Voici le premier volet d’une trilogie intitulée Biodiversité et agriculture. Mythe et réalité. Le cas de l’Agriculture de Conservation des Sols. Son auteur Gérard Rass, ingénieur agronome et expert du sujet développe en profondeur la thématique.
Première Partie
Nous parlerons tout d’abord de la transformation de la biodiversité sauvage en biodiversités cultivées et subspontanées.
Puis de l’enjeu des techniques agricoles sur la biodiversité des écosystèmes. Mais aussi sur d’autres éléments vitaux pour l’humanité comme la production alimentaire.
Avant de parler d’agriculture, voici quelques définitions.
La biodiversité est la diversité des espèces vivantes et de leur patrimoine génétique.
La biodiversité est l’ensemble des espèces vivantes qui peuplent la planète : plantes, animaux, champignons, micro-organismes, mais aussi leur diversité génétique et tous les écosystèmes dans lesquels ils vivent.
Les organismes qui la constituent participent aux grands cycles écologiques de l’air, du sol et de l’eau.
Ce qui détermine les ensembles d’espèces animales et végétales sont essentiellement les sols et les conditions climatiques locales, pluviométrie, températures, ensoleillement.
En résumé, les conditions pédoclimatiques locales déterminent la capacité de photosynthèse, qui détermine le potentiel de biomasse primaire qu’un écosystème peut fournir.
Ceci explique que les forêts pluviales équatoriales sont des jungles de biomasses végétales (et par conséquent animales) les plus luxuriantes de la planète, tandis que les toundras circumpolaires et les hautes altitudes se contentent de lichens et de végétaux rabougris, avec entre les deux les écosystèmes tempérés s’il y a de l’eau, et des steppes ou des déserts si l’eau manque.
Sous le même climat l’influence déterminante du sol se constate aisément : par exemple une Chênaie-Frênaie calcicole (sur sol calcaire) n’aura pas du tout les mêmes espèces animales ou végétales qu’une Hêtraie-Sapinière acidophile.
Et les cortèges des espèces animales qui y vivent sont en interaction avec la nature des communautés végétales.
Ces espèces sont organisées dans des écosystèmes, semblables à des sociétés avec des ensembles d’espèces qui interagissent entre elles, dans des chaînes trophiques, de prédation, de parasitisme (qui mange ou profite de quoi), de collaboration (symbioses), ou de concurrence pour les ressources (espace, air, lumière, eau, nutriments).
Ce que l’imaginaire collectif se plaît à d écrire en Occident comme un équilibre naturel harmonieux de la Nature est en réalité un monde en perpétuelle transformation, un univers impitoyable, dans lequel le seul résultat qui compte de la vie des individus est la survie de l’espèce.
Ceci crée des typologies d’écosystèmes dont chacun est bien décrit par l’écologie scientifique (sans rapport avec l’écologie politique) par la nature de ses conditions pédoclimatiques, la liste et l’abondance de toutes les espèces qui y vivent.
Avec encore beaucoup d’inconnues sur les interactions multilatérales très complexes entre espèces, et même sur la composition des espèces qui vivent dans certains compartiments. Par exemple les scientifiques spécialisés estiment connaître à peine 5% des espèces de microorganismes du sol, alors que leur masse souterraine par hectare représente plus que celle d’un troupeau de bovin à la surface d’une prairie de même surface.
Tout ce qui précède vaut pour tous les écosystèmes naturels.
L’action de l’homme est particulière : c’est l’espèce animale qui a le plus transformé les espaces naturels, par sa capacité à modifier son environnement par des actions techniques dont la puissance et l’impact sont hors de portée d’une espèce animale.
Tout d’abord les hommes préhistoriques ont utilisé le feu, comme plus récemment des populations de chasseurs tels les aborigènes australiens ou les natifs des plaines américaines, pour faciliter le développement des clairières ou de végétation favorable aux espèces qu’ils préféraient chasser.
