Fermeture de Fessenheim, transposition de l’arrêt de la CJUE sur les biotechnologies végétales par le Conseil d’état, invasion de criquets pèlerin en Afrique… l’actualité de la politique scientifique et technique est intense. Une bonne raison d’encourager ces débats comme le fait Europeanscientist depuis deux ans désormais.
Pour que les politiques parlent davantage « science » et les scientifiques davantage « politique scientifique »
Lorsque Europeanscientist a vu le jour il y a deux ans, c’était dans l’objectif d’encourager les débats scientifiques et techniques en partant de ce double diagnostic : d’une part les scientifiques ont besoin de s’engager pour expliquer, vulgariser et parfois défendre leur activité ; d’autre part les politiques doivent s’intéresser davantage à la science et aux technologies, afin de prendre les bonnes décisions.
Pendant longtemps la communauté scientifique est restée dans sa tour d’ivoire, confinée à des publications dans des revues professionnelles à comité de lecture. Certes, les vulgarisateurs stars ont toujours existé, les pourfendeurs de pseudo-science également. Mais, plus récemment, le débat s’est déplacé. Et la communauté scientifique, décrédibilisée par certaines critiques, a été obligée de se justifier auprès de l’opinion publique. Au travers d’un mouvement qui est allé croissant, les scientifiques ont pris le parti de s’engager et carrément, de se lâcher, pour défendre la rationalité attaquée de toute part.
En face, quelques politiques également se sont engagés pour la science. C’est le cas, par exemple des députés Bernard Accoyer et Jean-Yves Le Déaut, qui, il y a trois ans, avaient déposé une résolution à l’Assemblée nationale. Mais tout cela est bien insuffisant et comme le dénonçait justement le docteur Laurent Alexandre, qui n’a pas sa langue dans sa poche : il y a une « Nullité scientifique des politiciens »
Notre rubrique « opinion » a donc pour objectif de favoriser l’expression des scientifiques qui voudraient s’engager pour leur discipline et également les politiques, ou autres leaders d’opinion qui entendent faire part de leur point de vue sur la science et justifier leurs décisions. Et c’est ce que nous faisons cette semaine avec trois tribunes de scientifiques très engagés.
Fessenheim : doit-on laisser tomber le nucléaire ?
Depuis début janvier, le Green Deal Européen annoncé par Ursula Von Der Leyen prévoie d’investir mille milliards d’Euros dans la transition écologique, en s’appuyant sur la meilleure technologie disponible. Le choix de cette dernière revêt un enjeu stratégique. Or comment les politiques vont-ils prendre leurs décisions ? Quels experts vont-ils écouter pour choisir le « meilleure technologie possible » ?
Avec la fermeture en France du premier réacteur de la centrale de Fessenheim ce 22 février, les experts du nucléaires s’engagent et avertissent les politiques de l’erreur qu’ils sont en train de commettre. C’est le cas de Jean-Pierre Riou, en charge du bureau énergie du Collectif STA, qui écrit Fessenheim : l’exécution d’une promesse à 10 milliards d’euros. L’expert s’insurge :
« Alors que la réduction des émissions de CO2 est érigée en priorité nationale, on ne peut que déplorer la fermeture d’une centrale nucléaire en parfait état de fonctionnement. Et ce, alors même qu’une centrale à gaz est construite à Landivisiau, en Bretagne : un non-sens écologique (…) la fermeture de la centrale de Fessenheim est aussi une absurdité du point de vue de la souveraineté énergétique européenne : le nucléaire demeure une industrie puissante et pilotable, capable de répondre rapidement et facilement aux besoins des pays européens. »
Mobilisation et pétition scientifiques pour les biotechnologies en Europe
Hier soir Jean-Baptiste Moreau, Député de la Creuse, avait organisé à l’Assemblée Nationale la projection du film Food Evolution. S’en est suivi un débat entre partisan des OGM et du bio. Daniel Evain, président de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique a fini par avouer que le débat en question était entièrement politique !
Voici donc une raison supplémentaire pour les scientifiques qui veulent défendre les biotechnologies de s’engager davantage pour que l’Union Européenne reste dans la course des biotechnologies et c’est tout l’objet de deux initiatives pro Biotech, comme nous le raconte cette semaine Catherine Regnault Roger de l’Académie d’Agriculture :
Celle du Groupe de conseillers scientifiques principaux auprès de la Commission européenne (le Scientific Advice Mechanism) pour sortir de la directive 2001/18/CE.
Et la pétition lancée par un groupe d’étudiants européens de huit nationalités différentes de l’Université de Wageningen aux Pays Bas pour « encourager l’innovation agricole de manière responsable dans l’UE ».
Invasion de criquets en Afrique et idéologie anti-science européenne
Comme nous le raconte le Kenyan James Njoroge, dans Europe’s anti-science plague descends on Africa, le Kenya, la Somalie, l’Éthiopie, puis plus récemment Djibouti, l’Érythrée, Oman et le Yémen ont connu une invasion de criquets pèlerin à reproduction rapide. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), «c’est la pire situation depuis 25 ans ». Oxfam estime que 25 millions de personnes commencent à souffrir de la faim du fait des pertes subies sur les récoltes. Un pesticide comme le fénitrothion pourrait jouer un rôle clé.
Oui mais le problème, comme nous l’explique monsieur Njoroge, c’est que des ONG européennes font pressions sur les gouvernements pour qu’ils abandonnent l’utilisation de pesticides :
« Interdire des pesticides modernes plus sûrs et plus efficaces, comme le fénitrothion qui permet de lutter contre les criquets, et en même temps autoriser le cuivre est un façon lâche d’éliminer la concurrence pour défendre les intérêts du bio. Pendant ce temps, à moins que les criquets s’arrêtent, ce sont les agriculteurs africains eux-mêmes qui seront éliminés. (…) L’Europe est suffisamment riche pour décimer sa propre agriculture et devenir un importateur net de produits alimentaires encore plus important qu’elle ne l’est déjà. Pour les Africains qui ne disposent pas d’un tel luxe, c’est une question de vie ou de mort. »
Si les partisans du nucléaire s’étaient engagés avant, peut-être qu’ils auraient réussi à faire basculer l’opinion et les politiques sur le bienfondé de cette source d’énergie et empêché la fermeture de Fessenheim ; si les scientifiques pro-biotech ne réussissent pas à faire changer la commission, peut-être que l’Europe n’aura pas d’avenir dans la recherche et deviendra une colonie des autres continents sur ce sujet ; enfin si les agriculteurs africains se laissent faire, les ONG européennes finiront par imposer leurs idéologies et l’Afrique stagnera….
On le voit au travers de ces trois sujets, science et politique sont plus que jamais étroitement liées. Qu’il s’agisse de choisir notre source d’énergie pour demain, de rester dans la course du progrès des biotechnologies végétales ou encore du choix de notre agriculture, l’actualité nous fournit chaque jour une quantité de sujets qui sont matière à débat, autant de bonnes raisons pour les scientifiques de parler politique scientifique…. et d’inviter les politiques à en faire de même, en connaissance de cause.
Merci de continuer de nous lire et n’hésitez-pas à nous faire part de vos propositions de tribunes.
This post is also available in: EN (EN)DE (DE)