Le 10 juillet prochain les députés français devront se prononcer sur une mesure symbolique : un amendement poussé par le ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot propose d’inscrire « la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ainsi que l’action contre le changement climatique » dans l’article Premier de la Constitution, tout cela dans le cadre d’un projet de révision de celle-ci. La manœuvre consiste à renforcer encore la constitutionnalité de l’engagement et à lui donner toujours plus de visibilité, sachant qu’il se trouve aujourd’hui à l’article 34 de la même Constitution. Une volonté politique qui interpelle.
Une tendance mondiale, très diversifiée
Qu’en est-il ailleurs ? Comme le constate Jacqueline Morand-Deviller, la constitutionnalisation du droit de l’environnement est apparue dans les années 1970, avec la conférence de Stockholm (1972) à la suite de laquelle « la Suède, en 1974, le Portugal, en 1976, l’Espagne, en 1978 », ont fait entrer l’environnement dans leurs Constitutions. Puis, sur le continent européen, suivirent l’Autriche en 1984, la Belgique et l’Allemagne en 1994, et la France, tardivement, en 2004. L’auteure remarque que « L’accession à la constitutionnalisation est un phénomène général tant il est évident que l’environnement est devenu un enjeu politique majeur et que, quels que soient les régimes et les sensibilités, sa protection appelle une consécration au plus haut niveau normatif. » Elle note tout de même que certains pays comme le Danemark, l’Irlande, l’Australie, le Japon et les Etats-Unis, se contentent de « l’engagement du législateur ». Or, ce qui nous frappe dans la synthèse proposée, c’est la diversité des énoncés. La Suisse, par exemple, évoque « un équilibre durable entre la nature, – en particulier sa capacité de renouvellement – et son utilisation par l’être humain » ; le Portugal affirme que « protéger sa santé est un droit, la préserver et l’améliorer est une obligation qui s’impose à tous » ; la Grèce, elle, insiste sur la protection de la forêt, l’Autriche sur la protection contre le nucléaire ; les Belges, eux, évoquent la santé avec un « droit à la protection d’un environnement sain » ; l’Italie, parmi ses principes fondamentaux, a inscrit « La République protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation ». En dehors du continent européen on trouve également une très grande variabilité des engagements : ainsi, la Russie veut une « réparation du préjudice causé à sa santé par une infraction écologique » ; la Chine voit l’environnement comme une propriété collective ; un petit pays comme le Bhoutan souhaite qu’un minimum de 60 % de son territoire soit maintenu en forêt. En Uruguay, l’eau est une « ressource naturelle vitale » et l’accès à l’eau potable ainsi que l’accès à l’assainissement constituent « un droit humain fondamental »… Si la plupart des Constitutions intègrent l’environnement, il apparait clairement qu’il n’y a pas de définition unitaire de cette notion et chaque pays y va de sa prérogative en fonction de ses priorités. Or d’après madame Morand-Deviller, cette « diversité dans la présentation n’a pas a priori de conséquences quant à l’effectivité de la norme constitutionnelle ». Ce qui reviendrait le plus souvent serait le concept de « développement durable ». Elle fait cependant une remarque très importante : « souvent dans une dimension de soft law leur portée normative reste parfois indécise » et de ce fait, l’interprétation du juge joue un grand rôle. Tout cela nous laisse dans un certain flou : manque d’unicité du concept d’environnement, forte variabilité de l’appréciation des hommes de lois… Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Une notion complexe
On fait généralement remonter la prise de conscience de la cause environnementale à la réunion du Club de Rome en 1968 et au rapport MEADOWS qui met le doigt sur le fait que les ressources de la planète sont limitées et vise à réfréner l’élan suscité par la civilisation industrielle. Puis en 1972, la conférence de Stockholm dont nous avons déjà parlé aboutira au Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). En 1976, on prend des mesures pour lutter contre l’usage des chlorofluorocarbures, dont on suspecte être à l’origine du trou dans la couche d’ozone. Ensuite, c’est en 1979 que le philosophe allemand Hans Jonas écrit Das Prinzip Veranwortung (Le Principe responsabilité) qui aura une influence juridique