La semaine passée avait lieu à Paris le SIA 2019, nom de code pour la 55e édition du Salon International de l’Agriculture. Cet événement, en plus d’être aimé et plébiscité des Français (1 % de la population hexagonale déambule sur le salon) jouit d’une notoriété européenne et internationale. Aussi, alors que l’agriculture est à un tournant de son existence, il est intéressant de s’interroger sur l’avenir du « salon » et de se demander à quoi il ressemblera en 2050. Cette année toute symbolique représente, comme chacun sait, la date butoir, à laquelle les démographes ont estimé que l’humanité atteindrait le nombre impressionnant de 9 milliards d’individus. Sachant que cela ne sera possible que si l’agriculture réussit ce challenge de continuer à nourrir une humanité toujours plus nombreuse et plus exigeante. D’où cette question fondamentale : à quoi devra ressembler cette agriculture ?
Y aura-t-il toujours une égérie ?
Chaque année la tradition veut que le salon choisisse une vache égérie. Cette année elle s’appelait « Imminence ». Dans trente ans, comment s’appellera-t-elle ? Cette tradition sans laquelle le salon ne serait plus le salon, se reproduira-t-elle encore ? Ou d’autres pratiques auront eu raison d’elle ? Quels scénarios imaginer ?
La viande synthétique qui après d’infructueuses tentatives en laboratoire finira-t-elle par trouver des débouchés industriels qui supplanteront l’élevage animal ? Le véganisme imposera-t-il ses interdits à tous sans autre compromis possible ? L’entomoculture sera-t-elle pratiquée par une humanité trop nombreuse, résignée à manger des insectes ? Soyons-fous : et si l’humanité, prise d’une « conscience subite des origines préhistoriques de son déclin » et largement influencée par les thèses des prophètes plus que par celles des magiciens, se sentait obligée de revenir à l’état de « chasseur-cueilleur » ? Cela n’aurait rien de surprenant quand on lit les analyses de certains archéologues qui voient dans le paléolithique le « début du changement climatique, des risques écologiques et de la crise démocratique. [1]»
Une dernière possibilité enfin, toute simple : l’égérie sera une vache de l’an 2050, elle s’appellera Hal 9000, un clin d’œil au Supercalculateur du film de 2001 L’Odyssée de l’espace (ici pour la cause devenue odyssée de l’espèce) ; ses éleveurs auront choisi ce nom afin de mettre en avant la sophistication des solutions technologiques qu’il a été nécessaire de déployer pour élever cette beauté issue d’une race traditionnelle que la terre entière est venue admirer.
Expliquer aujourd’hui l’agriculture de demain
Et pourtant nul besoin de se projeter en 2050, cette technologie est déjà présente et la maîtrise de celle-ci est, chaque jour qui passe, plus stratégique. Aussi, les efforts de communication pour faire comprendre que l’agriculteur d’aujourd’hui doit ressembler à un ingénieur du vivant pour qui les mots tels que big data, intelligence artificielle, drones, blockchain, IoT… font partie de son quotidien vont être colossaux.
Ainsi dans l’émission Stop Intox sur « Big data et innovation dans les champs : une question de souveraineté ? », le journaliste Pascal Perry pose une question clé à Rémi Dumery, agriculteur spécialiste d’agriculture de précision : « Est-ce qu’il ne peut pas y avoir dans l’esprit du public, une opposition entre d’un côté une agriculture qui serait une agriculture de très haute précision, connectée, un peu scientifique et le bio qui est le truc réclamé par le public ? » La réponse est alors très éclairante : « Moi je communique beaucoup sur l’agriculture de précision, car il ne faudrait pas qu’on nous fasse le même coup qu’avec les OGM ou le glyphosate. Il y a un risque. Mais ce risque est minime. Car on peut entrainer les bio avec moi. Mes voisins qui sont en agriculture bio utilisent les nouvelles technologies. Les nouvelles technologies pour faire du binage de précision avec pilotage par satellite, les bio en sont évidemment friands. »
L’agriculteur expert insiste alors la nécessité d’expliquer tous ces nouveaux usages pour faire dégonfler la peur. Point crucial, il ajoute par ailleurs que certains politiques bloquent des financements pour les solutions technologiques, telles que le digital, l’intelligence artificielle en agriculture, car ils se demandent ce que les agriculteurs vont faire avec ça. Quand on sait le retard pris par l’agriculture de précision dans notre pays, où celle-ci, bien qu’en avance dans les années 1980 n’a été redécouverte que très récemment, en 2015, par les pouvoirs publics, on se dit qu’il y a urgence.