Des travaux de recherche récents et en cours établissent même l’hypothèse que ces brûlis répétés pourraient avoir favorisé l’installation de prairies, de steppes, de savanes, sélectionnant des végétaux naturels capables de résister au feu, voire même nécessitant pour les ressemis l’exposition à celui-ci.
Ceci pouvant aller jusqu’à créer ou accélérer la désertification (Sahara, Australie Centrale…)…
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Autant l’existence de l’impact de l’homme moderne sur le milieu est connue et acceptée dans la littérature scientifique et dans l’imaginaire collectif, et de plus en plus dénoncée comme une catastrophe voire un écocide, autant ces hypothèses d’une action ancienne de l’homme pré-industriel sont-elles le plus souvent mal vues, voire dénoncées.
Car un courant de l’anthropologie et des sciences humaines associées est influencé par les notions de « bon sauvage » de Jean-Jacques Rousseau (un philosophe), Daniel Defoe (Robinson Crusoe) et d’anthropologues plus récents (Tristes Tropiques, Claude Levi-Strauss). Notons en passant la préférence de nombreux agronomes pour l’agriculture de subsistance des petits paysans pauvres relève sans doute de la même inclination à préférer le petit au grand, la proximité de la nature à la modernité technologique.
Quitte à occulter l’impact réel des techniques et technologies mises en œuvre, en positif ou en négatif, à la fois sur l’objectif recherché et sur les effets non intentionnels. Ce qui est quand même l’intérêt premier d’un travail d’évaluation scientifique, largement plus intéressant et opérationnel qu’un jugement moral entre le Bien et le Mal
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Après le temps des chasseurs cueilleurs sont venues la sédentarisation et l’agriculture.
L’agriculture consiste fondamentalement à remplacer une végétation naturelle peu productive à l’hectare ( obligeant à de nombreux et longs déplacements pour cueillir ce qui s’y trouve de consommable ou utilisable ) par des cultures, qui concentrent en un même lieu une plus grande quantité de production utile.
La même démarche est celle de l’élevage, remplaçant des espèces sauvages par leurs équivalents domestiqués. Reléguant du même coup les espèces sauvages chassées du rôle alimentaire et utilitaire essentiel et vital à un rôle accessoire récréatif, décoratif, contemplatif, religieux, voire de concurrents pour les pâturages, ou de nuisibles des cultures.
Les systèmes d’élevages et de cultures dépendent autant des conditions pédoclimatiques que les écosystèmes naturels qui les ont précédés.
Par exemple des sols calcaires séchant en été ne conviennent pas au Maïs. Mais ils sont bien adaptés aux cultures d’hiver céréalières et Colza. A l’inverse, beaucoup de cultures de Maïs sont actuellement portées par des terres autrefois en marais, parce que l’eau est très proche de la surface, et facilement accessible au Maïs qui en a besoin en été.
La nature ayant horreur du vide une foule de plantes se sont installées spontanément dans les champs à la faveur des défrichements et du « nettoyage » et ont accompagné les cultures, dès les origines de l’agriculture. Ce sont pour la plupart les héritières de plantes existant dans les écosystèmes naturels, qui se sont adaptées aux cycles des cultures et aux pratiques culturales des agriculteurs, en particulier le travail manuel puis mécanisé du sol, labour, hersage, binage, sarclage… Sans demander leur avis aux cultivateurs. Dès les origines, ceux-ci ont donc été confrontés à un dilemme. Laisser pousser dans leur champ ces plantes dites adventices. Ou les enlever ? Et comment ?
Hélas, la première option à pour effet de n’avoir pas du tout de récolte où très peu. Car les adventices sont beaucoup mieux adaptées à se développer, de par leur nature sauvage, que les plantes cultivées. Qui, elles, ont besoin du paysan pour bien se développer.
Il y a, certes, de nombreuses plantes sauvages nourricières dans le milieu naturel. Mais avec quel rendement ? La production par hectare est extrêmement faible. C’est d’ailleurs pour ça que nos ancêtres se sont mis à cultiver les plantes sauvages qui les intéressaient et se prêtaient bien à la culture. Comme l’ancêtre du blé dans le bassin mésopotamien, le riz en Asie, le maïs en Amérique centrale.
