Avec l’été qui vient Europeanscientist vous propose des recensions d’ouvrages qui permettent d’ouvrir la réflexion par rapport aux sujets liés à la politique scientifique. Pour commencer voici donc une note de lecture proposée par Guy Waksman, spécialiste de l’agriculture innovante, qui nous propose ici un livre témoignage : Nos racines paysannes, Louis et Lucienne, Souvenirs d’agriculteurs de Pierrick Bourgault, paru aux éditions Ouest France. Un ouvrage qui permet de mettre en perspective les progrès accomplis par le secteur agricole.
« Je m’étais dit que jamais je n’épouserai un paysan, c’est raté. » Échange complice entre Lucienne Lebourdais, 93 ans, et celui qui est devenu son mari en 1948, Louis, aujourd’hui âgé de 97 ans. Leur rencontre remonte à juste après la Seconde guerre mondiale. « C’était à l’occasion d’une kermesse organisée par la Jeunesse agricole catholique », raconte-t-elle. Comme souvent, à l’époque, en milieu rural.
Ces alliés de toujours vivent aujourd’hui dans une résidence autonomie au Mans (Sarthe), un petit appartement « tout confort » à leurs yeux mais pas plus luxueux qu’un HLM, normalement chauffé et avec l’eau chaude au robinet… Loin des conditions dans lesquelles leur vie de couple a démarré. Sans eau, ni électricité, dans la ferme de 8 ha des parents de Louis, à Prévelles, un village situé à 33 km au nord-est du Mans (Sarthe).
Leur histoire est retracée dans le dernier ouvrage du journaliste et agronome Pierrick Bourgault intitulé « Nos racines paysannes ». Loin des clichés sur les paysans, ce récit est aussi l’histoire d’un couple qui a vécu l’évolution incroyable, quasi-miraculeuse, du travail de la terre.
Pour présenter ce beau témoignage, empreint de beaucoup d’émotions, quelques phrases prises un peu hasard annoncent la couleur : non, ce n’était pas mieux avant ! Ou comme on dit plus précisément en anglais : « Nothing is more responsible for the good old days than a bad memory » (seule une mauvaise mémoire nous permet d’évoquer le bon vieux temps).
– Je me révolte contre ces écrivains nostalgiques d’un monde paysan qu’ils n’ont pas connu.
– À force de parler du bon vieux temps, de prétendre que c’était mieux hier, on oublie de préparer demain.
– Pour Lucienne, le rapport de notre XXIème siècle à la nature est étrange.
– En réalité, on mangeait presque pareil toute l’année.
– On a réussi à résoudre la plupart des problèmes courants qui ruinaient nos parents ? C’était passionnant.
– Mon père a été emmené par son cheval dans sa carriole et enterré dans un cercueil fabriqué avec son chêne.
– Je crois dans le Dieu de mon enfance, mais pas comme on me l’a enseigné.
– Le vélo a élargi notre territoire à une quinzaine de kilomètres à la ronde.
– Ce qui nous a rendu heureux, même si on la méprise parfois aujourd’hui, c’est la modernité.
– Lors du remembrement, on a été bien soulagés de boucher les mares avec des souches (histoire de ne plus voir les enfants s‘y noyer !).
Ce livre de l’excellent Pierrick Bourgault est étonnant : en le lisant, reviennent à la mémoire les souvenirs de l’ouvrage de référence sur le monde rural français qu’est « La fin des terroirs, 1970-1914 », de l’américain Eugen Weber, édité chez Fayard.
Nous pouvons très bien vivre aujourd’hui en ignorant comment vivaient les paysans français il y a 150 à 100 ans (E. Weber) ou comment les paysans français vivaient il y a 70 ans (P. Bourgault). Mais ce serait renoncer à chercher à comprendre d’où nous venons et probablement où nous allons. Ce n’est tout de même pas pour rien que pour évoquer cette petite partie du monde à l’extrémité occidentale de l’Eurasie, on parle de notre « vieille Europe », si riche de sa misère oubliée, et de tous ces souvenirs souvent durs, souvent cruels qui encombrent notre mémoire.
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