Il y a une semaine le gouvernement lançait une consultation citoyenne sur la distance minimale à respecter entre les champs traités avec des pesticides et les habitations[1]. En tant que citoyen français je me sens concerné ; j’ai mon mot à dire. Mais, sceptique de nature, je me pose de nombreuses questions.
Mythe de la corne d’abondance et ver dans le fruit
Il n’y a rien de tel qu’une consultation nationale sur les pesticides pour délier les langues et déchaîner les passions. Mais que dire d’autre que « je veux des produits sains, goûteux et cultivés avec le moins d’artifices possibles ? » Sur l’alimentation, nous nous sommes toujours nourris de mythes et la corne d’abondance hante notre culture au moins depuis l’Antiquité. Aussi, l’autre jour j’ai fait cette drôle d’expérience. Me retrouvant dans le verger familial que je pensais totalement abandonné, j’ai eu l’agréable surprise de trouver que les arbres fruitiers étaient chargés à foison de mirabelles, de quetsches et de pommes. Comment pouvait-il en être ainsi, puisque personne ne s’en était occupé cette année : les arbres n’avaient été ni taillés, ni traités. J’observais avec stupéfaction la magie d’une nature bienveillante et prolifique. Mais ma récolte de pommes ramassée, quelle ne fut pas ma déception quand je me rendais compte que plus de la moitié devait être jetée : les vers étant dans le fruit.
Certes elles n’étaient pas vraiment bio, puisqu’elles ne respectaient pas le cahier des charges que cette agriculture a mis en place. Pour celle-ci il aurait fallu utiliser des produits chimiques qui n’étaient pas de synthèse. Ayant lancé un débat sur Facebook, certains de mes amis n’ont pas manqué de me le rappeler et un de mes cousins m’a donné quelques combines pour protéger ma récolte sans pour autant avoir à asperger l’arbre de pesticides.
Fort de cette expérience, me voici donc presque prêt à contribuer sur le site gouvernemental avec un argument bien ficelé, tiré directement de mon expérience : oui la nature est fertile, mais pour préserver les récoltes, il faut l’intervention de l’homme. Je me rends bien compte que celles-ci ont besoin d’être protégées, si je veux en conserver pour l’hiver. Certes mon expérience me permet de tirer quelques idées particulières, mais point de généralités. Aussi, à ce stade, je suis bien en peine de répondre à la question posée par le gouvernement et je m’interroge : « comment vont faire les Français qui n’ont pas de vergers, ne sont pas agriculteurs et n’ont, à vrai dire, aucune expérience avec la « nature » et « l’agriculture » pour savoir s’il est bien ou mal de traiter et question encore plus difficile : de décider des distances de sûreté. À quel Saint vont-ils se vouer pour répondre à ces questions difficiles ?
Lobby bio ou lobby de l’agro : à qui faire confiance ?
Avec cette expérience du pommier, je me rendais bien compte que, comme beaucoup de citadins, j’étais totalement coupé de mes racines paysannes et que – parce que je n’avais pas le temps de m’occuper moi-même de mon verger – je devais faire confiance à autrui pour m’approvisionner à satiété. Et là paradoxalement, je dois avouer que si les rayons des supermarchés sont bien pleins, le choix est chaque jour un peu plus compliqué car on a l’impression de se retrouver face à un nombre toujours plus important de labels et autres produits certifiés, chacun ayant son histoire à raconter, sa polémique à traîner …
L’expérience directe étant impossible, il s’agissait de faire confiance à un tiers qui est pour faire bref : soit le monde de l’agro-industrie, soit le secteur du bio. Comme nous l’avons déjà montré à plusieurs reprises un combat féroce fait rage entre les partisans de ces « visions du monde ». Aussi, on peut se douter que pour ce grand débat national, ces deux camps vont redoubler d’arguments s’invectivant et se qualifiant mutuellement de lobbys.