En bref, l’enjeu des agriculteurs (et donc aussi des consommateurs, même de ceux qui l’ignorent) est d’obtenir une récolte d’une plante cultivée.
Pour cela, il faut semer et nourrir la culture et la protéger jusqu’à la récolte.
La nutrition des plantes est une problématique importante liée à la biodiversité et au fonctionnement des sols, très technique et complexe, qui pourra être traitée dans un article spécifique. Nous nous bornerons aujourd’hui à la réflexion la plus facile, celle de la protection des cultures.
Pour toute culture, sous toutes les latitudes, la lutte permanente pour sauver les cultures de la concurrence féroce des adventices est toujours le défi numéro un de tous les paysans du monde.
D’où l’appellation de celles-ci en langage commun : « mauvaises herbes ».
Les autres fléaux des cultures sont les organismes parasites, maladies fongiques, champignons, moisissures, virus insectes, nématodes, oiseaux, rongeurs, herbivores. La liste est presque infinie. Toutes cette biodiversité est extrêmement variée, abondante. Elle se nourrit des plantes cultivées.
Et si la laisser faire réduit leur production à néant ou à très peu de chose, elle endommage aussi la qualité sanitaire. Par exemple, les mycotoxines sont des toxines naturelles produites par les maladies cryptogamiques (champignons parasites des cultures). Elle rendent les céréales inconsommables, rendant malades les êtres humains ou les animaux qui s’en nourrissent, éventuellement jusqu’à la mort. Cette biodiversité-là est nuisibles aux cultures, donc à l’alimentation et à l’humanité.
Le défi des rendements en récoltes saines était, jusqu’au 20e siècle, de produire chaque année plus que la quantité nécessaire à la semence pour l’année d’après. Soit pour le blé plus que les 120 kg/hectare (1.2 quintaux/ha) nécessaires pour ressemer.
Du 15ème au 18ème siècle les rendements agricoles moyens sont de 5 pour 1 : quand on sème 120 kg de blé/ha, on en récolte 600 kg/ha. Il faut 320 kg de blé panifiable par an pour nourrir un individu. Source Wikipédia.
La production était limitée par les moyens disponibles pour nourrir les cultures (engrais) et les protéger.
Les famines arrivaient fréquemment dès qu’une mauvaise récolte ne permettait pas de passer l’hiver jusqu’à la prochaine récolte l’année suivante.
Les raisons pouvaient en être (hors les guerres ou les impôts exagérés) un climat trop pluvieux ou trop sec, trop froid ou trop chaud, des difficultés de désherbage à cause d’un manque de main d’œuvre ou d’animaux de traction, des attaques de maladies cryptogamiques, d’insectes, oiseaux ou autres animaux, le manque d’engrais.
Sans moyen efficace de protéger efficacement les cultures, les récoltes étaient peu abondantes, aléatoires et très dépendantes des conditions de l’année.
Faisons un saut dans le temps.
Le rendement moyen par hectare de blé en France en 2021 a été de 73 quintaux/hectare. Il a donc été multiplié par 12 depuis le 18 ème siècle.
On sème actuellement en moyenne 150 kilos pour récolter 7300 kilos donc pour 1 kg semé, on en récolte 48, contre 5 kg récoltés pour 1 kg semé au 18ème siècle.
Ceci pour rappeler que l’enjeu des agriculteurs est de produire des récoltes pour nourrir nos concitoyens et non de produire de la biodiversité sauvage spontanée ou nuisible aux cultures.
Si la population actuelle de 8 milliards d’individus est à peu près correctement nourrie, c’est grâce à ce gigantesque saut quantitatif et qualitatif des productions agricoles. Ce qui a permis cette explosion de la production agricole, c’est la mise au point de toute une série de techniques, destinées à augmenter le rendement où améliorer les qualités sanitaires où technologiques des cultures destinées à l’alimentation ou à d’autres usages.