considérable, notamment sur l’introduction de l’environnement dans les Constitutions et qu’on peut trouver également à l’origine du Principe de précaution. Le philosophe en a appelé à une nouvelle définition de la responsabilité : « Nulle éthique antérieure n’avait à prendre en considération la condition globale de la vie humaine et l’avenir lointain de l’existence de l’espèce elle-même. » De cette considération découlera ce que Jonas a appelé une « heuristique de la peur », pour lui il ne s’agit pas seulement de gérer le problème du point de vue scientifique, mais bien du point de vue éthique. Il affirme « Il n’est plus dépourvu de sens de demander si l’état de la nature extrahumaine, la biosphère dans sa totalité et dans ses parties qui sont maintenant soumises à notre pouvoir n’est pas devenu, par le fait même, un bien confié à l’homme et qu’elle a quelque chose comme une prétention morale à notre égard – non seulement pour notre bien, mais également pour son propre bien et de son propre droit.» Comment circonscrire alors cette notion d’environnement, concept scientifique, à la base, qui par le jeu de la philosophie, se transforme en engagement législatif ? Quel est cet « environnement » sur lequel on devra s’abstenir d’intervenir ? Ayant repris à son compte le questionnement de Jonas sur la responsabilité de l’homme à l’égard de la Nature, le philosophe Dominique Bourg émet un doute : « L’éventualité d’une telle destruction est absurde si l’on entend par nature l’ensemble des lois physiques. On ne saurait en ce sens agir autrement que naturellement. Mais il en va autrement si l’on entend par nature, de façon plus restrictive, la Biosphère, à savoir l’ensemble des espèces naturelles et des milieux qui leurs sont associés. » Cependant, d’après lui nous ne serions pas en mesure de gérer cette « biosphère » d’où la nécessité d’introduire une « écologie industrielle » qui se fixerait « la plus grande compatibilité possible entre le procès industriel de production et de consommation et les grands cycles biogéochimiques. » On observe donc un progrès entre la conception purement éthique d’un Jonas et celle déjà plus ouverte à la science d’un Dominique Bourg qui affirme encore : « La puissance relative conférée désormais à chacun de nous par les sciences et techniques suscite une responsabilité nouvelle : nous sommes en effet devenus responsables de l’écoumène, c’est-à-dire de la Terre humainement habitée, et donc des générations à venir, pour autant que nous sommes capables à l’échelle des temps historiques, de la dégrader et de compromettre ainsi la qualité de la vie des générations qui nous succèderont. » On comprend en effet que cette fluctuation sémantique – due aux multiples problématiques philosophiques – puisse être assez dérangeante surtout quand il s’agit ensuite pour un législateur de graver dans le marbre de la loi un principe et ce au plus haut niveau. D’un côté, on trouve une notion éthique qui se fondrait sur une heuristique de la peur et pourrait simplement donner lieu à des dispositifs juridiques s’opposant à toute forme de technologie et de l’autre, une vision philosophique qui suppose qu’on puisse définir a priori l’« écologie industrielle ». Comment le législateur est-il en mesure de définir un contenu législatif à l’engagement « environnemental » face à toute cette complexité ? Pour prendre un exemple concret tiré d’une récension de l’ouvrage de Steven Pinker, l’une des démonstrations phares de cet auteur célèbre qui a passé en revue une quantité impressionnantes de données, c’est que : la science et la technologie nous permettent d’améliorer en permanence l’environnement, en cela, ils accomplissent l’intuition de la philosophie des Lumières. Ainsi, pour ne citer un de ses principaux arguments, il rappelle que l’EPA (l’agence environnementale US) a évalué en 2015 que le nombre d’émissions polluantes avait diminué de 2/3 depuis 1970, alors que dans la même période, la population mondiale a augmenté de 40 % et que ces gens conduisent deux fois plus et sont devenus 2,5 fois plus riches. Aurait-on pu arriver à de tels résultats avec un « engagement environnemental » dans la Constitution ? Comment des juristes seront-ils en mesure de dire si une technologie est respectueuse ou non de l’environnement ? La question est cruciale. Un juge demain pourra-t-il faire fermer un laboratoire ou une entreprise qui irait à l’encontre de la définition retenu de l’environnement du pouvoir en place ?
