Hier soir a eu lieu la diffusion de émission d’Envoyé Spécial sur le Glyphosate. Une occasion de poursuivre notre méditation initiée sur le rapport de plus en plus compliqué entre la vision scientifique issue de la philosophie des Lumières et la société contemporaine avec toutes ses aspirations « naturalistes ».
Un débat ancien qui se radicalise
Dans notre éditorial précédent nous nous interrogions sur le futur du rapport science-société au travers de deux visions respectives. Celle du « magicien rationaliste » Steven Pinker contre celle du « prophète catastrophiste » de Yuval Noah Harari.
Cette opposition ne date pas d’hier. En 2003 déjà, le philosophe Dominique Lecourt évoquait une opposition entre « biocatastrophistes » et « technoprophètes ». Selon lui, cet affrontement, « parfois violent, est l’aboutissement d’un retournement de l’opinion face à la science et à la technique, qui prend des allures paroxystiques quand il s’agit du vivant, particulièrement du vivant humain. » Au cœur de cet affrontement se trouve donc notre rapport au vivant et cette volonté de vouloir en faire un monde à part, régi par des lois qui seraient singulières[1].
Ainsi comme nous l’avions déjà constaté, l’agriculture dite « bio », aimerait échapper aux jugements que certains de ses zélateurs appliquent aux modes de production concurrents, en faisant croire, par exemple, qu’elle n’utilise pas d’intrants. Ce qui marche assez bien, puisqu’un Français sur deux ignore que l’AB utilise des pesticides (sondage réalisé par Haris Interactive en 2016). De ce fait, certains ont très bien compris qu’attaquer l’agriculture raisonnée et ses méthodes, permettait de raconter le conte de fée que les consommateurs souhaitent entendre avant de passer à table. La chimie est à bannir de l’assiette si on veut aiguiser les appétits. Ainsi le grand chimiste Hervé This, père de la cuisine Note à Note s’interroge pour savoir si « la cuisine moléculaire est chimique ou naturelle ». Question qu’il a reçue de ses élèves et qui se développe ainsi : « De nos jours, dans une cuisine dite moléculaire, le grand public sous-entend « chimique » ; « mauvaise pour notre santé », à éviter, ou encore occasionnelle. Pourtant, les techniques employées ainsi que les ingrédients n’ont rien de plus mauvais que la cuisine traditionnelle. » Il y a donc cet a priori négatif à l’égard de la chimie que l’on ne cesse d’opposer à un mode de production dit « naturel ». Il faut trouver des bouc-émissaires.
La polémique ultime
Le glyphosate est sans aucun doute le produit phare de cette querelle de clochers qui anime ces deux visions du monde, sans doute à jamais irréconciliables. Tout discours à son propos à quitté le stade de la controverse – définie comme un désaccord entre des hypothèses scientifiques interprétant les faits établis – pour rentrer de manière irrémédiable dans celui de la polémique – définie comme un désaccord qui porte non sur les faits, mais sur des attaques ad hominem. Car, hormis la controverse qui a opposé l’agence du CIRC et sa méta-analyse, aux onze autres agences qui ont jugé que le glyphosate ne posait aucun risque potentiel et qui semble bel et bien avoir été arbitrée, force est de constater que désormais les tensions ne subsistent qu’au niveau de la scène médiatique où s’affrontent les utilisateurs du produit (agriculteurs et jardiniers), qui y voient leurs intérêts et l’absence d’alternative, et ceux qui ont tout intérêt à entretenir la polémique…
Ainsi le camp des « scientifiques rationalistes » est prompt désormais à démasquer ce qui lui semble comme des abus de langage du camp adverse et les langues se délient. Par exemple, une publicité de la firme Biocoop sur laquelle on pouvait lire « Notre bio rassemble ceux qui préfèrent les choux qui ne cachent pas de glyphosate » et affirment que tous ses « produits devraient être 100 % bio, zéro pesticide et zéro OGM. » pour dénoncer une annonce fallacieuse « Le bio utilise des pesticides : cuivre, soufre, spinosad, azadiracthine, huile de neem ».
Envoyé spécial en « Glyphosie »
Alors que la célèbre émission spéciale d’Élise Lucet, Envoyé Spécial, était annoncée comme consacrée à l’herbicide, les deux camps ont commencé de s’affronter avant la diffusion. Dans l’un, on voit un tracteur pulvériser des pommiers. Aussi, la CSFL, la branche des arboriculteurs, a twitté pour remettre les choses au point :
«Vu hier cette séquence d’illustration sur @France2tv de l’interdiction du #Roundup Pro 360. Pour rappel @20hFrance2, les pomiculteurs ne pulvérisent JAMAIS du #glyphosate sur leurs pommiers : inutile et absurde !!! #agribashing »
L’ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire, elle, s’est fendue d’un communiqué pour contester toute erreur d’appréciation. Les blogueurs et les médias, eux-aussi, s’affrontent violemment. Ainsi, la journaliste de L’Opinion, Emmanuelle Ducros, elle, a développé un thread sur Twitter à destination de l’actrice Julie Gayet, dont le premier tweet affirme en substance :
« Ce soir vous verrez @IamJulieGayet expliquer que puisqu’il y a des traces de glyphosate dans la bière, Elle va se concentrer sur les microbrasseries parisiennes. Sait-elle que 1/ On n’utilise pas de glyphosate sur l’orge ou le houblon (car c’est un herbicide. Oups) »
Notons que toutes ces craintes n’ont pas été déçues, car lors des différents reportages toutes les cartes ont été abattues par les « prophètes » : par exemple ce « glyphotest » réalisé pour détecter les traces de glyphosate sur un échantillon d’analyses d’urines de célébrités.
