Comme chaque année, le salon de l’agriculture est l’occasion d’un état des lieux. Cette année les chroniqueurs ont lancé des avertissements à tour de bras : la géographe Sylvie Brunel annonce « la France, après s’être désindustrialisée, mais être revenue au principe de réalité dans l’énergie, se désagriculturalisera inéluctablement et rejoindra l’immense groupe des pays sans souveraineté alimentaire. » (1). L’agriculteur et essayiste Jean-Paul Pelras a dénoncé les écologistes qui profitent du prisme médiatique offert pour « condamner » l’agriculture conventionnelle, « car c’est bien évidemment en la stigmatisant que cette activité finira par lâcher prise pour céder sa place au rouleau compresseur des marchandises importées. » (2). Jean-Baptiste Moreau éleveur et macroniste, interviewé par Géraldine Woessner a affirmé « Notre agriculture est en danger de mort » (3). Le chef d’état-major de la Marine nationale a appelé à « un réarmement agricole et naval » (4) . Marion Maréchal a scandé que « Macron préparait un nouveau Fessenheim agricole » (5). Quant à David Lisnard ayant joliment titré que « Ce qui est bon pour l’agriculture est bon pour les Français, bon pour la France et bon pour la planète », il n’a pas oublié de rappeler que « Si l’on n’y prend pas garde, l’agriculture française pourrait bien suivre le même sort que notre industrie. Ce qui serait un immense gâchis. Le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 60 % en 30 ans » (6) .Ces personnalités sonnent le tocsin sur une situation qu’on semble découvrir. Tout cela était pourtant prévisible de longue date, même s’il est encore temps d’éviter le pire comme le montrent certains auteurs publiés sur Europeanscientist et que je vous invite à lire en résumant les thèses dans cet édito.
Remettre la science prométhéenne au coeur de l’agriculture
Selon moi, l’agriculture française a commencé à décliner lorsque l’idéologie écologiste a mené sa première bataille contre l’innovation en remettant en cause l’utilisation des OGM à la fin des années 90. Le bilan de cette offensive qui a eu lieu il y a plus de vingt ans désormais est que notre pays qui était en tête sur la R&D sur le secteur des biotechnologies végétales est désormais à la traîne, ce qui ne l’empêche pas pourtant d’en importer et d’être totalement dépendant. C’était une première faille dans la coque d’un rutilant paquebot connu pour son dynamisme et son caractère innovant. Le bilan de cette bataille menée par les idéologues anti-OGM présente un solde totalement négatif pour notre agriculture et notre agro-industrie comme le montre l’ouvrage de Catherine Regnault Roger… Ce d’autant plus que les progrès technologiques aidant, de nouvelles solutions sont désormais possibles et nous disposons de suffisamment de recul pour implémenter ces innovations ; oui mais voilà la loi européenne fait obstacle et la directive 2001-18 est totalement désuète et inadaptée. Il suffirait alors de modifier la réglementation sur les modifications ciblées du vivant… le gouvernement français s’il fait les bons choix peut encore rattraper les erreurs commises par le passé. Il pourra remettre sur son piédestal cette science prométhéenne que l’écologisme avait fait tomber (7).
Ne pas se laisser envoûter par « la science des législateurs »
Comme nous le montrons dans notre nouvel ouvrage, Greta a ressuscité Einstein (8), nous avons récemment vécu un changement de paradigme. Sous l’influence conjointe du principe de précaution et de l’idéologie écologiste nous avons assisté à une récupération politique de la science… une opposition entre la science des législateurs et la science des ingénieurs (ou des agriculteurs) a vu le jour : on préfère créer des interdits plutôt que d’avoir recours au technosolutionnisme. Concrètement, il en est fini des révolutions vertes à la Norman Borlaug pour nourrir l’humanité ou encore des Plans Mesmer pour assurer l’indépendance énergétique tels que nous les avons connus dans les années 70. Le planisme politique vise désormais à utiliser la science pour créer de nouvelles limites écologiques et organiser la décroissance… Au niveau de l’UE, il suffit de se pencher sur F2F ou le Green Deal qui cumulent les obstacles pour l’agriculture européenne. C’est ainsi que les interdits s’amoncellent sur les intrants au mépris par exemple de la filière betterave comme nous l’explique Gil Rivière Wekstein. Mais il y a un mouvement beaucoup plus insidieux. Pour mieux arriver à leur fins les idéologues instaurent en sourdine une « algorithmocratie », sorte de régime fictif qui s’appuie sur les labels pour mieux implémenter certaines idéologies dans l’opinion. C’est ainsi que nous voyons se multiplier les scores et comme nous l’explique Philippe Stoop, l’industrie du bio fait des pieds et des mains pour imposer l’eco-score contre le certificat HVE . Autre argument qui nous met la puce à l’oreille sur l’idéologie décroissante qui avance masquée, les réponses biaisées de ChatGPT : comme nous le montre Gérard Rass qui a cuisiné, ce moteur de conversation semble avoir oublié la priorité de la sécurité alimentaire pour se concentrer sur les seuls problèmes environnementaux… en d’autres termes pour cette IA que beaucoup vont utiliser comme une source de référence, l’agriculture n’aurait plus pour fin de nourrir l’humanité. N’est-ce pas alors signer la fin de l’agriculture ?
