À la suite de l’annonce de l’audition de Greta Thunberg à l’Assemblée nationale, le député de droite Guillaume Larrivé a annoncé qu’il boycotterait l’événement. Une question se pose : la rationalité scientifique a-t-elle un parti politique de prédilection et si c’est le cas, est-il la droite ?
Une visite clivante
Alors que la désormais incontournable Greta Thunberg vient faire un discours à l’Assemblée, le député Guillaume Larrivé, membre du groupe Les Républicains à semé la zizanie en twittant :
« J’appelle mes collègues députés à boycotter @GretaThunberg à l’Assemblée nationale. Pour lutter intelligemment contre le réchauffement climatique, nous n’avons pas besoin de gourous apocalyptiques, mais de progrès scientifique & de courage politique. »
Julien Aubert, un autre député LR a enfoncé le clou :
« @GretaThunberg a été invitée à l’Assemblée nationale pour la séance. Je respecte la liberté de penser… mais ne comptez pas sur moi pour applaudir une prophétesse en culottes courtes, “prix Nobel de la peur”. La planète, oui. Le greenbusiness, non ».
Les députés LR ont été rejoints par l’extrême droite et Thierry Mariani, lui, a renchéri :
« Je comprends que l’on invite des vrais scientifiques à l’Assemblée, mais là, c’est vraiment n’importe quoi ! L’utilisation de cette adolescente, dressée comme un robot à répéter son discours, à un côté glaçant et totalitaire ».
Puis Sébastien Chenu a déclaré à France info
« Les députés du RN n’iront pas s’agenouiller devant cette nouvelle icône médiatique qui n’a aucune légitimité, autre que celle d’une enfant qui vient donner des leçons aux représentants élus français. »
Notons que ces prises de positions ont valu à leurs auteurs une volée de bois vert de la part des médias et des internautes.
En face, la député et présidente du groupe Europe Écologie les Verts, Delphine Batho a affirmé sur le plateau de France info, que la Jeune Greta « n’avait fait que porter sur la place publique le débat scientifique et qu’elle avait mieux lu le rapport du GIEC que les politiques ». Aussi, elle a réduit leur action à « une vaine tentative de mettre en valeur leur candidature politique à la tête du parti LR ».
Sur CNews, Olivier Faure, président du PS, a affirmé qu’il comprenait très bien Greta Thunberg et a contrario ne comprenait pas les élus LR qui ne voulaient pas la recevoir. De son côté, Nathalie Loiseau, député LaREM a affirmé
« Quelle piètre image ces députés donnent du débat démocratique et du respect pour l’engagement citoyen de la jeunesse ! Si nous n’agissons pas résolument pour la planète nous devrons rendre des comptes à la génération qui vient. Le savent-ils ? »
Si la ligne de démarcation entre la droite et la gauche était de plus en plus ténue et si la France semblait s’acheminer tranquillement vers un parti unique, il semble bien que la visite de la jeune Suédoise a réussi à raviver les tensions entre les bords politiques.
Le catastrophisme comme point de désaccord
À vrai dire, la réaction de Guillaume Larrivé et de ses compères avait un précédent. En effet, la députée sortante Françoise Grossetête, que nous avons pu interviewer pour notre site, avait tiré la première en refusant de participer à une séance organisée au mois d’avril par le Parlement Européen pour accueillir Greta. Elle s’était justifiée de la manière qui suit :
« Les discours catastrophistes de Greta Thunberg, s’ils ont le mérite de réveiller les consciences, me paraissent idéologues et contre-productifs. Si on veut mobiliser efficacement contre le réchauffement de la planète, il faut donner de l’espoir aux citoyens qui s’engagent et démontrer comment le progrès scientifique et technologique peut permettre de rendre meilleur le monde de demain. »
Il apparaît clairement au travers de cette citation que le point de désaccord ne porte pas sur l’existence du réchauffement climatique ainsi que son caractère anthropique qui semble accepté par les deux camps, mais sur la place que l’on accorde à l’émotion et au catastrophisme, en donnant la parole à cette égérie, eu égard aux arguments scientifiques et rationnels. Ainsi, le docteur Laurent Alexandre a interrogé Nathalie Loiseau, précédemment cité de la façon suivante :
S’opposer au discours mortifère de @GretaThunberg va-t-il devenir un délit ? @NathalieLoiseau doit se ressaisir. La bataille écologique ne se gagnera pas dans l’hystérisation et l’appel à l’émotion MAIS PAR LA SCIENCE. Pour gagner 2022, En Marche veut s’allier aux Verts !
