou « extrêmement élevée », selon l’organisation, qui liste une quarantaine de pays particulièrement « sensibles », parmi lesquels l’Afghanistan, le Burkina Faso ou l’Inde. « La crise mondiale de l’eau ne se profile pas seulement à l’horizon, alerte la directrice générale de l’Unicef, Henrietta Fore ; elle est déjà là, et les changements climatiques ne feront que l’aggraver ». Dans un précédent rapport publié en 2017, l’institution estimait déjà qu’en 2040, un enfant sur quatre vivra dans une région où le stress hydrique sera extrêmement élevé.
La rareté entrainant la convoitise, a fortiori pour un bien aussi indispensable à la vie que l’eau, de prochaines « guerres de l’eau » pourraient bientôt éclater. Oppositions entre l’Ethiopie et une douzaine d’Etats africains autour d’un barrage sur le Nil, tensions latentes entre les Etats-Unis et le Mexique autour du fleuve Colorado, conflits entre la Chine, le Cambodge, le Laos et le Vietnam à propos du Mekong… : « avec le changement climatique et l’augmentation des incertitudes, on se dirige vers une augmentation des tensions et rivalités autour de la gestion de l’eau », analyse le professeur Christian Bréthaut, de l’Université de Genève. « L’eau est souvent au cœur d’enjeux géopolitiques et aussi au cœur de discours d’hydro-hégémonie, d’hydro-nationalisme », constate celui qui est également directeur scientifique du Geneva Water Club.
L’eau minérale en bouteille, une solution sur le court terme
Quelles pistes de solutions opposer à cet inquiétant constat ? En ce qui concerne la consommation domestique, le développement du secteur des eaux minérales en bouteille apparaît, du moins sur le court terme, comme un moindre mal, qui soulève presque autant de problèmes qu’il n’en résout : considérablement plus chère que son équivalente sortant du robinet, l’eau en bouteille pose, comme sa dénomination l’indique, surtout la question de la pollution liée à la multiplication des contenants en plastique, de leur collecte et de leur recyclage. Mais ce sont ces mêmes bouteilles qui permettent aujourd’hui d’assurer un accès à l’eau potable aux classes moyennes de nombreux pays émergents, des pays dont les infrastructures de distribution d’eau potable demeurent, faute d’investissements, souvent insuffisantes et défectueuses, conduisant à de gigantesques gaspillages ainsi qu’à des risques de contamination accrus.
Dans ces mêmes pays, notamment en Asie et en Amérique du sud, privatiser les ressources hydriques reste aussi et surtout un moyen de garantir une gestion plus rigoureuse de l’or bleu. Peu soucieux de rentabiliser une ressource perçue à tort comme abondante, les organismes publics ou parapublics gaspillent souvent l’eau qu’ils prélèvent et distribuent ; au contraire, le secteur privé se doit, pour d’évidentes raisons de rentabilité, d’utiliser chaque goutte du précieux liquide avec le plus grand soin possible. Néanmoins, cette piste ne saurait résoudre le problème de l’accès à l’eau potable que très marginalement, l’essentiel de la consommation mondiale d’eau – et de son gaspillage – étant le fait du secteur agricole, et non des consommateurs individuels.
L’exemple du fleuve Sénégal
Si le recours à l’eau en bouteille peut offrir un répit aux populations concernées par le stress hydrique, d’autres solutions, plus systémiques, doivent être envisagées. Ainsi de la désalinisation de l’eau de mer, qui apparaît pour les pays disposant d’un littoral comme une solution d’avenir – mais particulièrement complexe et couteuse à mettre en œuvre. Pour éviter une pénurie mondiale aux conséquences dramatiques et incalculables, seule une meilleure coopération internationale semble à même d’ouvrir la perspective d’une gestion de l’eau plus raisonnée. Une utopie ? Sans doute, à moins que les grands de ce monde ne s’inspirent de l’exemple du fleuve Sénégal qui, depuis 1972, est collectivement géré par les pays africains qu’il traverse. Un « mode de gestion concerté qui nous a valu d’être classés en 2015 en tête du »Quotient mondial de coopération en ressources en eau transfrontalières », se félicite-t-on du côté de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Ou quand le continent le plus affecté par la rareté de l’eau donne des leçons aux autres… A méditer.