Si je prends un sujet polémique comme le glyphosate, par exemple, la première question est de savoir si je fais confiance aux instances officielles. Dans ce cas, vais-je douter de son innocuité en me ralliant au CIRC qui l’avait qualifié de potentiellement cancérigène en 2015, ou, au contraire, vais-je passer outre cet avis et me rallier aux onze autres agences qui ont approuvé cet herbicide [2] ? Ce débat a eu pour conséquence de ruiner la confiance dans les agences comme l’a écrit dans nos colonnes Philippe Stoop. Et si je remets en cause les évaluations des agences officielles, comme certains politiques n’ont pas hésité à le faire[3], je peux alors toujours essayer de me tourner vers les tentatives de science citoyenne. Vais-je faire confiance aux pisseurs volontaires qui ont missionné la société BioCheck[4] pour vérifier si on trouvait des traces de glyphosate dans leurs urines ou aux tests par chromatographie – tests beaucoup plus sûrs comme le rappelle Marcel Kuntz – utilisés par les agriculteurs du Morbihan [5]? Voici des questions qui valent pour le « glyphosate » mais que je pourrais me poser pour n’importe quel type d’intrant.
Quid alors maintenant du « bio » ? Il n’y a pas de raison pour que celui-ci échappe à notre « inquisition ». Est-il au-dessus de tout soupçon comme il prétend l’être et n’y a-t-il pas des raisons de se poser des questions à son sujet comme l’expose le compte Max sur twitter, le secteur du bio serait un lobby comme un autre. Et là aussi, le doute est de mise.
Les nouveaux marchands de peur.
Voici un thread sur le secteur du bio. Défenseurs de l’intérêt général ou lobby comme un autre ?
Commençons avec Biocoop. Fondée en 1985, la coopérative devenue un acteur majeur de la distribution des produits BIO. pic.twitter.com/ANP6ACLuuY
— Max φ (@ZeMax__lib) September 15, 2019
Et comme l’affirme Jean De Kervasdoué dans sa dernière chronique pour Le Point : « Bio et bon ne sont pas synonymes »[6]. Pourquoi le débat citoyen semble l’avoir laissé de côté ?
En cherchant à produire une contribution un peu construite pour le site participatif du gouvernement, nous avons finalement réussi à soulever plus de questions que de réponses.
Citoyens, magistrats, élus… Tous doivent se plier à la méthode scientifique
Nombreux sont les scientifiques qui s’étonnent de voir aujourd’hui à quel point les citoyens ne font plus confiance à la science… et souvent ajoutent en baissant les bras : « au pays de Descartes, comment est-ce possible ? » Paradoxalement, c’est peut-être parce qu’ils vivent dans la patrie de la rationalité que les Français veulent douter de tout et essayer de penser par eux-mêmes. Mais ce qu’ils ont oublié, c’est que du doute méthodique, surgit la méthode scientifique. Or si chacun peut contribuer sur le site du gouvernement, on n’imagine pas le gouvernement tomber dans le piège du relativisme et mettre les avis des citoyens au même niveau que ceux des experts. Ainsi, dans un reportage de France Télévision[7], on voit une femme qui ferme sa fenêtre et est persuadée qu’elle est malade à cause des épandages ; elle « sent bien que ça fait du mal », une autre affirme que les distances préconisées par le gouvernement sont ridicules et qu’il faudrait mettre au « moins 100-150 mètres » (quelle précision !) et le ministre de l’Agriculture avec grande modestie avoue qu’il « n’est pas scientifique » et que le gouvernement ne s’appuie pas « sur ce que pensent les uns et les autres », mais a établi sa consultation nationale sur les recommandations de l’ANSES, contrairement à certains élus et autres magistrats qui pensent pouvoir se passer de la science pour étendre un pouvoir discrétionnaire sur leur domaine de juridiction[8].
Au final, s’ils ne savent plus à qui faire confiance, les Français vont découvrir par eux-mêmes qu’ils sont obligés de revenir aux fondamentaux et d’exiger toujours plus de scientificité.