Face à ce documentaire uniquement à charge et sans contradicteurs invités sur le plateau, l’école des « Magiciens rationalistes » n’a pas manqué de faire entendre sa voix. Notamment sur Twitter. C’est ainsi, par exemple que Géraldine Woesner d’Europe 1 réagit à chaud :
HOLLY SHIT, la caution scientifique d’#EnvoyeSpecial est… Séralini ! LE chercheur à l’origine d’un des plus grand scandales scientifiques de la décennie ! « Monsanto s’est démené pour détruire son étude « dérangeante » ? Elle était surtout fausse, bon sang !
2,8 millions de Français croient donc aujourd’hui qu’aucun seuil sanitaire n’existe pour le glyphosate (faux), qu’une étude ouvertement payée par Monsanto sert de référence aux agences sanitaires (faux), que le Pr. Séralini est un lanceur d’Alerte (faux). #BellePerformance
Quand la vérité ne compte plus
Malgré toutes ces « tentatives de retour à la raison », le débat semble perdu d’avance. Et pour cause, au sujet de l’alimentation, c’est la vision du prophète, catastrophiste à souhait et qui en appelle à un retour à « plus de nature », qui semble l’emporter.
Le consommateur continuera de croire les prophètes. Ceux qui lui prédisent les pires malheurs et la solastalgie, à moins d’abandonner tout de suite la chimie. La situation semble pour le moins désespérée et on est en droit d’invoquer comme le fait le sociologue Gérald Bronner, une écologie plus rationnelle, au constat que : « Perdus dans cette nébuleuse de l’écologie irrationnelle, nos concitoyens ne se rendent pas toujours compte qu’elle est traversée par des réseaux sectaires comme l’anthroposophie et se mettent à adorer des personnages tel Pierre Rabhi, proche de ces réseaux. » … Peu de chance hélas que cette lettre parvienne à Élise.
Force est de constater que la « vérité » et la « raison » n’ont plus beaucoup d’importance. Avant de passer à table, le consommateur achète des idées. Aussi, il aura tendance à écouter le prophète qui lui promet une alimentation sans chimie, car plus saine, car plus naturelle, etc, etc… Quant au producteur, lui, son attitude est bien différente. Il lui faut s’en tenir à la réalité des faits. Et forcément il écoute l’oreille du magicien qui lui apporte des solutions fondées sur la science et la technologie pour nourrir l’humanité. Comment faire alors pour réconcilier ces deux mondes ?
Pour sortir de l’embarras et trouver un chemin entre ces deux visions, nous avions évoqué l’avènement de l’agriculture de précision, notre botte secrète qui devrait permettre un jour de mettre tout le monde d’accord. C’est cette carte que nous allons une fois de plus jouer en vous invitant à lire la contribution de Denis Fumery : « Qu’attend-t-on pour développer la ferme du futur en Europe ? »
[1] Le philosophe, affirme que la seconde tendance est issue du courant scientiste du XIXe siècle et a régné jusque dans les années 1960, où elle a été remise en cause par les mouvements écologistes « au nom d’un certain culte de la nature, celle-ci devenant l’icône de la pureté. Le thème d’une technoscience qui dévasterait la planète s’est trouvé renforcé par un certain nombre d’œuvres philosophiques, d’origine allemande comme celles de Hans Jonas ou Jürgen Habermas… Les biotechnologies sont arrivées dans cette atmosphère. Ce qui fait peur aujourd’hui, c’est une certaine dénaturation de la nature, avec les OGM ou le clonage humain reproductif… » Dominique Lecourt, « Comment faire la part entre les bienfaits et les méfaits de la science ? », in Enjeux les Échos, dossier « Ceux qui pensent autrement », n° 197, décembre 2003, pp. 66-69.
L agriculture Bio dynamique utilise 0 , je dis bien zéro de chez zéro pesticide.
Avant de parler, il est vraiment urgent que vous regardiez vraiment, réellement ce qu’est le Bio. Il y a toutes sortes de Bio cher Monsieur. Peut-être devriez vous apprendre ce qu est le Bio, les différentes sortes de Bio.. prendre des cours ? Venez donc nous voir près de St Menoux dans l Allier, et vous verrez des personnes qui travaillent avec la nature et non pas contre.. avec 0 pesticide. Merci
Personne n’a dit que toutes les parcelles de bio utilisait des pesticides.
