Le projet européen de taxe sur le numérique divise les états membres, alors que l’échéance pour la directive approche. Certains demandent une solution globale négociée à l’OCDE.
La question de la taxation des « Gafam » (Google – groupe Alphabet – Apple, Facebook et Amazon ou encore Microsoft), entreprises multinationales qui échappent à l’impôt grâce à d’habiles montages fiscaux, divise les européens. Devenue un véritable serpent de mer, cette directive devrait en principe être adoptée en décembre 2018 au dernier Conseil européen de l’année. Elle viserait les entreprises du numérique engrangent des revenus annuels de 750 millions d’euros ou plus et instaurerait une taxe de 3 % sur leur chiffre d’affaires réalisé au sein de l’Union européenne.
Le texte est porté par le ministre de l’économie français, Bruno Le Maire, le ministre autrichien des Finances, Hartwig Löger, dont le pays détient actuellement la présidence tournante de l’UE et le commissaire européen en charge des finances, Pierre Moscovici. Ils soutiennent qu’une telle mesure devrait générer 5 milliards d’euros de revenus fiscaux annuels pour l’UE. En outre, ils soulignent que des initiatives similaires ont été déjà été prises au Royaume-Uni, en Inde et à Singapour et que des projets sont en cours en Espagne et en Italie – deux états membres.
« Les discussions, ça suffit, les palabres ça suffit, les prétextes ça suffit (…) Je veux un accord et surtout je veux une décision » avait déclaré le ministre français le 18 octobre dernier. « Des millions de citoyens aujourd’hui ne comprennent plus l’absence de décision » estimait-il, avant de poursuivre « ce qui coince (…) c’est comme toujours en Europe, c’est le manque de volonté politique (car) tous les problèmes techniques ont été réglés ». Il met aussi en garde contre un cadre légal fragmenté, si États membres s’embarquaient chacun de leur côté dans leur propre projet de taxe.
Mais lors d’une réunion des ministres des Finances à Bruxelles le 6 novembre l’Irlande, la Suède, le Danemark et la République tchèque ont rappelé qu’ils s’opposent clairement à ce projet. Or, les réformes touchant à la fiscalité dans l’UE doivent être approuvées à l’unanimité des Etats membres. Berlin exprime désormais elle aussi des réserves. Le ministre des Finances, Olaf Schultz s’est en effet prononcé en faveur d’une solution internationale (laissée aux mains de l’OCDE). Il s’est toutefois dit favorable à un texte de substitution qui entrerait en vigueur en 2020 faute d’accord international.
Si ce texte divise les états membres, il a également suscité la résistance des acteurs du numérique européen. Mardi 30 octobre, plusieurs grandes entreprises du digital (comme Spotify, Rovio, Booking.com ou Zalando) se sont signés d’une lettre aux ministres européens des finances demandant « de ne pas adopter de mesure qui causerait un dommage matériel à la croissance économique, à l’innovation et à l’emploi en Europe ». Un appel qui vient fragiliser le projet en passe d’être discuté, se prononçant également en faveur d’une solution globale discutée à l’OCDE.
Pourtant, les tenants du texte répliquent que les discussions internationales sont totalement bloquées : « Le travail de l’OCDE sur la taxation de l’économie numérique n’a pas débouché sur suffisamment de progrès, ce qui illustre la nécessité pour l’UE d’avancer sur ce sujet à l’échelle européenne », a soulevé Dariusz Rosati, eurodéputé polonais. Aussi, les partisans de la directive proposent un texte temporaire qui contiendrait une « clause de caducité », selon laquelle la nouvelle taxe européenne prendrait fin dès qu’un accord serait conclu au niveau mondial.