Il y a une dizaine de jours environ, Virginie Tournay, du CEVIPOF, un institut de recherche politique du célèbre SciencePo, a publié sur son blog du Huffingtonpost « La culture scientifique est à reconquérir ». Une semaine plus tard c’est le collectif Science Technologies Actions qui publiait sur le site du journal économique Les Echos : « Ne renonçons pas à la science ! » Chacun de ces deux textes a été signé par une quarantaine de leaders d’opinion : scientifiques, directeurs de laboratoire, Académiciens, politiques proches du milieu scientifique… Précisions que les auteurs étaient aussi bien issus du secteur public que privé. Si le style des deux textes est bien différent, ils font tous les deux référence à un seul et même texte de loi “la Résolution sur les sciences et le progrès dans la République”, qui a été déposée le 21 février 2017 à l’initiative de Bernard Accoyer (LR) et Jean-Yves Le Déaut (PS). Or que dit ce texte en bref : il pose le principe selon lequel : « la France, héritière d’une longue tradition scientifique, rationaliste et de la philosophie des Lumières, a toujours incarné le progrès et la science au service de l’humanité » et que conformément à un rapport de l’Unesco déposé en 2016, « Les sciences, la technologie et l’innovation ont la capacité de changer la donne pour relever pratiquement tous les défis mondiaux les plus urgents. » Aussi, de manière assez inquiétante, « Des discours partisans voire sectaires fondés sur une défiance croissante vis-à-vis de l’expertise scientifique constituent une grave remise en cause de cet esprit des Lumières en s’attaquant aux règles mêmes sur lesquelles repose l’institutionnalisation de toute science » Partant de ce constat, « l’Assemblée nationale et le Sénat ont souhaité que l’action et les décisions du Parlement puissent être éclairées sur les conséquences des choix à caractère scientifique et technologique » ce qui est formulé en dix points : la science est vecteur d’innovation; son initiation doit être renforcée et le gouvernement doit veiller à son enseignement à l’école ; il doit y avoir davantage d’interaction entre les enseignements en sciences technologiques et sciences humaines dans le cursus scolaire et universitaire ; il faut étoffer la partie du programme de philosophie consacré aux sciences ; il faut écouter davantage les Académies, accentuer le travail de communication dans le cadre de débat liés aux thématiques bénéfice-risque ; les émissions de service public doivent renforcer l’offre d’émissions scientifiques ; il est important de réfléchir davantage à l’usage raisonné des technologies numériques ; enfin il est essentiel de donner davantage d’importance aux études et rapport de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) organisme principalement à l’origine de cette résolution.
Une année plus tard ce sont donc 80 scientifiques français qui se fendent de deux tribunes-pétitions pour alerter les décideurs politiques sur le fait qu’en plus d’être passés inaperçus, les points soulevés par ce texte de loi, semblent être restés lettre morte. Pire, il semblerait que l’actualité donne de plus en plus raison aux « ennemis de la science ». Ainsi comme le rappelle Virginie Tournay, si la constitutionnalité du principe de précaution est désormais acquise[1] « elle s’accompagne hélas d’un populisme précautionniste omniprésent pour reprendre la formule du sociologue Gérald Bronner. (…) Or, la précaution ne signifie pas résistance au changement mais elle a pour visée la protection de la santé des personnes et de l’environnement. Oter de façon systématique les vaccins, les produits pharmaceutiques, les micro-ondes, les compteurs électriques, la viande rouge, les fertilisants, le gluten, les satellites météorologiques et les outils de télécommunication à l’humanité aurait certainement des effets plus négatifs que positifs et constituerait dès lors une grave atteinte à l’esprit de la constitution. Il faut ainsi apprendre à faire la part des choses entre les effets réels d’une action, et ce qui relève de la légende sociale. » Quant au Collectif Science Technologie Action, il reprend le constat de la résolution : « l’expertise scientifique n’est plus assez prise en compte dans les processus de la décision politique » et il donne des exemples. Qu’il s’agisse du Glyphosate, des OGM, du nucléaire ou encore des perturbateurs endocriniens, les auteurs souligne durement « La France s’isole », « Le gouvernement ne fait pas confiance à ses propres comités d’homologation des nouveaux produits », « les décideurs publiques s’alignent sur les marchands de peur » ou encore « Des tractations politiciennes se font sur le dos des technologies », et de souligner leur exaspération : « Nous sommes consternés que le sujet complexe des « perturbateurs endocriniens » devienne argument électoral, que les gouvernements s’alignent sur une phobie de la « chimie », que la simple exploration d’hydrocarbures dans le sous-sol soit interdite, qu’une installation d’antenne-relais puisse être interdite suite à des désinformations, etc. (….) Le régime de la « post-vérité » a gagné du terrain dans le domaine scientifique et technique.» En conclusion, les signataires en appellent le gouvernement à mettre en application les principes de la résolution mais aussi aux « scientifiques, les ingénieurs, les techniciens, les intellectuels, les agriculteurs et tout citoyen » de s’unir pour agir afin « d’aider à remettre les arguments scientifiques rationnels au cœur de la décision politique »
A ce jour, cette mobilisation semble unique en Europe, aussi il serait intéressant de savoir ce qu’elle va devenir et si elle est susceptible de faire des émules chez les scientifiques des autres pays de l’Union. D’ailleurs ceux-ci ont-elles besoin de recourir à de telles actions et d’envoyer de tels messages ? Ou s’agit-il encore là d’une spécificité française ?
Car la question fondamentale qui se pose ici est celle de savoir si la sensibilisation des politiques aux causes scientifiques est peine perdue. Les premiers sont-ils définitivement incapables d’entendre la vérité des seconds et si oui pour quelles raisons ? Les thèses à ce sujet sont légions et nous aurons de nombreuses occasions d’y revenir. Terminons toutefois par une petite note d’espoir. Alors qu’il fait l’objet de nombreuses critiques par des groupes d’opposants, le compteur Linky, un compteur intelligent du distributeur français d’énergie Enedis[2] vient de recevoir le soutien de 26 députés qui ont signé une tribune dans le journal Le Monde… Comme quoi quand les politiques prennent le temps d’écouter les scientifiques, les choses peuvent se passer différemment.
[1] On rappellera que la France est le seul pays au monde à avoir ainsi inscrit le principe de précaution dans sa constitution, voir à ce propos notre édito sur le sujet Precautionary principle, Principe de précaution, Vorsorgeprinzip
[2] Ces derniers notamment dénoncent la grandeur des ondes émises par le système, alors que celui-ci n’émet pas plus d’ondes qu’un téléviseur ou un écran cathodique,
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