Ont ainsi été mis à contribution la génétique, la nutrition des plantes, la chimie des engrais et des produits phytosanitaires, la mécanisation, l’irrigation, le numérique… liste non-exhaustive.
Parmi ces techniques, un enjeu particulier est celui de la place de celles qui protègent les cultures des parasites et des mauvaises herbes.
Pour des raisons que nous n’évoquerons pas ici faute de place, un mode de pensée et de culture est venu mettre en cause le schéma d’augmentation des rendements agricoles et d’utilisation des techniques le permettant. Il s’agit de l’agriculture biologique (AB), de son petit nom « Bio ». Bien que peu représenté en surface et en volume, ce mouvement issu des pays industrialisés ayant intensifié la production agricole, s’est doté de normes officielles, les cahiers des charges de l’Agriculture Biologique, et d’un arsenal de communication valorisant auprès de ses clients ses spécificités. Celles-ci sont essentiellement le refus d’utiliser des semences issues de méthodes modernes de génie génétique (transgenèse, CRISP…), des engrais et produits phytosanitaires issus de synthèse.
L’agriculture biologique utilise cependant aussi des produits phytosanitaires, issus de plantes et même de réactions chimiques, comme le sulfate de cuivre, ce qui fait que la logique du refus est plus à trouver dans l’histoire du mouvement et la sociologie de ses acteurs que dans l’agronomie rationnelle. .
Un des résultats de ce refus est une efficacité moindre de la nutrition des cultures, sur les mauvaises herbes et parasites. Et donc des pertes de récoltes plus ou moins importantes. Autant en jardinage ou en micro-maraîchage, les pertes peuvent être réduites par un travail humain très intensif, autant dans les grandes cultures mécanisées, les pertes sont importantes. Le rendement moyen d’un blé en AB en France est de 45 quintaux/hectare, à comparer aux 73 quintaux/hectare en culture conventionnelle. Pour les producteurs, la rentabilité peut être bonne si les prix de vente sont plus élevés.
C’est au niveau macroéconomique que la perte de production extrêmement importante a un impact colossal. La production de 100 kilos de blé Bio nécessité 222 m². La production de 100 kilos en conventionnel nécessite 137 m². En conséquence, la production de la même quantité de grains en AB nécessite 67% de surface de plus qu’en conventionnel.
Pour produire la même quantité qu’actuellement en AB, il faudrait défricher 67% de la surface actuellement utilisée par l’agriculture. Évidemment, toutes les productions ne sont pas également affectées, mais le manque de terre serait quand même énorme.
Ceci est le premier impact, massif, de la conversion à grande échelle de l’agriculture conventionnelle en Agriculture Biologique, dans la ligne de la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne.
Nous espérons avoir montré clairement que les politiques Européennes actuelles New Deal, Farm to Fork, sous prétexte de « restaurer la Biodiversité », sont à ce titre en réalité des catastrophes écologiques massives condamnant à l’extinction définitive le peu qu’il nous reste en Europe d’écosystèmes naturels ou semi-naturels, et toutes les espèces menacées qu’ils abritent.
Il est paradoxal et totalement aberrant que dans le même temps l’Union Européenne condamne l’Agriculture productive qui nourrit les humains et permet de sauvegarder quelque espace pour la Nature, et autorise les dérogations automatiques aux Directives de Protection de la Nature et des espèces protégées en autorisant systématiquement et sans recours l’installation de complexes industriels éoliens et solaires au sol qui artificialisent massivement les sols de territoires ruraux et forestiers les plus riches en biodiversité, et détruisent en quantité la faune ailée, oiseaux, chauve-souris, isectes, et la faune marine en offshore, ainsi que leurs habitats.
La « Biodiversité » a bonne presse et tout le monde politique, communicant et militant s’en réclame. Mais force est de constater que la Nature n’a jamais été autant menacée, par ceux-là même qui prétendent la protéger des activités humaines. La sixième extinction est en marche à grand pas, mais les vrais coupables ne sont pas ceux qui sont généralement désignés à la vindicte publique.
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