Cette semaine avait lieu à AgroParisTech, l’avant-première de Food Evolution de Scott Hamilton Kennedy, réalisateur nommé aux Oscars, dont la sortie en France est prévue pour février 2019 (distribution 2Ifilms) Voici donc un film scientifique et courageux qui rentre dans les méandres d’un débat acharné pour démêler le vrai du faux et nous aider – c’est la promesse du cinéaste – à « prendre les bonnes décisions en terme d’alimentation »… Ce tour du monde qui vous transportera d’Hawaï en Ouganda en passant par New-York et l’Iowa est, qui plus est, commenté par la voix suave du célèbre astrophysicien Neil deGrasse Tyson.
Mené tambour battant, comme une enquête policière, Food Evolution, examine le dossier de « l’accusé OGM » pour voir ce qui se trame en coulisses et pourquoi il continue de susciter la défiance de l’opinion publique. En regardant Food Evolution, on comprend alors que, face à l’industrie de l’agro-alimentaire, se dresse une armée de contestataires, et cela donne autant d’histoires à raconter.
Hawaï sans OGM, mais pas sans papaye
Dès les premières images on plonge tout de suite dans le grand bain : Margaret Wille, membre du conseil du comté d’Hawaï annonce lors d’une conférence de presse que ce jour est historique car elle vient de faire passer une loi pour faire d’Hawaï une zone sans OGM. On assiste alors aux débats qui ont lieu au sein du conseil avant le vote de la proposition de loi. Les « pro » et les « anti » s’affrontent. Ainsi, Jeffrey Smith, star mondiale de la cause anti-OGM intervient en visio-conférence.
L’homme sympathique demande à ce qu’on l’appelle Jeff et non pas docteur et pour cause : on apprend un peu plus tard qu’il ne dispose d’aucun titre scientifique, mais a en fait commencé sa carrière comme danseur de swing. Pourtant il a l’air on ne peut plus sérieux lorsqu’il annonce aux membres du conseil que la papaye génétiquement modifiée (Rainbow Papaya) peut rendre l’organisme susceptible à de nombreuses maladies, dont le virus du Sida. Dans le camp des pro, Michael Shintaku, un spécialiste de la pathologie des plantes de l’université d’Hawaï remarque que beaucoup de ces témoignages sont émotionnels et qu’il n’y a pas de danger des OGM…
On aura encore droit à la citation par un autre témoin de l’étude sur les tumeurs des rats de Gilles Eric Séralini, qui a pourtant été dé-publiée, puis un militant politique qui parle du fait que le problème vient des multinationales… et pour finir, le professeur Dennis Gonsalves, co-inventeur de la Papaye Rainbow qui témoignera en personne.
Après cette journée d’audition, la loi pour l’interdiction totale des OGM sur l’île sera votée, mais on apprendra un peu plus tard dans le film qu’elle sera finalement amendée, et que la papaye génétiquement modifiée sera tolérée, car les fermiers ont su faire comprendre à Margaret Wille que cette culture représentait des enjeux vitaux pour l’île. Entre temps, une séquence pédagogique nous aura exposé la méthode scientifique des travaux de recherche du professeur Gonsalves et pourquoi il a eu cette idée de vacciner génétiquement la Papaye contre le virus Ringspot. On comprend que s’il a eu recours au génie génétique, c’est parce qu’aucune autre solution ne permettait de préserver la culture de la papaye contre cette maladie. Le génie génétique a donc permis de ré-introduire sur l’île une agriculture qui, à cause d’une infection, était en voie de disparition.
Pas sûr qu’il réussisse à vous convaincre
Scott Hamilton Kennedy enchaîne ainsi différentes histoires de réalisations typiques du génie génétique et montre les tenants et les aboutissants d’un débat de plus en plus surréaliste dans lequel les pires arguments émis par des experts au pédigrée douteux viennent contredire les faits pourtant avérés et mille fois démontrés par des universitaires aux CV longs comme le bras. On plonge ainsi dans cet univers passionnant de la science challengée par l’opinion. Jamais manichéen le film essaye de faire entendre la voix et les motivations de chacun : les scientifiques expriment leurs émotions et inversement, les « non-scientifiques » argumentent en faisant entendre leurs raisons. La question est alors de savoir si ceux qui doutent se laisseront convaincre.
