Dans le cadre du rassemblement Rise for Climate qui a eu lieu samedi dernier, des milliers de militants se sont regroupés dans plus de 100 pays pour une marche. Leur objectif : interpeler les politiques afin qu’ils prennent des décisions radicales. Cet événement planétaire a permis de sensibiliser l’opinion juste avant la COP24 qui aura lieu à Katowice en Pologne dans trois mois. En France, la veille de l’événement un collectif de 700 scientifiques a voulu marquer le coup en adressant aux décideurs politiques une tribune dans le journal Libération afin que ceux-ci « passent de l’incantation aux actes pour enfin se diriger vers une société sans carbone. D’autant que les solutions sont disponibles. »
Un taux d’engagement croissant
À notre connaissance, il n’y a pas eu d’autres mobilisations de ce type en Europe et les scientifiques français se sont distingués de leurs collègues européens par cette initiative[1].
Ce genre de mobilisation autour de causes scientifiques semble de plus en plus monnaie courante au sein de l’hexagone. Ainsi, récemment, ce sont plus de 124 médecins qui se sont mobilisés contre les médecines alternatives et notamment l’homéopathie dans le journal le Figaro. Comme nous l’avions également traité il y a quelques temps, au travers d’un éditorial intitulé la révolte des scientifiques français, des collectifs de chercheurs et d’universitaires s’organisent pour interpeller les politiques et leur faire passer des messages, tels que la : culture scientifique est à reconquérir ou encore ne renonçons pas à la science. Indéniablement le taux d’engagement politique du milieu scientifique va croissant en France. Aussi la question qui se pose est la suivante : s’il n’est de problème qui ne résiste à la science, pourquoi de plus en plus les scientifiques choisissent-ils un engagement politique ? N’est-ce pas le signe de l’existence d’un débat de fond, de nature idéologique ?
Démissions
Sur un problème tel que le climat, par exemple, on constatera que la première demande du collectif des 700 scientifiques n’est pas d’obtenir « plus de moyens pour renforcer la recherche et le développement technologique », mais d’en appeler à un changement de société radical. Ils veulent que les politiques en fassent davantage pour « engager une révolution de nos modes de développement, de notre rapport collectif à l’énergie et aux ressources naturelles, à la consommation, à la mobilité, au logement, aux loisirs, etc. » Force est de constater que cette demande propose une vision politique en posant un modèle de société. Certes, ils ajoutent une liste de « solutions disponibles » (« diminution de la consommation d’énergie, recours à des énergies décarbonées, meilleure isolation des bâtiments, mobilité repensée évitant les moteurs thermiques, ferroutage… ») mais on constate que lesdites solutions viennent après l’incantation politique.
Leur principal objectif est que l’État légifère pour imposer un modèle : « Nous sommes conscients du rôle qu’ont à jouer d’autres acteurs, notamment les entreprises et la société civile, mais il appartient aux gouvernements et aux Parlements de mettre en place les conditions – législatives, réglementaires, institutionnelles, budgétaires et fiscales – d’une transition vers une société sans carbone. »
Voici donc un groupe de scientifiques qui en toute humilité remet les clés du destin de l’humanité aux politiques en leur disant en substance : « nous avons dressé le bilan du cataclysme, nous avons une liste de solutions pour y répondre, mais à vous de changer la société d’abord. » Or n’y a-t-il pas un risque de laisser croire aux décideurs politiques qu’ils doivent prendre l’initiative ? La démarche scientifique qui se caractérise par une remise en cause permanente ne risque-t-elle pas de démissionner face à l’idéologie ?
La démission récente du ministre français de l’Environnent, Nicolas Hulot, pourrait nous aider à développer cette question. Voici un politique qui a renoncé à son poste parce qu’« il ne souhaitait plus se mentir » en ne réussissant pas à imposer le modèle de société qu’il voulait. Certains commentateurs ont vu dans ce départ une opportunité pour que la science reprenne le dessus sur l’idéologie.
Selon Jacques Delpla, le ministre démissionnaire n’a rien fait sur la thématique de la R&D climatique, privilégiant au contraire la décroissance et la défiance envers la science et le progrès. Pour cet économiste, « les scientifiques du MIT, de Stanford ou Berkeley, les industriels comme Elon Musk (Tesla) ou Google feront beaucoup plus pour le climat que les écologistes sceptiques sur le progrès comme Nicolas Hulot. »
Pour Laurent Alexandre, il faut dire stop aux écologistes apocalyptiques : « Deux courants philosophiques se font face : les collapsologues pessimistes qui attendent l’apocalypse et les transhumanistes optimistes qui préparent le futur. Les collapsologues sont persuadés que la pénurie de matières premières et d’énergie va entraîner la fin de notre civilisation. Les théoriciens de ce collapsus écologique comme le Mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité, proposent même que nous arrêtions de faire des bébés de manière à disparaître de la surface terrestre pour laisser place à une Nature immaculée. »
Confiance aux Lumières
On l’aura compris, s’il est salutaire que des scientifiques s’engagent en politique, il semble pour autant nécessaire qu’ils ne cèdent rien aux idéologies politiques et continuent de s’en tenir à la méthode critique qui a fait leur gloire et dont l’histoire est pavée de succès. En l’occurrence sur une thématique aussi complexe que le climat, on aura plus que jamais besoin de la science et des progrès technologiques.
Comme nous l’avions souligné au travers de notre lecture de Enlightenment now, le dernier ouvrage de Steven Pinker, la confiance dans le progrès est essentielle et ne devrait céder en rien aux idéologies de la décroissance ; d’autant plus que toutes les données confirment le succès de la philosophie des Lumières et de sa vision du monde sur ces deux derniers siècles. Ne serait-il pas dommage de s’arrêter en si bon chemin pour remettre les clés de notre avenir à des décideurs dont l’agenda semble différent ?
[1] Notons toutefois que quelques jours avant, la France s’était également distinguée par une autre tribune, signée, dans le journal Le Monde par plus de 200 artistes internationaux – bien qu’essentiellement Français, qui affirmaient « que toute action politique qui ne ferait pas de la lutte contre ce cataclysme sa priorité concrète, annoncée et assumée, ne serait plus crédible. »
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