Car la méthode scientifique, bien qu’elle se nourrisse d’expériences, ne se limite pas à l’induction. Elle ne peut se réduire à la genèse des idées, construites, comme le voulait la psychologie humienne[9], comme des agrégats de nos impressions. Le fait que chacun puisse partir de son expérience personnelle, par exemple, pour juger d’après son intuition si c’est bon ou mauvais, ne fait pas une théorie scientifique. Comme l’a montré le philosophe Karl Popper, c’est la falsifiabilité d’une proposition qui définit sa scientificité et par là fait son critère de démarcation. Ce qui est sans doute difficilement compréhensible, c’est qu’une proposition telle que « un produit X ne sera jamais nocif » n’est pas une proposition scientifique. Aussi, le principe de précaution quand il exige une absence totale de risque, ne pose pas des questions scientifiques[10]. En conséquence ce qui fait que l’on accepte un produit ou non (de la chimie de synthèse ou non) c’est un calcul risque/bénéfice et c’est en fonction de ce principe que les agences sanitaires se déterminent pour rendre un avis sur un traitement. Nous vous conseillons d’écouter à ce sujet l’excellente interview de Catherine Hill sur France Culture, qui résume bien notre propos[11].
Ce long détour[12] nous aura donc montré que s’il est louable que tout le monde puisse avoir son mot à dire sur la manière dont il envisage l’agriculture de demain, sur certaines questions, comme l’évaluation des risques, il ne faut jamais perdre de vue qu’au final ce sera toujours la science – et non les médias, les magistrats, les élus ou encore les lobbys – qui devrait avoir le dernier mot.
[1] L’intitulé exact est « Consultation publique sur un projet de décret et un projet d’arrêté relatifs aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation ». On peut consulter ce document ici http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?page=forum&id_article=2032#mon_ancre.
[2] http://premium.lefigaro.fr/sciences/glyphosate-un-rapport-parlementaire-estime-que-rien-ne-prouve-sa-cancerogenicite-20190513.
[3] https://www.atlantico.fr/pepite/3572278/cedric-villani-critique-le-senateur-pierre-medevielle-qui-assure-que-le-glyphosate-est-moins-cancerogene-que-la-charcuterie-opecst.
[4] https://www.atlantico.fr/decryptage/3578553/tests-de-biocheck–une-fraude-a-grande-echelle-dans-l-affaire-des-pisseurs-de-glyphosate–urine-agriculteurs-sante-environnement-marcel-kuntz.
[5] https://www.ouest-france.fr/bretagne/vannes-56000/morbihan-pas-de-glyphosate-dans-les-urines-des-agriculteurs-6503018.
[6] https://www.lepoint.fr/debats/jean-de-kervasdoue-bio-et-bon-ne-sont-pas-synonymes-16-09-2019-2335962_2.php.
[7] https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/pesticides-une-consultation-citoyenne-pour-determiner-une-distance-de-securite_3609827.html.
[8] https://www.lopinion.fr/edition/economie/pesticides-boite-pandore-politique-est-ouverte-196932.
[9] https://aeon.co/essays/what-albert-einstein-owes-to-david-humes-notion-of-time
[10] La Querelle des OGM, Jean-Paul Oury (PUF 2006) https://www.amazon.fr/querelle-OGM-Jean-Paul-Oury/dp/2130555500
[11]https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/epandage-de-pesticides-et-sante-que-dit-la-science
[12] N’est-il pas démagogue d’organiser un débat citoyen sur ce genre de sujet alors qu’il serait plus judicieux de s’appuyer sur les agences pour faire respecter la loi ? Mais on le comprend l’exercice politique est difficile et sans doute cela permet-il d’amadouer certains électeurs. Et qui sait, dans cette logique, peut-être un jour interrogera-t-on les Français sur « faut-il interdire de manger de la viande rouge ? » ou « fermer toutes les centrales nucléaires ? »