Maintenant que les plages sont de nouveau accessibles et que les vacances approchent à grand pas, vous vous cherchez un bon polar pour passer l’été ? Laissez tomber Harlan Coben, Alain Damasio ou San Antonio… procurez-vous vite le dernier Gil Rivière-Wekstein ! « Glyphosate l’impossible débat, intox, mensonges et billets verts »(1) se lit comme un roman policier. Une affaire rebondissante qui, en plus de vous donner des infos exclusives pour clouer le bec à votre beau-frère autour du barbecue, plante le décor catastrophique dans lequel se situe aujourd’hui le débat scientifique.
Un titre révélateur du rapport « science-idéologie »
Car c’est bien là qu’il faut commencer avant de rentrer dans le vif du sujet : la possibilité d’avoir un débat scientifique en France. C’est un sujet qui nous préoccupe à titre personnel depuis maintenant plus de vingt ans, car en 2004, nous nous demandions déjà quelles étaient les conditions de possibilité pour renouer le dialogue entre anti et pro-OGM (2).
L’impossible débat sur le glyphosate montre à quel point la situation, loin de s’être améliorée, s’est dégradée et l’idéologie a complètement envahi les débats scientifiques où chacun se positionne pour ou contre, sans bien savoir ce dont il s’agit précisément. L’actualité nous offre un exemple frappant au travers de l’affaire de la Chloroquine et de la polémique qui n’a cessé d’enfler autour de Didier Raoult, série que nos lecteurs suivent avec attention (3).
Mais voyons de plus près comment l’habile journaliste cherche à rendre de nouveau possible ce qui semblait impossible. Quelles pièces à conviction introduit-il dans un procès dont la plupart des médias nous ont laissé entendre que l’affaire était pliée pour de bon et que rien, absolument rien ne permettait de sauver l’un des herbicides les plus polémiques de l’histoire de l’agro-industrie.
En face de l’accusé, Douze hommes en colère
Les cinéphiles se régaleront en découvrant que l’auteur utilise le scénario du film Douze hommes en colère, un classique de Sydney Lumet, comme fil conducteur afin de déployer son raisonnement. Pour rappel, ce huit-clos, à l’origine une pièce de théâtre, déroule le procès d’un jury qui doit rendre un jugement à l’unanimité sur un jeune homme d’origine modeste accusé du meurtre de son père. Seul, Henry Fonda qui incarne le douzième homme vote non coupable et estime qu’il faut passer davantage en revue la vie de celui que les autres jurés considèrent comme un coupable idéal, avant de le condamner à mort. Il aura cette citation que Gil Riviere-Wekstein met en exergue de son ouvrage : « C’est dur de faire abstraction des préjugés personnels. Ils ont des causes diverses et secrètes. D’où qu’ils viennent, les préjugés masquent toujours la vérité. » La transposition au procès du glyphosate semble donc évidente à l’auteur : tout semble accuser l’herbicide mis sur le marché par Monsanto en 1975 et tombé sur le marché public en 2015. Et c’est en déroulant tous ces préjugés – nos préjugés – les uns après les autres que notre auteur va remonter ainsi le fil d’une pièce qui semblait jouée d’avance aux yeux du jury populaire. On appréciera cette démarche que l’on pourrait qualifier de bayésienne qui part de ses a priori et corrige progressivement sa perception de la réalité en envisageant toutes les probabilités : au fur et à mesure de son enquête il fait bouger les curseurs de ses « croyances ».
Une liste de charges longue comme le bras
Il est vrai que tout, absolument tout accuse le glyphosate. Et la première de toutes les infamies a consisté dans le fait d’avoir eu comme « géniteur » la firme Monsanto, qui incarne aux yeux de l’écologie, des médias et de l’opinion publique le diable absolu. Le cas est impossible à défendre et tout avocat qui s’y amuserait deviendrait immédiatement un vendu auprès duquel Faust et maître Verges passeraient pour des enfants de choeur. Pour reprendre les mots de Gil Rivière-Wekstein, le fait d’avoir été conçu par la firme de Saint-Louis, constitue d’emblée un « délit de sale gueule »… un argument pourtant bien faible car selon l’auteur, « Les seules questions qui méritent d’être posées sont les suivantes : le glyphosate est-il, oui ou non, cancérogène, et son usage peut-il être réalisé en toute sécurité pour les utilisateurs, les consommateurs et l’environnement ? » Et pendant des années les agences sanitaires l’ont homologué sans jamais n’avoir rien à redire.
