Il y a une semaine, deux actualités étaient à la Une de tous les médias et il fallait vraiment vivre dans une grotte pour ignorer que Greta Thunberg avait déversé son courroux à la tribune de l’Onu et qu’Atlas, le célèbre robot de Boston Dynamics pouvait égaler les talents des meilleurs gymnastes. Ce genre de coïncidences donnent matière à penser. En rentrant en collision, ces deux évènements nous ont dévoilé une thématique commune : la peur de l’avenir.
Qu’il s’agisse du discours enflammé de la jeune suédoise qui lance grimaçante « vous m’avez volé mes rêves » ou des fantasmes que génère la gestuelle de cet androïd sorti d’un film de science-fiction, l’émotion est au rendez-vous, et la panique gagne les foules.
Peur et instrumentalisation de nos peurs
Hollywood n’est pas pour rien dans cette fantasmagorie et comme l’indique le titre de notre éditorial, on retrouve des stéréotypes éculés derrière chacun des personnages. Il existe un art de communiquer la peur. Mais ne devons-nous pas distinguer d’une part, entre la peur et d’autre part, l’instrumentalisation de nos peurs ? Dans le premier cas, c’est une expérience qui déclenche chez nous une émotion. Dans le second cas, c’est un discours construit reposant sur une idéologie qui vise à nous faire peur.
Nous aurions donc tort de relativiser les deux évènements. Le sentiment d’étrangeté que nous éprouvons en voyant le robot relève davantage de la fascination, un mélange de peur et d’admiration. Notre mémoire étant gavé de scénarios de science fiction – à commencer par Terminator et plus récemment, Black Mirror – viennent parasiter notre imaginaire et le débat sur le sujet. Aussi, nous nous sommes déjà interrogés ici à plusieurs reprises sur les dangers des robots prof de philo ou les robots Président de la République.
Avec le discours de Greta Thunberg, il s’agit de tout autre chose. On est face à une démarche anxiogène qui vise à instrumentaliser notre peur de l’avenir. Ajoutons encore que le premier cas de figure est un sentiment a posteriori. L’autre est une émotion construite à coup d’idéologie. C’est cette dernière qui oeuvre pour nous faire fantasmer un avenir catastrophique. D’ailleurs Greta l’a dit elle-même à Davos : « Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours ». On se trouve vraiment dans la manipulation ! A contrario, tentant un raisonnement par l’absurde : cette même idéologie peut inversement « vouloir » que nous n’ayons plus peur de ce qui nous a toujours fait peur.
Prenons l’exemple du loup qui évoque chez l’homme une peur ancestrale. Comme le rappelle Sylvie Brunel dans son livre Toutes ces idées qui nous gâchent la vie, la ré-introduction du loup[1] a été pilotée en Europe par certains idéologues qui ont une pseudo-volonté de nous « réconcilier avec la nature » et une vraie « haine de l’humanité ». Ainsi, selon cette géographe, la ré-introduction du loup est une aberration sociale – on décourage les bergers -, et économique – il faut protéger les troupeaux et indemniser les éleveurs (chaque loup coute 57 000 euros au contribuable français). Ainsi l’auteure s’interroge : « Se réconcilier avec la nature… la belle blague. Avec le léopard qui tue le petit Wasim ? Avec le loup qui égorge des dizaines de brebis ? Avec le python de sept mètres qui, en 2017, avale entier un jardinier de 27 ans dans les Célèbes, en Indonésie ?… »
Ces exemples illustrent bien la différence entre le sentiment de peur des prédateurs bien naturel et ancré dans notre psychisme et l’idéologie qui veut nous commander de préserver des espèces que nous avons toujours chassées parce qu’elles nous faisaient peur, alors même qu’elles peuvent mettre nos vies en danger…
Vers une peur systématique du progrès technologique
Comme on le sait, la peur du progrès technologique est devenue un véritable marronnier et elle l’emporte sans doute de loin sur celle des peurs causées par des phénomènes naturels. De la vitesse des trains au climat en passant par l’atome et les modifications du vivant, une quantité de nouvelles angoisses sont apparues. La plupart de ces peurs sont liées à des accidents, mais beaucoup d’entre elles sont liées à des supputations. Aussi, c’est au philosophe Allemand Hans Jonas qu’on doit l’installation dans le paysage intellectuel d’une peur systématique de la technologie. Ce penseur – dans lequel se reconnaît l’écologisme – nous invite à exercer à chaque instant une éthique de la peur. Comme le souligne Dominique Lecourt : « Une telle éthique se présente comme directement fondée sur une nouvelle pensée de l’être – une ontologie qui prend en compte la menace que fait peser la technique humaine sur l’avenir de l’espèce elle-même. N’est-ce pas désormais la ‘biosphère’ elle-même qui est en péril (…) ? Mais voici que notre pouvoir conquis sur la nature s’est accru au point qu’à travers les mauvais traitements que nous lui faisons subir nous menaçons cette survie. » Comme on le sait, Jonas en appellera à une heuristique de la peur et on doit à sa réflexion le principe de précaution.
