
L’arrivée d’Espagne de mystérieux vins présentés comme « naturellement » bleus divise le monde viticole. Cet argument marketing pose en effet des questions sur leur réel procédé de fabrication.
Après le vin rouge, blanc, rosé, leur plus are homologue orange, l’heure serait-elle celle du vin bleu ? Depuis qu’un entrepreneur sétois a décidé de commercialiser en France ce chardonnay espagnol dont la robe turquoise ressemble à la couleur d’un liquide lave-vitres. Baptisée « Vindigo », cette nouveauté est conçue à partir des vignes d’Almeria, dans le sud de l’Espagne. Avec une teneur en alcool de 11 % et un « goût est fruité – il y a de la cerise, du fruit de la passion et de la mûre – c’est un vin festif », explique René Le Bail, sommelier qui a fait venir ce vin en France pour la première fois.
« C’est 100 % naturel ! C’est du Chardonnay, que [nos œnologues] passent dans de la pulpe de raisin rouge. Quand on regarde le raisin rouge, il y a un bleu dedans, ça s’appelle l’anthocyane. Ils le filtrent dans cette peau… Et il sort ce vin bleu ! », détaille-t-il. Après une macération dans de la peau de raisin noir et rouge, le Vindigo change de teinte naturellement grâce à ce pigment. « On a fait valider l’étiquette par tout ce qui est répression des fraudes, douanes et tout ça », insiste René Le Bail.
« Les anthocyanes sont particulièrement sensibles au changement de pH [ndlr : potentiel hydrogène, une échelle de 1 à 14 permettant de mesurer l’acidité d’un milieu] », détaille Véronique Cheynier, directrice de recherche Inra spécialiste des polyphénols. « Ils sont rouges en milieu acide, à bas pH, et ne passent au bleu qu’en milieu basique, à un pH supérieur à 7 ». Pour autant, les conditions chimiques d’une telle transformation sans ajout chimique sont improbables compte tenu des quantités infimes d’anthocyane dans les marcs et les vins.
L’argument ne convainc pas non plus le monde viticole – en particulier en France. « Chimiquement, tout est possible, on peut tout extraire… Mais je trouve ça curieux de vendre ça, je ne suis pas sûr que ça soit légal », reprend un œnologue français préférant rester anonyme. « C’est un peu borderline sur le plan réglementaire, complète un autre professionnel. En France, on n’a pas le droit de colorer les vins. Mais c’est peut-être autorisé en Espagne ». Pour ce dernier, il serait plus juste de vendre le Vindigo « en tant que boisson aromatisée à base de vin ».