Notons enfin que ce désaccord entre les opinions politiques et la polémique qui enfle entre les partisans de l’écologisme et ceux plus modérés, des « climato-réalistes » partisans d’un recours à la science, se retrouve également dans la presse ; point que nous avions vu dans l’édito Discours pro-science : tout le monde se lâche ! En effet, les médias qui défendent ouvertement la science et la rationalité sont considérés comme étant de droite. Ainsi, Le Point, L’Express ou encore Valeurs Actuelles ont consacré des numéros spéciaux à la défense de la rationalité. La presse de gauche semble à ce jour étonnamment absente sur ce créneau. Pourtant la ligne de partage n’est sans doute pas si catégorique qu’on pourrait le croire.
L’idéologie anti-science n’a pas d’appartenance politique
Si comme on vient de le voir, il y a une vraie polarisation des opinions politiques, il n’en reste pas moins qu’il est trop tôt pour faire une généralisation. Surtout que l’opposition porte sur les moyens à mettre en œuvre pas sur le diagnostic. Aussi d’autres polémiques nous ont montré par le passé qu’il n’y avait pas vraiment de frontière nette et que des opinions anti-science pouvaient être partagées à droite, et inversement, des opinions pro-sciences, à gauche. Comme nous l’avions écrit en 2008 dans une tribune pour le journal Le Monde (1), alors qu’à l’époque on trouvait NKM et Alain Juppé parmi les plus fervents opposants aux OGM, à gauche, Michel Charasse et Claude Allègre faisaient partie de leurs plus fervents défenseurs. Ce qui nous avait permis d’affirmer :
« il apparaît clairement que ça n’est pas l’appartenance à une famille politique qui définit le fait que l’on soit plutôt pro, ou plutôt anti. En ce sens, la querelle des OGM n’est pas politique, elle est idéologique : elle oppose deux visions du rapport « homme/nature » qui se trouvent également réparties à gauche et à droite : la position qui consiste à se définir comme anti-OGM est une vision conservatrice du vivant. »
Certes depuis les choses semblent avoir évolué. D’une part, de plus en plus de scientifiques se sont jetés dans le bain pour prendre part au débat, comme on vient de le voir encore récemment avec le nouveau collectif No Fake Science – succédané du collectif Science Technologie Action qui a choisi d’écrire en écriture inclusive. D’autre part, les opinions se sont radicalisées et désormais les anathèmes pleuvent en trombe de part et d’autre. La soirée Envoyé Spécial Glyphosate illustre parfaitement cette situation : scientifiques, journalistes, agriculteurs, étudiants… tous se sont jetés dans la bataille à corps perdu et sans absolument aucune retenue, un phénomène inimaginable il y a encore quelques années. Dans cette opération, si on ne peut affirmer catégoriquement que l’idéologie pro-science soit l’apanage de la droite, il semble au contraire de plus en plus difficile d’être scientifique de gauche comme l’affirmait Jean De Kervasdoué dans une tribune écrite pour l’AFIS en 2013 (2).
Mais il nous est toujours permis de douter : n’oublions pas que les valeurs de progrès, essentielles à la science se situent théoriquement à gauche, quant à celle du conservatisme, essentielles à l’environnement, elles, se situent généralement à droite. Quant à la dernière résolution sur les sciences et le progrès dans la République elle émane d’une initiative menée par des députés de droite et de gauche… Tous les espoirs sont donc permis pour que l’intelligence continue d’être la valeur la mieux partagée au monde et que Greta Thunberg retourne mettre en œuvre ses talents sur les bancs de l’école, plutôt que sur ceux de l’Assemblée.
(1) « Les OGM, querelle idéologique », par Jean-Paul Oury, dans Le Monde,https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/05/20/les-ogm-querelle-ideologique-par-jean-paul-oury_1047107_3244.html
(2) https://www.pseudo-sciences.org/Peut-on-encore-etre-scientifique-et-de-gauche