Le projet de directive sur les lanceurs d’alerte de la Commission européenne prévoit une protection accrue pour ses derniers. Il contrebalance ainsi la directive sur le secret des affaires, adoptée en 2016, qui faisait craindre pour leur sort.
Lundi 23 avril, la Commission européenne a présenté son projet de directive sur la meilleure protection des lanceurs d’alerte. A cette occasion, Frans Timmermans, premier vice-président de l’éxécutif européen et Vera Jourova, commissaire à la justice ont pu détailler des mesures visant à garantir un « niveau élevé de protection » aux personnes signalant des violations du droit européen. Le projet, inspiré de la résolution de l’eurodéputée Virginie Rozière surprend par son ambition, alors que la Commission s’opposait il y a à peine deux ans. « On sent [que la Commission] a pris conscience qu’il lui fallait redorer son blason, tant en matière d’indépendance à l’égard des entreprises que de lutte contre les conflits d’intérêts ou de transparence », commente cette dernière.
« La protection des lanceurs d’alerte contribuera aussi à la sauvegarde de la liberté d’expression et de la liberté des médias, et elle est essentielle à la protection de l’État de droit et de la démocratie en Europe », explique le Communiqué de Presse de la Commission Européenne.
Le rôle social des lanceurs d’alerte n’est plus à prouver. Ils ont mis à jour des situations illégales, visant par exemple l’optimisation fiscale (Luxleaks, Panama papers…) ou la falsification de contrôles anti-pollution (Dieselgate). Tous ont tiré la sonnette d’alarme, à leurs risques et périls. « Devenir lanceur d’alerte peut énormément servir l’intérêt général, mais il est sûr qu’il est relativement rare que cela se termine bien pour le salarié » explique Marie-Noëlle Auberger, ex-secrétaire nationale de l’Union confédérale des cadres. « Si votre cas n’est pas considéré comme relevant du lancement d’alerte, vous pouvez notamment être poursuivis pour dénonciation calomnieuse, avec à la clé des sanctions potentielles au pénal. »
Jusqu’à présent, l’UE avait été plutôt réticente à les protéger. L’article 5 de la directive sur la protection du « secret des affaires » prévoyait une protection ceux qui violaient le « secret des affaires », mais uniquement s’ils ont « agi pour protéger l’intérêt public général ». Cette exception désigne les seuls cas où il s’agit de révéler une « faute, une malversation ou une activité illégale ». Mais cette fois, le projet de directive pose une définition large du terme lanceur d’alerte ainsi que du champ d’application de la protection (tant les services financiers, les marchés publics que la protection des consommateurs sont ainsi concernés). L’eurodéputée allemande Julia Reda, du parti Pirate, qui s’est réjouie sur Twitter : « Cette fois-ci, la Commission est vraiment au service de l’intérêt public. »
« La directive sur les lanceurs d’alerte est également un exemple sans précédent d’initiative législative dirigée par les citoyens » selon Alberto Alemanno, professeur titulaire de la chaire Jean Monnet, HEC Paris. Il rappelle que le projet a été « porté par des organisations de la société civile, des universitaires » et a bénéficié du soutien de longue haleine du parlement européen. Il n’est pas non plus dans l’intérêt de Bruxelles de pénaliser les lanceurs d’alerte. D’après une étude de la Commission, les faits de corruption non dénoncés dans les marchés publiques représentent 6 à 10 milliards d’euros chaque année.
« Les deux textes sont complémentaires », estime au contraire Virginie Rozière. « La directive sur le secret des affaires offre des garde-fous pour les lanceurs d’alerte et prévoit une primauté de l’intérêt général européen sur le secret des affaires. L’enjeu sera que cette même primauté se retrouve écrite noire sur blanc également dans la directive sur les lanceurs d’alerte, à l’issue des négociations avec le Parlement européen et le Conseil. » A noter que le texte doit encore être adoptée par le Parlement et les chefs d’Etat avant d’entrer en vigueur.