Un remake inévitable du principe de précaution ?
L’enjeu de cette manipulation de la Constitution est considérable comme on le voit. Et on se demande quelle en est la logique. D’autant plus que le principe de précaution est déjà présent à l’article 5 de la Charte de l’environnement, depuis 2005. Et qu’il offre bon nombre de garanties en matière de préservation de l’environnement puisqu’il affirme que : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leur domaine d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Or depuis cette modification de la Constitution, les critiques n’ont jamais cessé : de la part des scientifiques et des entreprises dont la démarche est obérée par cette loi. Spontanément, de nombreuses voix se sont élevées pour dire que Louis Pasteur n’aurait jamais pu inventer son vaccin contre la rage ou que Marie Sklodowska-Curie, n’aurait jamais pu découvrir le Polonium. De notre côté, nous avons démontré comment ce principe avait permis un mode de penser idéologique de rentrer dans la pratique scientifique, obligeant les chercheurs à donner des réponses à des questions non scientifiques et en leur demandant de démontrer l’existence du « risque 0 ». Étant dans l’incapacité de répondre à ces questions, ils laissent les idéologues de tous bords prendre les devants et proposer des solutions qui, pour le coup, échappent à toutes démonstrations scientifiques. On ne voit pas, comment cette nouvelle manipulation d’un engagement juridique qui n’a pas de définition univoque et est autant complexe du point de vue éthique que philosophique pourrait échapper cette logique d’une récupération idéologique.
La Constitution doit rester sobre
Pour rappel, l’article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce que la liberté « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » Cet article est à la base de la liberté d’entreprendre et la régit depuis plus de 200 ans avec les succès qu’on sait. Comme le remarque Nicolas Beytout, rédacteur en chef du journal Français l’Opinion, Jean-Étienne-Marie Portalis qui était un des rédacteurs du Code Civil en 1804 qui avait affirmé « Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires » doit se retourner dans sa Nécropole s’il a connaissance des 1 400 amendements de la révision constitutionnelles. Or si l’amendement déposé par le groupe LREM pour insérer dans l’article 1 « Agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le changement climatique » est adopté alors comme l’affirme dans Libération le juriste Bastien François, professeur de droit à Paris-Sorbonne, « Face à une loi ou un décret qui favorise un développement économique portant atteinte au climat ou qui ne tiendrait pas assez compte des dégâts engendrés, le juge disposerait de cet outil ». Certains ont également évoqué la possibilité de faire inscrire dans la loi, la finitude des ressources naturelles…. L’intention ici est donc claire : l’écologie politique veut dicter sa loi à la science et à la technologie. On ne pourra s’empêcher alors de penser à l’avertissement de Bernard Sève commentant Jonas, rapporté dans l’ouvrage de Catherine Larrère et Raphaël Larrère : « La catastrophe ultime ne nous indique qu’un souci global que nous ne savons pas détailler : à toujours passer à la limite, il devient impossible ‘de sérier et de hiérarchiser les dangers’, on risque de s’interdire d’agir (…) En agitant une menace hyperbolique, il introduit en réalité une nouvelle éthique de la conviction (la croyance en une conviction inéluctable). L’espérance s’y inverse en peur, c’est l’éthique, négative, de la ‘prophétie de malheur’». D’où la difficulté qu’il y a d’inscrire cette éthique de la conviction dans le champ politique. Elle ne se prête pas, montre Bernard Sève, au débat démocratique : « gouverner sous la menace suppose que celle-ci ne puisse être mise en doute, le débat public qui examinait les risques est exclu. (…) User de la peur pour influencer les comportements n’est pas très efficace (…) On se détermine plus par la représentation d’un bien apparent proche que par l’anticipation d’un danger lointain.(…) Ce que Jonas ignore finalement, c’est le domaine de la rationalité argumentative, le modèle politique de la prudence, celui de la délibération ».
Espérons que les mains qui s’apprêtent à toucher la Constitution après avoir lu ces quelques considérations soient quelque peu tremblantes.
This post is also available in: EN (EN)