La ferme de 2050 existe déjà
Nous avons du mal à imaginer cette « vache du futur » car quand il s’agit d’agriculture, nous préférons systématiquement nous plonger dans la tradition. Question alimentation, rien ne vaut les bons petits plats d’autrefois. Et quand bien même nous serions prêts à accepter la sophistication du système qui permettra l’élevage de cette vache en 2050, avec toute la chaîne de valeur, nous n’osons pas pousser la fantaisie au point d’en faire un animal fantastique, issue du génie génétique, qui serait muni de pis surnuméraires pour mieux abreuver en lait les terriens assoiffés…
Dans notre esprit, l’innovation agricole doit rester au service de la tradition, qui se manifeste ici au travers de la conservation des races et de leur amélioration, mais aussi au service de l’environnement et d’un écosystème. Or comme nous venons de le voir, la conciliation entre nouvelles technologies de type big data, intelligence artificielle, internet des objets, avec un cahier des charges d’agriculture bio, est tout à fait possible, et on peut même dire que cet avenir a déjà commencé. Certains ont déjà mis en oeuvre cette réflexion, tels que l’illustrent les travaux sur la ferme du futur du professeur Graeme Martin de l’University of Western Australia. Ainsi sur une ferme de 1 600 hectares, son équipe de chercheurs a imaginé « les meilleures pratiques pour 2050 et de commencer tout de suite à transformer la ferme. » L’équipe s’est fixé trois objectifs : le premier est une agriculture plus écologique grâce aux technologies de précision et la robotique. Le second est une gestion des élevages « propre, verte et éthique ». Un dernier objectif enfin est de « restaurer l’écosystème qui a été dégradé par des systèmes de production importés et très mal adapté à nos conditions pédoclimatiques. »
Comme le précise Graeme Martin dans un témoignage recueilli par l’Académie française d’agriculture : « Notre ferme du Futur fait partie d’un réseau mondial avec actuellement une douzaine de fermes réparties sur tous les continents (Inde, Uruguay, Angleterre, Nouvelle Zélande…). Dans ce réseau des fermes du Futur, nous partageons les mêmes questionnements sur l’élevage durable, la biodiversité, l’adaptation aux climats, l’implication des autres agriculteurs. Et naturellement, il n’y a pas une seule réponse. Les pistes sont nombreuses, elles doivent être adaptées aux conditions locales, de sol, de climat… et aux marchés » Cette vision concilie science, technologie et respect de l’environnement et de l’éthique et se trouve à des années lumières des querelles idéologiques stériles. Sans aucun doute le meilleur compromis que l’on puisse imaginer pour arriver jusqu’en 2050.
[1] Dans une tribune parue récemment dans Libération, Thibaut Sardier, cite l’archéologue Jean-Paul Demoule selon lequel « dans le monde entier, les chasseurs-cueilleurs se sédentarisent peu à peu. La domestication de plantes et d’animaux s’amplifie, l’agriculture se diffuse. Conséquence : la population augmente, les villes et les États naissent puis se développent, l’écriture permet de les administrer, des chefs apparaissent, les sociétés deviennent plus inégalitaires, les guerres se font plus nombreuses… Bref, l’humanité telle que nous la connaissons trouve là une bonne partie de ses fondamentaux, pour le meilleur et pour le pire. Si le meilleur a longtemps été privilégié – l’agriculture marquant le début d’un progrès infini de l’humanité -, philosophes, historiens ou géographes opèrent désormais une relecture un peu moins flatteuse, en écho avec notre présent, le changement climatique, les risques écologiques et la crise démocratique. » https://www.liberation.fr/debats/2019/02/27/le-neolithique-aube-de-la-crise-ecologique_1711985?fbclid=IwAR2GZrqef3uwyy4fZcBcWfUWZanQa9jOL6fCOdmmpruhG7KOxwGyLHGYW0Y.
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