European Scientist a pu interviewer Jean-Pierre Jégou, Président de l’Académie Vétérinaire de France depuis début 2021, après cinq années passées au poste de Secrétaire Général, de cette prestigieuse association fondée le 12 janvier 1928. Actualité des connaissances sur la Covid chez les animaux domestiques et législation européenne sur les modifications ciblées du génome, Crispr-Cas9, voici les grands sujets que nous avons pu aborder lors de cette rencontre.
The European Scientist : Deux rapports récemment publiés ont trouvé la première preuve que les chiens et les chats peuvent être infectés par B.1.1.7 , un variant de la Covid-19. Les animaux semblent également impactés par la pandémie, pouvez-vous nous donner quelques précisions ?
Jean-Pierre Jégou : De nombreuses espèces animales domestiques sont depuis longtemps concernées par des coronaviroses (oiseaux, bovins, porcs, chiens, chats,….). C’est ainsi que le premier Coronavirus isolé le fut par un vétérinaire chez les oiseaux (bronchite infectieuse aviaire en 1937). Certaines espèces y échappent cependant, ce sont les arthropodes, les poissons et on doit noter l’absence de Coronavirus spécifique chez les petits ruminants ou les primates (S. Le Poder , S. Zientara : Contamination des animaux de compagnie ou d’élevage par le Sars-CoV-).
Le fait que des animaux de compagnie en particulier puissent être infectés par le SARS-CoV-2 était attendu et a été rapporté dès le début de la pandémie dans une publication de Éric Leroy, un des membres de notre académie (Transmission du Covid-19 aux animaux de compagnie : un risque à ne pas négliger.)
La protéine S de la spicule du SARS-CoV-2 possède une affinité pour le récepteur ACE2 du chien qui peut être contaminé par quelques Coronavirus spécifiques peu pathogènes. Le chien est bien sensible au SARS-CoV-2, avec d’autres espèces animales comme le chat, le furet ou le vison. Très tôt au début de la pandémie, ces espèces ont été reconnues comme sujettes à une contamination naturelle par le SARS-CoV-2 chez des animaux vivants au contact de propriétaires malades de la Covid-19, dans différents pays (Belgique, Chine, Etats-Unis, France, Pays-Bas). Des félidés sauvages (tigres, lions et puma) ont également été contaminés. Pour les cas récents que vous mentionnez, il s’agit de chiens et de chats malades contaminés par le variant britannique. Ils ont été atteints d’affections cardiaques du type myocardites avec des symptômes variés de trouble du rythme ou d’insuffisance cardiaque. Ils ont donc exprimé une forme plus sévère qu’avec la souche initiale. Ils ont pour la plupart survécu au traitement médical sans contaminer d’autres animaux ou personnes de leur entourage. Le fait que ces animaux atteints de myocardite le soient par le variant britannique à l’image de ce qui se passe chez l’être humain n’a pas manqué d’interroger. Cette situation incite à s’assurer des réservoirs pour des variants du SARS-CoV-2 ne puissent pas se constituer sans qu’ils soient identifiés. Cela implique une prise en charge en matière d’épidémio-surveillance. Notons cependant que depuis le début de la pandémie, Éric Leroy et al n’ont pas été infirmés dans leur hypothèse de départ. Dès les premiers cas, l’excrétion virale de ces animaux domestiques ne semblait pas suffisante pour infecter à leur tour d’autres membres du foyer familial ou d’autres animaux rencontrés lors des promenades. En revanche, chez les visons, dans des conditions particulières d’élevages avec forte concentration d’animaux, une contamination initiale d’origine humaine a pu se compliquer d’une contamination humaine en retour par un variant apparu chez le vison alors même que ce variant aurait pu échapper à l’effet de la vaccination. Éric Leroy et al (2020) ont préconisé de mettre en place urgemment les mesures de surveillance généralisée dans le cadre d’Une seule santé ».
Le 25 novembre 2020, un Avis commun « Académie nationale de Médecine, Académie Vétérinaire de France, sur le SARS-CoV-2 : sensibilité des espèces animales et risques en santé publique » était publié. Mes consœurs et confrères Jeanne Brugère-Picoux, Yves Buisson et Jean-Luc Angot, faisaient une analyse exhaustive des cas de contamination d’animaux domestiques et de la faune sauvage par le SARS-CoV-2 dans des conditions naturelles et expérimentales. La préconisation était de surveiller toute nouvelle mutation du SARS-CoV-2 dans la protéine S, qu’elle soit liée au vison ou non. Il s’agissait de pouvoir adapter les vaccins à ces mutations comme cela a eu lieu en médecine vétérinaire pour la bronchite infectieuse aviaire depuis des décennies.