Or c’est le cœur du sujet… comme l’illustre le film au travers du cas de Marc Lynas, un militant écologique, qui a connu un revirement et s’est mis à défendre les OGM en réalisant qu’ils jouaient un rôle essentiel pour économiser la superficie des terres agricoles.
Historien de cette thématique sur laquelle j’ai beaucoup écrit dans les années 2000 et depuis ai pris du recul, j’ai eu une impression mitigée à l’issue de cette projection. Tout d’abord, on y apprend une excellente nouvelle : trente ans après leur mise en culture, les OGM n’ont toujours pas fait un seul mort. Par contre, la mauvaise nouvelle est que la technologie est toujours sujette à autant, si ce n’est davantage, de critiques. Ses détracteurs semblent chaque jour un peu plus nombreux dans le monde (notons que dans les années 2000 il y avait peu d’opposants aux USA, contrairement à maintenant).
Or comment expliquer que le doute subsiste dans l’esprit des consommateurs ? Les scientifiques pro-OGM auront beau jeu d’évoquer la « rationalité scientifique », tant qu’ils n’auront pas réussi à persuader les consommateurs, ils se casseront le bec, ce, d’autant plus que nous sommes entrés dans une ère de post-vérité où ladite rationalité a perdu de sa superbe. Qui peut se laisser convaincre ? Sans aucun doute les publics concernés. Il n’est pas difficile de convaincre des agriculteurs qui sont les premiers utilisateurs, du bien-fondé de la technologie : il suffit qu’ils perçoivent l’intérêt de l’innovation. On voit ainsi dans le film des planteurs de bananes bio africains écouter des chercheurs qui travaillent sur une banane génétiquement modifiée résistante à un virus ; il est plus difficile, par contre, de convaincre les consommateurs finaux, qui, eux, se laissent séduire par des arguments liés à leurs bénéfices directs (santé, goût, prix…) et seront bien moins insensibles à des arguments concernant les bénéfices indirects tels que « cette technologie permettra de nourrir l’humanité » ou encore « elle permettra de produire des aliments résistants au stress hydrique ».
Et puisque la peur n’a pas totalement disparu et que les trois lettres continuent de semer la terreur dans bon nombre d’esprits, pendant ce temps, les opposants les plus virulents, ont tout le loisir de formater les esprits et d’enfoncer les croyances : pour symboliser un risque invisible, il leur suffit de se déguiser. Ils sortent du placard leur costume d’Halloween et vont défiler en Jack The Reaper avec des pancartes anti-malbouffe. Un petit subterfuge que Scott Hamilton Kennedy a parfaitement compris et filmé. Pas certain donc que Food Evolution réussisse dissiper tous vos doutes si vous en avez… Mais une chose est certaine, vous pourrez savoir gré à l’auteur de ce film de ne pas nous rejouer un énième scénario de film d’horreur…. Loin d’être un éternel remake d’un navet catastrophiste (bio ou OGM à vous de choisir), ce film arrive comme un ovni dans le royaume de la post-vérité. Et ça, c’est la une parfaite raison d’aller le voir pour se faire son idée !
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C’est du grand n’importe quoi !
SCIENCE ou CONSCIENCE
Scott Hamilton Kennedy, lors de la projection du film, nous a présenté son travail comme étant, non pas un plaidoyer pour ou contre les OGM, mais une invitation à se poser les bonnes questions (scientifiques). Louable intention que de vouloir éveiller les consciences. Mais, dès le début du reportage, on nous livre une vérité indiscutable : pour nourrir 9 milliards d’individus, il faudra compter sur les progrès de l’agriculture. Quel dommage de commencer par une affirmation toute relative. Méfions-nous de l’usage des mots et leur sens. L’industrie de la pêche en mer a fait d’énormes progrès. Mais quand on réalise que cela permet de vider les océans de plus en plus rapidement, on peut se demander où est le progrès ?