L’auteur passe donc en revue la charge qui suppose que les agences en question seraient corrompues et auraient été achetées pour dire du bien du glyphosate, car elles se seraient contentées de reprendre les argumentaires des industriels – les fameux Monsanto Papers – pour homologuer l’herbicide… une suspicion que l’auteur rejette en bloc : « les agences sanitaires en charge de notre santé et de l’environnement ne sont certes pas parfaites, mais leurs expertises méritent le respect », nous dit-il.
Si les deux premiers chefs d’accusations semblaient faciles à démonter, le troisième semble d’un autre niveau : comment après avoir renouvelé la confiance aux agences, peut-on douter du CIRC, la première agence à avoir mis en doute le glyphosate ? Nous voici au cœur du problème et dans ce long chapitre où se mêlent arguments d’épistémologie (distinguer risques et dangers) et enquête journalistique, on découvre que si l’agence qui dépend de l’OMS a fait de la molécule un cancérogène probable, c’est que certains de ses membres avaient des raisons plus ou moins suspicieuses d’agir ainsi : leur militantisme.
Mais nous n’avons pas encore évoqué le clou du spectacle qui fait que cette enquête journalistique se lit comme un roman policier : derrière l’affaire du glyphosate, c’est moins une histoire d’avocat du diable que d’avocats diaboliques. On ne saurait dire autrement les choses, quand on découvre le business lucratif de certains cabinets d’avocats américains qui ont profité de la situation pour recruter des victimes potentielles et faire de l’affaire une juteuse rente de situation qui leur a permis de soutirer des sommes astronomiques – on parle de montant équivalent à deux milliards de dollars – à l’agro-industrie.
Après le dévoilement de cet indice tellement énorme qu’il pourrait suffire à innocenter notre coupable, on se dit que Gil Rivière-Wekstein a fini son travail en exhibant l’injustice d’une accusation inappropriée. Mais au cas où certains auraient encore des doutes et pour ne rien laisser de côté, il ré-ouvre encore deux dossiers pour démontrer comment des « scientifiques militants » ont monté de toute pièce des études à charge infondées et des « militants tout court », eux, n’ont pas hésité à s’exhiber en « pissant du glyphosate » et en payant de leur poche des tests plus ou moins frauduleux.
Reprendre le débat ?
Après avoir lu Glyphosate, l’impossible débat, on réalise pourquoi il est important de débattre sans préjugés. Que l’on soit convaincu ou non par l’argumentation de l’auteur, on voit que les opinions se colportent des militants (« la nébuleuse écolo-bio ») aux politiques qui prennent des décisions en passant par les journalistes qui – selon un Rivière-Wekstein pas particulièrement tendre avec ses collègues – se contentent pour la plupart de « faire un copier-coller des arguments des anti ». Les politiques, quant à eux, sont pris au piège, forcés de céder à la démagogie. Les victimes de cette mécanique implacable étant les utilisateurs finaux : les agriculteurs qui devront trouver des produits de substitution et au bout du bout, les consommateurs qui payeront plus cher leur alimentation.
« Plus de débat » aurait permis d’éviter cette situation. Mais encore faut-il pouvoir débattre en disposant des éléments éclairés. D’où l’intérêt de ce petit ouvrage qui va au fond du sujet : rendre de nouveau le débat possible.
(1) Glyphosate, l’impossible débat : Intox, mensonges et billets verts (Français) Broché – 13 février 2020 de Gil Rivière-Wekstein (Avec la contribution de), Jean-Daniel Flaysakier (Préface) https://www.amazon.fr/Glyphosate-limpossible-débat-mensonges-billets/dp/2350610829
(2) La querelle des OGM (PUF 2006) Jean-Paul Oury
(3) C’est ainsi que nous avons lancé une série de contribution sur The European Scientist intitulé la Querelle Raoult, dans laquelle nous publions des textes d’auteurs dont les avis différent au sujet de la Chloroquine ou de la méthode employée par Didier Raoult. A ce sujet voir les articles de Philippe Fabry, Marc Rameaux, Claude Escarguel , François Vazeille, Laurent Alexandre 1 et Laurent Alexandre 2 et Thierry Berthier