Enfin pour revenir sur la contamination des chiens, soyons vigilants car des recombinaisons génétiques entre des variants du SARS-CoV-2 et des Coronavirus de chien pourraient s’accompagner d’une adaptation du virus au chien avec réplication accrue de ces recombinants et possible contamination canine et/ou humaine. Comme le souligne également l’Avis commun de l’ANM et de l’AVF, on devine tout l’intérêt de travailler dans un contexte « Une seule Santé » afin de développer des stratégies efficaces de lutte contre la pandémie de Covid-19. C’est également ce que confirme une toute récente étude à plus large échelle dans le sud de la France. Cette étude sérologique est une confirmation de la sensibilité du Chien à une infection par le SARS-CoV2 mais l’hypothèse que des variants avec de multiples mutations dans la protéine Spike avec adaptation du virus au chien n’a pas été démontrée.
T.E.S. : Vous avez récemment adressé une lettre à Ursula Von Der Leyen ; vous attirez l’attention de la Présidente de la commission de l’UE sur l’importance stratégique de la recherche sur l’Edition Génomique pour lutter contre les panzooties de maladies infectieuses chez les animaux de Production. Pouvez-vous nous résumer les grandes lignes de cette lettre ?
J.P.J. : Cette lettre adressée à Madame Von der Leyen était avant tout destinée à dénoncer le caractère obsolète de la Directive 2001/18/CE du Parlement Européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement vis-à-vis du développement des nouvelles technologies d’Édition Génomique telles que celles qui impliquent l’utilisation d’endonucléases programmables (CRISPR-cas9 par exemple). Elle exhorte la Commission à faire évoluer cette réglementation en prenant en compte les productions animales afin de faciliter les recherches indispensables dans l’Union Européenne sur l’Edition Génomique des animaux de production (Mammifères). L’objectif est de sortir la recherche européenne de son cul de sac actuel dans ce domaine. De telles recherches peuvent contribuer à améliorer la santé animale – et la santé publique dans le cas des zoonoses – en permettant d’améliorer la capacité de résistance de ces animaux aux maladies infectieuses dont l’impact économique global est considérable. La méthode de CRISPR-Cas9 (2012) est une révolution technologique facilitant l’édition du génome en médecine animale ou humaine et en agronomie.
L’Académie Vétérinaire est convaincue que certaines des applications pourront contribuer à relever les défis mondiaux urgents tels que la lutte contre les panzooties zoonotiques ou non. Il s’agit de modifier la sensibilité de certaines espèces animales à des maladies infectieuses avec la création de troupeaux entiers résistant à certaines maladies infectieuses dont certaines transmissibles à l’Homme. Plusieurs pays d’Amérique du Nord, la République populaire de Chine et le Royaume-Uni ont déjà produit en 2017 des porcs insensibles au Virus du SDRP (Syndrome de Détresse Respiratoire Porcin), dont les pertes mondiales annuelles induites sont estimées à 2,5 milliards de dollars. En outre, des chercheurs chinois ont produit en 2018 des porcs insensibles au Virus de la peste Porcine Classique.
En ces temps où nous constatons tous les jours la relation étroite et désastreuse entre populations et agents pathogènes : le virus de la COVID 19 chez l’Homme, celui de la Peste Porcine Africaine chez le Porc, l’influenza aviaire chez les oiseaux (poules et canards), celui de la rhinopneumonie dans la filière équine, il serait temps que les responsables politiques arrêtent d’entraver la recherche sur ces problématiques.
Il est bien précisé qu’il ne s’agit pas de l’introduction d’un morceau de génome étranger mais de l’équivalent de variants géniques naturels. Ce sont des techniques réalisées en confinement sur des animaux suivis et identifiés individuellement avec possibilité d’interruption de la technique immédiate si nécessaire. Il s’agit donc bien à ce stade de sauvegarder la recherche Européenne et Française notamment en matière d’Edition Génomique. Elle est devenue très minoritaire (10%) sur le plan mondial et cette situation intolérable met en cause la compétitivité et l’indépendance agro-alimentaire et sanitaire de l’Union. Ce serait un moyen de rendre l’économie de l’UE durable, d’investir dans les technologies respectueuses de l’environnement et de soutenir l’innovation à la sortie de la Covid-19.