Ensuite, on assiste à la difficulté rencontrée par les cultivateurs de papayes à Hawaï. Les plantations sont malades. Seuls les plans transgéniques sont à l’abri de l’hécatombe. On apprend également que les hawaïens fournissent le marché mondial de la papaye. Et de fait, sans OGM, ils perdent des parts de marché. On aurait pu proposer à ces fermiers de se lancer dans une agriculture résiliente et diversifiée pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et être ainsi à l’abri des aléas d’un marché qui se joue au-delà de leur frontière. A l’heure où il nous faut impérativement réduire nos émissions de CO2, la solution ne serait-elle pas de produire et consommer local plutôt que nourrir le commerce mondial ?
On nous redonne ensuite un scénario analogue en Ouganda pour une femme dont les champs de bananiers sont atteints d’une maladie incurable. La destruction par le feu est la seule issue, c’est un désastre pour cette maman et sa famille. Si cette femme avait planté des bananiers OGM, elle n’en serait pas là. Par opposition à cette solution, on nous présente un personnage ridicule qui ressasse qu’en consommant des produits issus de plans génétiquement modifiés, on peut attraper le sida. Ceci en vendant ses propres livres et autres céderoms à la teneur très certainement douteuse. Ne s’éloigne t-on pas là des arguments scientifiques prônés dans ce même reportage ?
La science contribue au débat public. Monsieur Séralini a validé une étude démontrant la toxicité des OGM sur des rats. Étude reconnue par des pairs et donc publiée. Il faudra quelques temps pour qu’une autre étude vienne annuler la précédente, et affirme qu’il n’y a aucun danger pour les rats nourris aux OGM. Dont acte, la publication est annulée (apparemment re-publiée aujourd’hui). Mais l’étude de Mr Séralini a bien été validée à un moment donné ? Quand doit-on croire la science ? Quand elle favorise le commerce des produits phytosanitaires (chimie à base de pétrole) et les brevets sur le vivant ou lorsqu’elle bouscule les marchés industriels ?
Les OGM seraient la solution face au défit alimentaire mondial. Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi un virus s’attaque-il si facilement à tout un champ où pousse une seule espèce végétale ? L’agriculture conventionnelle n’a cessé d’exploiter les sols en monoculture. Et la science a mis régulièrement au point des soins palliatifs ou curatifs pour permettre à nos plantations de croitre toujours plus haut, toujours plus dense. Avons-nous oublié à ce point que nous vivons sur une planète d’une richesse exceptionnelle si elle est respectée dans sa biodiversité ? Nous la saccageons sans relâche, comme si la science allait tout résoudre. Les sols se meurent car nous les tuons, les forêts disparaissent car nous les exploitons, les océans sont des poubelles car nous les polluons. La science nous aidera t-elle à sortir indemnes de cette spirale infernale ?
Les OGM vont peut-être permettre de cultiver plus, mais n’y a t-il pas une contradiction alors que nous jetons déjà 30% (voire plus) de notre alimentation non consommée, dans le monde ? Avant de faire appel à la science, ne devrions-nous pas nous poser quelques questions ? Est-ce de cette agriculture dont nous avons besoin ? La culture vivrière, en permaculture ou agro-foresterie est une méthode performante validée par l’INRA. Les ventes directes, locales, au fil des saisons sont des marchés respectueux des producteurs et des consommateurs. Elles maintiennent les sols en vie, à échelle humaine et réduisent la dépendance aux énergies fossiles. Voulons-nous alimenter le commerce mondial de la papaye ou réapprendre à nous nourrir avec un minimum de questionnement et un maximum de sérénité ?
Il y a un risque à diffuser un reportage qui apporte des réponses sans questions. En l’état, cela nous éloigne encore un peu plus d’une réflexion individuelle et collective incontournable sur le bienfondé de telle ou telle pratique. Derrière ce film se cache un véritable danger : est-ce que notre conscience nous aidera à prendre soin du vivant sur notre unique planète ? Ou bien, laissera t-on la science et l’industrie nous précéder dans notre vision du monde ?