Selon une étude de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle publiée en juin 2018, la contrefaçon amputerait l’économie européenne de plus de 60 milliards d’euros et toucherait treize secteurs de l’économie européenne, générant une perte de plus de 435 000 emplois. L’industrie du luxe est particulièrement touchée parmi les secteurs concernés avec les chaussures, les accessoires, les articles de bijouterie, d’horlogerie, de maroquinerie, les bagages, les spiritueux, les vins…. Dans ce contexte, les politiques de lutte contre la contrefaçon semblent souvent impuissantes. Mais il se pourrait que la science et l’innovation technologique présentent un vrai recours. Recours qui permettra à terme de rassurer le consommateur, et de prendre en considération des valeurs éthiques qui sont aujourd’hui de plus en plus partagées, comme la dignité des travailleurs et le bien-être animal.
Quête d’authenticité et impuissance de la com’
Face au fléau de la contrefaçon, les consommateurs ont développé une certaine méfiance à l’égard des grandes marques et se reportent souvent vers l’artisanat. C’est un phénomène particulièrement remarquable dans l’horlogerie. C’est ainsi qu’un artisan horloger tel que Philippe Dufour, dont les montres se vendent à prix d’or, s’amuse à souligner malicieusement dans une interview au Temps que désormais les clients ne s’en laissent plus compter : « Avant, ils croyaient ce que leur racontaient les vendeurs. Aujourd’hui, ils leur répondent : « Vous êtes sûrs que votre pont est fini à la main ? Car on peut distinguer les petites vibrations de la machine…» Pour autant, le recours à l’artisanat est parfois complexe. Surtout dans les cas de figure où la production a été délocalisée. Les efforts des marques pour communiquer sur la qualité des fournisseurs auxquelles elles font appel sont alors considérables. Ainsi, la firme Van Cleef & Arpels a fait un clip vidéo dans lequel elle donne la parole à tous les artisans qui ont pris part à la conception et à la réalisation de l’Automate Fée Ondine, un objet unique présenté à l’occasion du Salon international de la haute horlogerie Genève 2017. Mais là encore, la communication ne semble pas fournir toutes les garanties aux consommateurs.
La technologie, source de garantie ?
Comme le rappelle pour l’Agefi Antoine Lorotte, directeur général de FiveCo, une PME suisse spécialisée dans l’ingénierie innovante, « la quête de l’objet impossible à copier est en train de devenir un sport très prisé des vrais amateurs de luxe… aussi nos grandes marques nationales devraient se concentrer sur ces problématiques et rechercher quelles garanties elles peuvent fournir à leurs clients pour que ceux-ci se disent ‘je dispose d’un produit authentique’. Aussi cela dépasse le stade du seul macaron, logo ou autre poinçon. » De ce fait, la technologie est un nouveau générateur de confiance. Et comme nous le rappelions dans un éditorial récent, une révolution technologique telle que la blockchain pourrait bien transformer le monde de la finance, de l’assurance, mais aussi celui de l’agriculture, grâce aux contrats intelligents qui fournissent des garanties absolument inviolables. Le luxe ne fait pas exception et une marque comme De Beers envisage par exemple de certifier ses pierres précieuses en y ayant recours dans une plateforme qui « offrira un registre unique et immuable qui retracera le trajet individuel d’un diamant à travers la chaîne de valeur ».
Spécificité du luxe et course à l’innovation
Si la technologie est amenée à jouer un rôle de plus en plus prépondérant dans la traçabilité, il faut cependant souligner la spécificité de l’univers du luxe. En effet, les valeurs propres à ce dernier nous ramènent davantage à la tradition qu’à l’innovation. Et de ce fait, les marques doivent rivaliser d’imagination pour trouver des solutions qui ne nuisent pas à la préciosité des produits. Les spécialistes identifient généralement trois niveaux de marquage : le premier est accessible à tous (marque, logo, emblème) ; le second consiste en un marquage (code-barres magnétiques ou invisibles, marquage luminescent, fil magnétique, support RFID…) qui nécessite un appareillage de détection simple dont disposent par exemple, les points de vente, les douanes ou la police lors d’une perquisition ; le troisième repose sur un système de codage (ADN de synthèse, marqueurs à base de terres rares…), ce dernier proposant une vraie garantie et nécessitant souvent une analyse approfondie (le plus souvent en laboratoire). Les innovations technologiques en la matière sont nombreuses : la société Gemetiq Technologie a mis au point un système de transpondeur sans contact qui, intégré dans une étiquette, permet de vérifier certaines données à l’aide d’un lecteur NFC (Near Field Communication) qui prouvera l’authenticité de la pièce. Entrupy est une application mobile qui permet d’identifier la provenance d’un produit de luxe grâce à une base de données de millions de photos microscopiques permettant d’authentifier les produits. Primo1D développe un projet de micro encapsulation de puces électroniques RFID dans le fil des textiles et des vêtements. La société ApplieddnaSciences a développé une solution qui permet de marquer génétiquement le coton afin que les marques puissent tracer parfaitement sa provenance et ainsi être certaines du fournisseur. Ce dernier exemple nous montre à quel point la traçabilité des matériaux revêt un enjeu fondamental pour les marques qui veulent pouvoir certifier les sous-traitants avec lesquels elles collaborent.
De la technologie à l’éthique : l’exemple LVMH
Comme on le constate, la technologie occupe un rôle fondamental et fait ce que ne pourra jamais faire aucune réglementation, voire aucune campagne de communication. Mais elle permet bien plus que de simplement lutter contre la contrefaçon. Elle met également en cohérence le consommateur avec des valeurs de plus en plus partagées. Aujourd’hui, l’éthique prend une place chaque jour plus importante dans les actes d’achat. Le « consom’acteur » souhaite faire un geste responsable. Les marques de luxe ne peuvent plus se contenter de proposer des objets exclusifs, elles doivent également démontrer l’exemplarité de ceux-ci et dans les process de fabrication. L’ambition des solutions technologiques de traçabilité est donc beaucoup plus vaste qu’éliminer la fraude. Pour les groupes de luxe, c’est l’occasion unique de montrer patte blanche en garantissant aux acheteurs qu’ils ont acquis un produit exemplaire qui respecte des principes. Ainsi, par exemple, le groupe de luxe LVMH peut assurer aux acquéreurs potentiels d’une fourrure, qu’il respecte effectivement la charte mise en place dans le cadre de « Leather Working Group » afin de contrôler que le bien-être animal est conforme à la charte «Animal Sourcing Principles». Le groupe peut également assurer, grâce au respect du Code fournisseur par ses marques, que le travail de fabrication se fait dans les meilleures conditions possibles. Et qu’il se réserve le droit d’effectuer des audits de contrôle afin de vérifier la conformité des pratiques avec les valeurs éthiques prônées par le groupe.
Une fois de plus, la science et la technologie se trouvent à un endroit où on ne les aurait jamais attendues. Et elles vont permettre aux grands groupes de garantir la valeur ajoutée (dont la valeur éthique) des produits qu’ils délivrent à leurs clients.