T.E.S. : Cette initiative fait suite à un rapport en 2020 sur la modification ciblée du génome des animaux domestiques, pouvez-vous nous résumer brièvement de celui-ci ?
J.P.J. : L’avis de l’AVF de 2020 est en effet accompagné d’un rapport sur les nouvelles techniques permettant d’induire des modifications ciblées dans le génome des animaux domestiques et leurs applications potentielles. Les outils y sont présentés. Les prises de position de l’Académie Nationale de Médecine, le suivi de ce dossier par l’Académie des Sciences, les ouvertures souhaitées par l’Académie d’Agriculture de France et l’Académie des Technologies vis-à-vis de ces techniques de biotechnologie sont rappelées. Enfin la position de l’office parlementaire d’évaluation des risques scientifiques et technologiques (OPECST) en faveur de cette recherche, véritable rupture sur le plan technologique doit être rappelée et soutenue.
L’Avis de l’Académie Vétérinaire de France est très nettement en faveur du développement de projets de recherches faisant usage des technologies modernes d’ingénierie du génome. Il s’agit qu’ils soient encouragés à tous niveaux et financés de façon adéquate sous peine d’entraîner un retard préjudiciable à l’Europe comme déjà évoqué.
L’AVF recommande qu’une législation communautaire adaptée au cas des animaux domestiques génétiquement modifiés voit rapidement le jour afin d’établir un cadre réglementaire qui soit fonction du type de modification génétique et prenne en compte l’évolution rapide de la technologie en ce domaine, de manière à favoriser l’innovation. Cette législation devra tenir compte du fait que la plupart des recherches visant à produire des animaux dont le génome a été l’objet de modifications ciblées n’ont d’intérêt que dans la mesure où elles confèrent effectivement un avantage sanitaire surtout ou de bien-être animal voire économique appréciable.
L’Académie Vétérinaire de France recommande que les projets relatifs à la production ou l’importation d’animaux domestiques dont le génome aura été modifié par réécriture de certains segments d’ADN soient examinés au cas par cas par les instances compétentes et qu’ils fassent l’objet d’un avis scientifiquement fondé, prenant aussi en compte une analyse du degré d’acceptabilité par la société.
T.E.S. : Vous dénoncez la directive 2001/18/CE. D’après vous, elle est « devenue inadéquate et empêche tout développement de projet de recherche ». Quelles sont vos attentes ? Faut-il l’abroger ?
J.P.J. : Notre attente est de remettre en cause toute approche, telle celle de la Cour de justice de l’Union Européenne qui consiste à faire un amalgame entre Organismes Génétiquement Modifiés par introduction de nouveau matériel génétique et Organismes dont le génome a été ré-édité dans des conditions de sécurité avec un bénéfice inestimable notamment sur le plan de la santé animale et publique en relation avec les grandes Panzooties de maladies infectieuses transmissibles et parfois zoonotiques. Nous recommandons donc à la Commission de l’Union Européenne de réviser cette Directive vieille de 20 ans et permettre enfin la possibilité par les organismes de recherche nationaux en particulier d’investir activement.
T.E.S. : Comment expliquez-vous que les lois restent aussi rigides alors que la génomique a fait de tels progrès ? La barrière de la sacralisation des espèces qui était un obstacle pour certains ne devrait plus poser de problème avec le recours à Crispr-Cas9 ?
J.P.J. : Toute nouvelle technique doit tenir compte avec un extrême respect de l’état actuel de génomes issus de millions d’années d’évolution avec des mutations conservées ou non selon les lois de la sélection naturelle. Il s’agit d’autoriser quelques essais encadrés de modifications ciblées du génome protégeant certaines espèces vis à vis d’agents pathogènes pour lesquels aucune solution protectrice notamment vaccinale n’a pu être proposée.
