Drôle d’été pour le blé. S’il est une céréale qui a fait parler d’elle dernièrement, c’est bien le descendant du triticale : tour à tour victime de la sécheresse, puis super-star de la revue Science, le blé a moissonné les revues de presse, illustrant à lui seul à quel point science et technologie sont, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, intimement liés à l’avenir de notre agriculture et par conséquent de notre société. Voici donc une belle étude de cas.
Une agriculture victime de la sécheresse
La production européenne de blé a connu pendant l’été 2018 une forte baisse avec seulement 136,6 millions de tonnes en 2018 soit 15 millions de tonnes de moins qu’en 2017. Sylvain Poncelet, analyste chez Agritel remarque que l’Europe est coupée en trois grandes régions « Le sud, qui inclut la péninsule ibérique, l’Italie et les Balkans, a connu une récolte correcte. L’ouest, à savoir une bonne partie de la France, le Benelux et la Grande-Bretagne, réalise une récolte décevante, surtout dans les régions où on a eu d’importants excès en eau au printemps, comme dans le sud-ouest de l’Hexagone. Au nord, en Allemagne, en Pologne et dans les pays scandinaves, c’est la désolation. Les chaleurs excessives depuis fin avril ont diminué les volumes récoltés de moitié : du jamais vu. »(1) Au niveau mondial, la production devrait baisser de 30,2 millions de tonnes. La conséquence étant bien évidemment l’augmentation des prix. Si les céréaliers qui voyaient les prix baisser depuis maintenant plus de cinq ans se frottent les mains, les consommateurs, eux, peuvent commencer à se serrer la ceinture. Ainsi, l’analyste poursuit : « Le secteur de l’agriculture et de l’élevage risque de beaucoup souffrir. Le blé ira prioritairement aux hommes, qui ne vont pas cesser de se nourrir. Mais la hausse des prix ne permettra plus de donner du blé aux animaux. Il va falloir remplacer par d’autres céréales. » Or il s’avère que le maïs et le soja risquent également de souffrir de la sécheresse. De ce fait, il est tout à fait probable qu’on rentre dans une période d’insécurité alimentaire. Ajoutons à cela que « La production de blé doit augmenter de 1,6% par an pour répondre à la demande d’une population mondiale projetée à 9,6 milliards d’habitants d’ici 2050 »… Angoisse.
La génomique à la rescousse
Alors que la menace alimentaire se déroule en toile de fond, une heureuse coïncidence vient nous rappeler que l’homme n’est jamais en manque de ressources. En effet, le 17 août 2018, la revue Science a publié un papier qui fera date : « Repousser les limites de la recherche et de la sélection du blé en utilisant un génome de référence entièrement séquencé »(2). Le Consortium International pour le Séquençage du blé apporte un nouvel espoir pour les développements à venir de cette céréale essentielle à l’alimentation humaine dont la production permet de couvrir un cinquième des calories totales consommées par les humains. Cette annonce relève d’un véritable exploit au niveau de la génomique, car jusqu’à présent son génome hexaploïde, composé de trois sous-génomes, de 21 chromosomes et de 85% d’ADN répétitif, entravait l’amélioration génétique de la plante et l’exploitation de son potentiel. Pour Kostya Kanyuka, chercheur en génomique fonctionnelle pour Rothamsted Research, un des responsables du projet « Cela va grandement accélérer nos efforts en vue d’identifier les gènes du blé importants pour l’agriculture, y compris ceux qui pourraient aider à combattre les plus grandes maladies fongiques ». Cette avancée facilitera grandement les développements de nouveaux traits (déjà en cours) tels que : la résistance aux maladie, au sel, les blés « bio-renforcés » (L’université d’Etat de Washington, par exemple, mène actuellement des expériences afin de supprimer la gliadine, une protéine à l’origine de la maladie de coeliaque, qui fait que certains sont allergiques au gluten), et enfin des blés tolérants à la sécheresse. Ce trait, nous l’avons vu dans le premier paragraphe, est fondamental. Notons toutefois qu’au sein de la communauté européennes, les laboratoires qui travaillent sur le blé vont devoir tenir compte d’une décision bien particulière : le 25 juillet, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt qui a pour conséquence de considérer les plantes issues de la mutagenèse au même titre que les OGM (voir notre analyse à ce sujet). Si elle se concrétisait, cette décision pourrait signifier que toutes les nouvelles applications NBT ( New Breeding Techniques) que laissent entrevoir le séquençage de l’intégralité du génome du blé seraient retardées, voire, purement et simplement empêchées par une législation tatillonne. Il se pourrait même que cette décision ait un impact sur une variété de blé bio tel que le blé « Renan » comme le soulignent plusieurs experts.
L’agriculture de précision en ligne de mire
Au mois de Mai de cette année, l’Université d’Australie du Sud a annoncé le lancement d’une nouvelle solution technologique agricole utilisant des drones. Ces derniers permettent de recenser un « index de la végétation » qui donne des informations sur l’état de santé des semences, l’humidité et la contenance en nutriments, aidant ainsi les agriculteurs à améliorer leurs récoltes et les semenciers à créer de nouvelles variétés. Le professeur Stanley Miklavcic, directeur du centre universitaire UniSA de Phénomique (Phenomics ) et de Bio-informatique affirme que la technologie apportera de nombreuses informations aux agriculteurs australiens : « La production de blé est une industrie importante en Australie, pourtant afin de produire du blé australien de grande qualité, dans un climat chaud et sec les fermiers doivent compter sur le développement de variétés résistantes. Lorsque vous cultivez sur le continent le plus sec du monde, il est essentiel de pouvoir identifier des variétés de cultures tolérantes au stress, et c’est là que notre nouvelle technologie peut aider. »(3) Comme l’affirme la plupart des experts, l’agriculture de précision apparait incontestablement comme une solution pour l’avenir. D’autant plus que son développement est accessible à tous, y compris aux plus pauvres en Afrique.
La génomique et l’agriculture de précision au secours du blé et de l’humanité est une belle histoire qui semble se dérouler sur tous les continents. Espérons que celle-ci puisse se poursuivre sans obstacle, y compris sur le continent Européen.
(1) Après la sécheresse, les conséquences d’un blé rare et cher, in l’Opinion, https://www.lopinion.fr/edition/economie/apres-secheresse-consequences-d-ble-rare-cher-158483
(2) The International Wheat Genome Sequencing Consortium (IWGSC), IWGSC RefSeq principal investigators:, Rudi Appels, « Shifting the limits in wheat research and breeding using a fully annotated reference genome », in Science http://science.sciencemag.org/content/361/6403/eaar7191
(3) « Wheat production is an important industry for Australia, yet to produce high quality Australian wheat in a hot and dry climate, farmers rely upon the development of resilient varieties. « When you’re growing crops in the driest continent in the world, being able to identify stress-tolerant crop varieties is critical—and this is where our new technology can help. » https://phys.org/news/2018-05-smart-drones-deep-low-cost-precision.html#jCp
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