De nouvelles règles concernant les nouvelles biotechnologies de modification du génome viennent d’être publiées le 18 mai 2020 au journal officiel du gouvernement des Etats-Unis, le Federal Registrer (Registre Fédéral) sous le nom de SECURE Rule. Cette nouvelle réglementation intervient à l’issue d’une grande consultation publique intitulée précisément SECURE pour Sustainable, Ecological, Consistent, Uniform, Responsible and Efficient. Ce qualificatif indique que la démarche se base sur les principes de la durabilité, de l’écologie, de la cohérence, de l’uniformité, de la responsabilité et l’efficacité. Cette réglementation a pour objectif de promouvoir « une approche équilibrée pour continuer à protéger la santé des végétaux tout en promouvant les innovations agricoles (1) ».
Une réglementation basée sur les caractéristiques du produit final
En 2016, les Académies américaines ont publié un rapport de plus 600 pages intitulé Genetically Engineered Crops: Experiences and Prospects. L’équipe du Professeur Gould a réalisé un travail considérable en analysant plus de 1000 publications scientifiques portant sur les plantes cultivées produites par génie génétique au cours des 20 dernières années, recueillant 700 commentaires et en auditionnant 80 acteurs.
Elle a conclu que les outils moléculaires de transformations génétiques ne posent pas de nouveaux risques par rapport aux techniques traditionnelles de sélection végétale et les plantes génétiquement modifiées mises en culture dans le respect des bonnes pratiques agricoles ne présentent pas plus de toxicité et d’écotoxicité, ou de risques environnementaux que les plantes conventionnelles.
C’est en se basant sur ces travaux que le Service d’inspection de la santé animale et végétale (APHIS) (2) du département américain de l’Agriculture (USDA) a décidé de modifier son approche réglementaire. Elle va désormais examiner les caractères du produit obtenu et les évaluer en matière de risques et bénéfices alors qu’auparavant c’était la méthode d’obtention, la technologie employée, qui primait comme c’est le cas dans l’Union européenne.
Cette nouvelle réglementation clarifie la législation qui s’appliquera aux produits d’édition du génome, c’est-à-dire dont le génome a été modifiée à l’aide des nouvelles techniques de biotechnologie, les Nbt (New breedings techniques) qui ont été mises au point au cours des 25 dernières années, et dont la plus connue est la technique CRISPR. Elles sont plus précises que les techniques classiques de modification génétique antérieures, la transgénèse et la mutagenèse aléatoire. Elles coûtent moins cher à tel point qu’on a qualifié, improprement, la technique CRISPR de « biologie de garage » (3) !
Une plante génétiquement éditée pour des modifications mineures du génome qui auraient pu être obtenus par des méthodes de sélection traditionnelles (modification ou encore suppression d’une paire de bases ou introduction d’un gène connu pour appartenir au pool génétique de la plante (4) ) ne seront pas réglementées comme des OGM. Cette exemption couvre le rassemblement de plusieurs gènes de résistance à des maladies dans une seule séquence d’ADN et concerne les modifications mineures de variétés déjà commercialisées pour les adapter aux évolutions climatiques. En revanche, les transferts de gènes même entre espèces apparentées qui ne peuvent pas être croisées par des méthodes de sélection classique, seront réglementés (5).
Cet allégement de la réglementation pour les produits d’édition du génome concernés se traduit par un gain de temps pour les développements R&D et une baisse des coûts d’homologation. L’USDA a manifestement tenu compte des freins à l’innovation qu’engendre la réglementation actuelle appliquée aux OGM. L’APHIS estime qu’1% des variétés qui lui sont soumises pour autorisation de mise sur le marché ne bénéficieront pas de cet allégement réglementaire. Le but est de favoriser l’innovation en matière d’amélioration variétale et d’augmenter l’offre des produits mis sur le marché.
Le fossé réglementaire entre les Etats-Unis et l’Union européenne se creuse
Alors que les Etats-Unis comme plusieurs pays, du Japon à l’Argentine, s’ouvre aux nouvelles biotechnologies de transformation du génome, l’Union Européenne et la France se recroquevillent sur le principe de précaution pour adopter une des réglementations les plus répressives à cet égard comme le témoignent l’arrêt de la Cour de justice européenne du 25 juillet 2018 et la transposition dans le droit français du Conseil d’Etat du 20 février 2020 .
A l’heure où la pandémie du Covid-19 a souligné l’importance pour les Etats de jouir d’une indépendance sanitaire mais aussi agricole et alimentaire, il est temps d’ouvrir les yeux ! Au cours des dix dernières années, les brevets pris sur la plus prometteuse de ces techniques, le CRISPR, sont détenus aujourd’hui à plus de 80% par la Chine et par les Etats-Unis.(6). Si rien ne change, les futures variétés cultivées dans les champs de France, le seront sous licence chinoise ou américaine.
Avec le Groupe de conseillers scientifiques principaux auprès de la Commission européenne, le Scientific Advice Mechanism (7), et l’Initiative citoyenne européenne Grow scientific progress-Crops Matter initiée par des étudiants européens (8), il est grand temps de proposer que la réglementation européenne sur les OGM et les produits des Nbt soit révisée pour l’adapter aux progrès des connaissances scientifiques et technologiques. Changeons-la pour donner une chance à l’industrie semencière européenne et à nos agriculteurs d’être performants et compétitifs !
(1) USDA Proposes New SECURE Biotechnology Regulations to Protect Plant Health and Promote Agricultural Innovation https://www.aphis.usda.gov/aphis/newsroom/news/sa_by_date/sa-2019/biotech-secure-regulations
(2) Animal and Plant Health Inspection Service (APHIS), USDA US Deparment of Agriculture
(3) Jean-Yves Le Déaut, Catherine Procaccia, OPECST, n° 507 tome I, 2017-04-14, 367 p. (Tome I – Rapport et Tome II – Comptes rendus et Annexes), Les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche
(4) Bernadette Juarez (2020) Sustainable, Ecological, Consistent, Uniform, Responsible and Efficient (SECRUE Rule) Overview, USDA, https://www.aphis.usda.gov/aphis/ourfocus/biotechnology/biotech-rule-revision
(5) Erik Stokstad (2020) United States relaxes rules for biotech crops, Science mag doi:10.1126/science.abc8305 https://www.sciencemag.org/news/2020/05/united-states-relaxes-rules-biotech-crops
(6) Catherine Regnault-Roger OGM et produits d’édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques, Fondation pour l’innovation politique, 2020, 56 pages
(7) « A Scientific Perspective on the Regulatory Status of Products Derived from Gene Editing and the Implications for the GMO Directive”, Statement by the Group of Chief Scientific Advisors, 13 November 2018 (https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/a9100d3c-4930-11e9-a8ed-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-94584603 )
(8) Pétition en ligne https://eci.ec.europa.eu/011/public/#/screen/home