T.E.S. : L’obtention du prix Nobel par Emmanuel Charpentier n’a-t-elle eu aucun effet sur les politiques
J.P.J. : L’attribution du Prix Nobel de chimie 2020 à Emmanuelle Charpentier et à Jennifer Doudna relève certainement de la caution officielle on ne peut plus forte donnée à cette biotechnologie développée à partir de Crispr-Cas9. C’est probablement le potentiel de cette découverte en termes d’applications médicales qui a été récompensé. L’on peut s’attendre à ce que les politiques s’emparent de cette reconnaissance scientifique pour permettre enfin à la Science de s’exprimer également dans ce domaine dans une politique des avancées en y associant toutes les contraintes nécessaires pour empêcher la reproduction des organismes pour qui cette technique pourrait s’avérer dommageable.
T.E.S. : Récemment en France le Ministre Julien Denormandie a déclaré les NBT ne sont pas des OGM. Ne pourrait-il pas appuyer le point de vue de votre lettre à Bruxelles ?
J.P.J. : Oui cette attitude d’ouverture du Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation vis-à-vis des techniques de biotechnologie ne nous a pas échappé le 5 novembre 2020 lorsqu’il s’est exprimé lors de l’Assemblée Générale de l’Union Française des Céréaliers. Le 7 janvier il confirmait face à Agri-Presse son souhait de voir évoluer le cadre juridique européen de ces nouvelles techniques qu’il présentait comme inadapté au cadre scientifique quitte à voir le lobby des anti-OGM se manifester, ce qui n’a pas manqué. Ses discours, sa position cependant ne porte que sur les végétaux et le problème de l’Edition Génomique chez les animaux est ignoré ou occulté. Dès lors, il était en effet important de faire connaitre auprès de la Commission Européenne la position de l’Académie Vétérinaire de France. L’Avis de 2020 de notre académie a été transmis a plusieurs membres du Cabinet du Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation de l’époque, Monsieur Didier Guillaume. Ils avaient bien exprimé une réserve davantage liée à un doute sur l’acceptation sociétale qu’à une réticence scientifique véritable. Le temps de la clarification et de la prise de responsabilité pour permettre à une science éclairée de distiller ses bienfaits pour nos sociétés parait enfin venu.
En savoir davantage sur l’Académie Vétérinaire de France :
L’Académie Vétérinaire de France est instituée par décret du 12 janvier 1928. Elle est issue de deux associations parisiennes indépendantes fondées en 1844, puis de leur fusion en 1848 sous le nom d’Association Centrale de Médecine Vétérinaire, reconnue d’utilité publique par décret du 16 avril 1878. Constituée de 180 membres environ, le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation en est le Président d’Honneur. Jean-Pierre Jegou en a pris la présidence au début de l’année 2021.
L’Académie Vétérinaire de France étudie tous les sujets relatifs aux domaines scientifiques, techniques, juridiques, historiques et éthiques où s’exercent les compétences du vétérinaire, en particulier ceux se rapportant aux animaux, à leurs maladies, à leurs relations avec l’homme et l’environnement, aux productions animales et à la Santé Publique Vétérinaire. Elle contribue à la diffusion des progrès des sciences et au perfectionnement des techniques ayant trait aux activités vétérinaires. En rédigeant des Avis, l’Académie Vétérinaire de France conseille les pouvoirs publics et éclaire l’opinion dans des domaines de compétence qui concernent chaque année un peu plus nos concitoyens : Bien Être animal, Recherche scientifique, pandémies et zoonoses, Une seule Santé, Biodiversité, sécurité de la chaîne alimentaire, formation des vétérinaires…. C’est ainsi qu’elle a donné son Avis sur le recours aux modifications ciblées du génome chez les animaux domestiques dès le 20 juin 2019. L’Académie développe des relations techniques et scientifiques, nationales ou internationales entre les vétérinaires et les autres acteurs des sciences de la vie et de la santé. Elle est membre de la Fédération Européenne des Académies de Médecine (FEAM) de même qu’elle travaille de façon étroite avec les autres académies médicales et scientifiques françaises. En France elle est membre de la Fédération BioGée (mot inventé par Michel Serres en référence à Bio, la Vie et Gée, la Terre). Il s’agit d’un groupe de sociétés scientifiques, d’Académies, d’associations d’entreprises et de sociétés d’enseignants qui a souhaité initier un mouvement collectif parmi les Sciences et technologies du vivant, de la santé, de la Terre et de l’environnement, pour défendre les apports de ces disciplines dans les crises auxquelles se trouve confrontée la société française.
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