Mais citer la biodynamie comme exemple, c’est drôle, parce que si en effet, aucun pesticide n’est utilisé, par contre, des préparations ésotériques bien tordues, ça en est bourré :D, et pour cause, c’est issu de l’anthroposophie…
Bonjour, merci de votre retour. Nous avons publié au sujet de la Biodynamie https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/la-biodynamie-une-bien-etrange-theorie/
Il semble que Vincent Guyot , l’agriculteur rangé du côté du conventionnel, est en fait un agriculture expérimentateur de l’agriculture de conservation des sols.
Utilisation à minima de pesticides, pas de labour, rotation des cultures…
Bonjour Mr Oury,
Coté enfumage, votre article est très intéressant … vous entremêlez les genres sans les définir et saupoudrez à votre convenance les allusions soufrées. Ce n’est pas vraiment ce que nous attendons de « European Scientist ».
Ceci dit, nous abordons un sujet complexe qui touche à la fois aux coeurs de nos existences et au coeur et du monde techno-economico-financier.
Vous évoquez le « Bio » sans faire la distinction entre le Bio naturel, celui de la vie qui c’est développée depuis la nuit des temps avec la biodiversité, …, et le « Bio-Greenwashing » progressivement mis en place par le couple « Chimie & Agro-industrie ».
Depuis au moins 10 000 ans, avant que la chimie ne colonise le monde, l’agriculture était 100% bio et personne ne parlais de Bio ! Le terme Bio est utilisé pour définir un territoire qui ne veux plus de chimie, un territoire riche en de très nombreuses compétences qui dépassent les savoirs de l’agriculture pré industrielle.
Vous cachez l’univers de la chimie industrielle derrière le terme pompeux de «magicien rationaliste», c’est oublié que l’agrochimie est une « innovation » très récente, même pas 100 ans …, et bonjour les dégâts : Epuisement des sols, disparition des vers de terre et des pollinisateurs, altération profonde de la vie microbiologique des sols, effondrement de la biodiversité, érosion massive avec perte du volume de terre arable, …, coté magie, ça ressemble plutôt à une catastrophe !
Le sujet mérite une enquête digne de ce nom ;
– Avez vous passé quelques jours au Brésil dans un petit village en bordure de champs de soja OGM, baignant régulièrement dans la bruine des pesticides ?
– Vos enfants ont-ils la joie d’être scolarisés au milieu des vignes Bordelaises ?
– Avez-vous une idée des compétences qui se cachent derrière les termes « permaculture », « Agriculture bio dynamique », « Agroécologie », « Aquaponie », ‘Bioponie », « Terra prêta », …, sur le terrain il y a beaucoup de monde et je ne peux que vous encourager à faire un break et à passer quelques semaines avec eux … vous rencontrerez des ingénieurs agronomes, des informaticiens, des biologistes, des philosophes, des journalistes, des médecins, des agriculteurs …
– Un peu d’histoire ferait également du bien : La chimie et son bébé l’agrochimie, pèsent très lourd dans l’univers de la finance et parfois il est bon de rappeler les liens étroit qui unissent certains noms avec des périodes sombres de notre histoire (Bayer et les chambres à gaz, Monsanto et la guerre du Vietnam …)
– Nous pourrions même nous poser des questions telles que :
Une industrie émergeant de la guerre pourrait-elle être tentée de trouver de nouveaux marchés en temps de paix ? … le rapprochement avec l’agriculture est alors une bénédiction !
Quel est le coût énergétique de l’agro-industrie ?
Comment l’agro-industrie envisage l’après pétrole ?
La production centralisée des graines (OGM ou pas) pourrait-elle fragiliser nos états ?
Quelle est la vrai valeur nutritive des fruits et légumes issus de l’agro-industrie ?
Que recouvre le concept de « Calories creuses » ?
Les substances chimiques déversées sur les sols ont-elles un impact sur la qualité des nappes phréatiques et de l’eau potable ?
Que recouvre le concept de synergie lorsqu’on étudie l’action conjuguée des diverses substances chimiques sur le vivant ?
Certaines pathologies modernes en pleine croissance telles que « Maladies auto-immunes, maladies neuro-dégénératives, autisme, cancers… » pourraient-elles être induites par les produits massivement répandus sur les sols ?
… et encore de nombreuses autres questions …
Pour résumer,
Encore merci pour votre article,
Le sujet passionne et est passionnant. Pour que votre point de vue soit pris au sérieux par d’autres individus que les lobbyistes en col blanc ou les moutons aveugles, il serait bon de l’argumenter un peu … n’hésitez pas à vous rapprocher des scientifiques qui ont compris la complexité et l’importance capitale de la biodiversité pour notre survie.
Signé
Un médecin qui ne vit pas que dans une grotte