Cette petite parenthèse philosophique nous aide à mieux comprendre les ressorts d’une Greta Thunberg – en fait, surtout de ceux qui la manipulent – qui veut nous forcer à avoir peur. Si nous obéissons docilement à cette commande, nous sommes enclins à rejeter spontanément toute innovation technologique.
Une attitude contre-intuitive ?
Une question grave se pose cependant : cette attitude est-elle vraiment naturelle ? Ne va-t-elle pas à l’encontre de tout ce qui a présidé à ce jour au développement de l’humanité ? Par idéologie, certains nous commandent d’avoir peur de la civilisation issue de la science et de la technologie et nous invitent à la décroissance. Mais comment pourrait-on avoir peur d’une société qui a fait passer notre espérance de vie à 71 ans, réduit la mortalité infantile, réussi l’exploit d’apporter 3 100 calories par jour pour 1,3 milliards de Chinois, fait passer le taux de pauvreté de 90 % à 10 % de la population en moins de 250 ans, pour ne citer que quelques-uns des succès de la civilisation issue des Lumières ?
Et pour revenir à notre distinguo initial entre la manipulation de la peur et la peur comme émotion, voici quelques cas bien concrets :
- La première va nous commander d’avoir peur des biotechnologies capables de protéger les populations contre le paludisme, mais pas des moustiques qui peuvent l’inoculer.
- Elle nous commande d’avoir peur des pesticides (chimiques) qui protègent les cultures, mais d’accueillir sans nous poser de questions les pesticides (organiques) qui n’en restent pas moins dangereux.
- Elle nous commande d’avoir peur des centrales nucléaires qui ne rejettent pas de CO2 dans l’atmosphère, mais ne sonne pas le tocsin quand un pays entier est obligé d’avoir recours au charbon pour suppléer aux manques de sa production d’énergie renouvelable…
- Elle nous commande d’avoir peur des vaccins, mais pas des épidémies qui font des ravages
- Ou encore plus basique, elle nous commande d’avoir peur des NBIC capable de nous soigner et de nous aider à vivre plus longtemps, mais pas de la mort…
On pourrait multiplier ainsi les exemples à l’infini pour démontrer que « l’heuristique de la peur » nous commande – de manière assez peu naturelle – d’avoir peur des solutions scientifiques et techniques qui permettent à l’humanité d’améliorer son quotidien. C’est bien cette attitude que l’on retrouve derrière le discours de Greta Thunberg. Or si la peur est salutaire en ce qu’elle nous permet d’éviter un danger, il semble bien que l’instrumentalisation de nos peurs, elle, soit la porte ouverte à toutes les formes de manipulations idéologiques. C’est ce que nous devons craindre le plus.
[1] « En 2016, il y a eu 2 735 attaques dans 25 départements. Près de 10 000 brebis ont été tuées (9 788 exactement). Au total, les pouvoirs publics ont dépensé 21,4 millions d’euros pour les loups. En 2017, le nombre d’ovins décimés est passé à 12 000. » Sylvie Brunel, Toutes ces idées qui nous gâchent la vie, J.-C. Lattès, 2019.
Il ne faut pas avoir peur de la peur, car c’est rajouter de la peur à la peur. La situation mondiale n’est pas aussi rose que vous le dites. On vit « plus » oui, mais vit-on « mieux » ? c’est loin d’être une certitude.
Un exemple (mais je reconnais qu’il faudrait un long commentaire pour expliquer ma thèse ) : https://lemediapresse.fr/economie/non-la-mondialisation-na-pas-reduit-la-pauvrete-dans-le-monde