Ce jeudi 17 mai le CIRC, Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC en Anglais, pour International Agency for Research on Cancer) a élu à sa tête le Dr. Elisabete Weiderpass. Elle remplacera donc Christopher Wild, le directeur sortant. Ce sujet intéresse particulièrement un site comme European Scientist, car il permet d’observer les interactions complexes entre science, politique, médias et opinions publiques.
Or, comme nous le rappelions dans un éditorial que nous avions écrit il y a peu, le CIRC illustre parfaitement au travers de son fonctionnement et dans l’interaction qu’il entretient avec tous les autres acteurs, le basculement de la « controverse scientifique » à « la polémique publique », si caractéristique des querelles scientifiques que l’on voit de plus en plus émerger à tous propos. Comme nous le rappelions le CIRC est un « organisme hybride » à forte implication médiatico-politique et non purement scientifique. Ses avis, ont une influence directe sur les politiques, les médias et les consommateurs, même quand ils restent scientifiquement controversés.
Cela est d’autant plus frappant du fait que le CIRC ne produit pas d’études scientifiques de la même manière qu’en produirait un laboratoire, par exemple ; non, l’organisme en question ne publie que des monographies, c’est à dire des compilations et des sélections d’études scientifiques, au travers desquelles il essaye de classifier les « dangers » en cinq catégories. Le fait est que le CIRC s’est fait connaître du grand public pour avoir annoncé que la viande ou encore le café étaient des « cancérogènes probables », déclenchant ainsi les foudres des médias et allant jusqu’à influencer fortement l’opinion.
La querelle plus récente sur le glyphosate illustre encore mieux le phénomène. Le CIRC a classé cette molécule dans la catégorie des « cancérogènes probables », allant à l’encontre de l’avis d’une majorité d’agences sanitaires et sélectionnant parcimonieusement certaines études qu’il a décidé de mettre en valeurs, pendant qu’il a diminué l’importance, voire ignoré certaines autres études (des critiques scientifiques ont parlé de ‘cherry picking’). Une controverse scientifique s’en est suivie, obligeant ces mêmes agences à revoir leurs copies. Le résultat étant qu’elles ont dédouané de nouveau la molécule, mettant ainsi en porte-à-faux l’organisme qui, cette fois, ne fut même pas soutenu par sa maison mère, l’OMS.
Mais entre-temps, on a basculé de la simple controverse scientifique (circonscrite à un débat d’experts) à la polémique publique étendue au cercle des ONG, des médias, des politiques et touchant au final l’ensemble de l’opinion publique. Selon nous cette bascule se produit quand ce ne sont plus les faits et leurs interprétations qui suscitent un désaccord, mais les acteurs qui en sont à l’origine. Autrement-dit quand on passe aux attaques ad hominem.
Ainsi, voyant que la controverse scientifique s’enlisait, Francis Collins, directeur du NIH, et Jason Chaffetz, président du Comité de la Chambre des États-Unis pour la surveillance et la réforme du gouvernement, ont demandé à Chris Wild de se justifier. On connaît la suite. Le CIRC a pris la décision d’organiser des élections pour remplacer celui-ci, suscitant ainsi l’espoir d’un apaisement du débat et d’un retour à une institution capable de circonscrire le débat scientifique à un débat d’experts. Pour que l’on quitte la sphère de la polémique et revienne à la controverse scientifique, il faudra que la nouvelle figure qui dirige le CIRC soit suffisamment neutre et sans antécédent avec le passé de l’organisation. On imagine que c’est à ces conditions que le débat peut repartir sur de nouvelles bases, débarrassé de tous soupçons.
Qu’en est-il alors ? Que peut-on espérer de l’élection d’Elisabete Weiderpass ? Constatons tout d’abord que le curriculum de cette chercheuse brésilienne, naturalisée suédoise et finlandaise impressionne : doctoresse en médecine et détentrice d’un PhD, experte en épidémiologie du cancer et en prévention du cancer. Comme le précise le communiqué du CIRC « Elle est actuellement responsable du département de recherche du registre du cancer de Norvège et du groupe d’épidémiologie génétique du Folkhälsan Research Centre en Finlande. Elle est professeur d’épidémiologie médicale à l’Institut Karolinska en Suède et professeur d’épidémiologie du cancer à l’Université de l’Arctique de Norvège. Elle occupe des postes de professeure adjointe en épidémiologie du cancer au Brésil, en Chine et en République islamique d’Iran, et elle est professeure invitée au Koweït. »
Un grand changement donc et une rupture avec ce qui avait valu au CIRC de nombreuses critiques ? Certes les critiques du CIRC considéreront l’élection du Dr Weiderpass comme étant préférable à celle de monsieur Christofer Portier qui – malgré les nombreuses polémiques associées à son nom – faisait parti des 33 candidats à l’élection. Mais ils risquent fort de s’étonner du fait qu’il ne s’agit pas tout à fait de sang neuf. Certains éléments de son CV démontrent qu’elle fait bien partie des meubles de l’institution depuis plus de 20 ans.
En effet, en 1994, elle a fait un post doc à l’IARC et semble avoir été depuis-lors une fervente partisane de l’institut. Elle fait également partie des auteurs d’une étude de 2015 qui a rejeté les critiques généralisées sur l’IARC. Son époux, Harri Vainio – un membre de l’institut Ramazzini dont les études sur le glyphosate ont été sévèrement critiquées par la communauté scientifique – est également lié à l’IARC, pour lequel il a été en charge des monographies de 1983 à 1987 et de 1990 à 1993. Enfin elle a été impliquée largement dans la querelle du glyphosate puisqu’elle a co-signé un papier avec Christopher Portier dans lequel les auteurs cherchaient à discréditer le travail de l’EFSA. On peut parier que les scientifiques qui ont critiqué la partialité du CIRC ne verront pas ces quelques détails d’un très bon œil….
A n’en pas douter madame Weiderpass dispose de toutes les compétences requises et connaît bien les ficelles du CIRC pour faire tourner l’institution et on peut penser que c’est une bonne chose pour le reprendre en main. Mais sera-t-elle en mesure de faire taire les suspicions des contradicteurs…? Ces derniers ne risquent-t-ils pas de trouver étrange, par exemple, que l’Iran, pays avec lequel elle entretien un lien très étroit et dans lequel elle a conduit des études, a décidé de rejoindre le CIRC, la semaine de son élection ? Encore une fois le lecteur doit être conscient qu’une organisation comme le CIRC joue un rôle politique autant que scientifique, d’où l’importance du choix de ses représentants. C’est à la fin de l’année que la nouvelle directrice prendra en charge ses fonctions. On pourra alors seulement juger de sa capacité à faire taire les polémiques.
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