Reprendre les choses en mains, communiquer et expliquer
J’ai commencé cet édito en citant les lanceurs d’alerte qui signalaient les dangers courus par l’agriculture française. Sans nier les problèmes, il est beaucoup trop tôt pour enterrer cette dernière.
Il est encore temps de prendre les choses en main pour cela il suffit d’une part de refaire confiance à la science prométhéenne pour apporter les meilleures solutions agricoles au service de l’homme et de l’environnement et d’autre part, ne pas se laisser impressionner et résister aux idéologues qui s’appuient sur la législation pour passer de nouvelles lois qui ne profiteront ni à l’humanité ni à l’environnement. Pour cela l’effort pédagogique est conséquent. Et surtout, il faut faire feu de tous bois pour ne pas laisser le monopole de la politique scientifique à l’écologisme.
Ayant connaissance des obstacles qui se dressent sur leur chemin, les agriculteurs Français ont l’avenir entre leurs mains. Ils ont compris qu’ils devaient s’organiser par eux-mêmes en communiquant directement auprès du grand public pour renouer une confiance perdue à cause des campagnes d’agribashing menées conjointement par certains médias et les ONG.…C’est la mission que s’est fixée, par exemple, une association comme France Agri Twittos (9) qui entend communiquer à destination du grand public pour expliquer le métier de plus en plus complexe. C’est aussi l’objectif d’une revue comme Paysans et société (10) qui traite des sujets agricoles de fond en comble. En bref, l’effort de communication et de vulgarisation est conséquent pour réussir à toucher directement le grand public qui coupé de ses racines paysannes se pose des quantités de questions.
- https://atlantico.fr/article/decryptage/sylvie-brunel-apres-s-etre-desindustrialisee-la-france-semble-bien-partie-pour-se-desagricultiriser
- https://www.lepoint.fr/debats/salon-de-l-agriculture-un-coup-de-projecteur-pour-les-paysans-et-pour-les-ecolos-03-03-2023-2510719_2.php
- https://www.lepoint.fr/politique/jean-baptiste-moreau-notre-agriculture-est-en-danger-de-mort-25-02-2023-2509956_20.php
- https://www.lepoint.fr/environnement/souverainete-quand-la-marine-nationale-fait-front-avec-les-agriculteurs-02-03-2023-2510639_1927.php
- https://www.valeursactuelles.com/politique/tribune-marion-marechal-macron-prepare-un-nouveau-fessenheim-agricole
- https://atlantico.fr/article/decryptage/ce-qui-est-bon-pour-l-agriculture-est-bon-pour-les-francais-bon-pour-la-france-et-bon-pour-la-planete-nouvelle-energie-salon-2023-agriculteurs-mesures-solutions-france-paysans-moyens-france-pac-david-lisnard-yves-d-amecourt
- Jean-Paul Oury, Greta a tué Einstein (VA éditions 2020) https://amzn.to/3IRsU0G
- Jean-Paul Oury, Greta a ressuscité Einstein (VA éditions 2022) https://amzn.to/3SPtwZy
- France Agri Twittos https://franceagritwittos.com
- Paysans et société https://www.cairn.info/revue-paysan-et-societe.htm
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Petite précision : Sylvie Brunel n’est pas géologue mais géographe et présidente de la Société Française de Géographie.
Merci. Voici son CV : Professeur de géographie à la Sorbonne, Sylvie Brunel a travaillé pendant dix-sept ans dans des ONG, comme Médecins sans frontières et Action contre la faim. Spécialiste des questions de développement, elle s’intéresse particulièrement aux enjeux de sécurité alimentaire.