Alors que l’Europe entière s’est mise en pause estivale, la Cour de justice de l’Union européenne, elle, n’a pas chômé. En effet, dans un communiqué du 25 juillet 2018, elle a rendu un arrêt préjudiciel dans lequel elle affirme que les « organismes obtenus par le biais de la mutagenèse étaient des OGM et qu’en tant que tels ils devaient être soumis aux mêmes principes que ces derniers ».
Cet arrêt fait suite à une demande du Conseil d’État de la France qui a été saisi par la Confédération paysanne ainsi que huit autres entités (principalement des ONG) dont le Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, le Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16… L’objectif des requérants étant que les semences issues des nouvelles techniques de sélection des semences, techniquement appelées NBT (Pour New Breeding Techniques) soient considérées comme des organismes génétiquement modifiés et, à ce titre, soumises à la directive 2001/18 qui rendra plus difficile leur dissémination dans l’environnement.
Un remake de la « Querelle des OGM »
Tous les éléments sont prêts pour nous faire assister à un remake de la Querelle des OGM. Cette dernière, comme nous l’avions démontré, est issue de la transformation d’une controverse scientifique en polémique politico-juridico-médiatique. À la fin des années 80, la possibilité de créer de nouvelles plantes par le biais de la transgénèse végétale a suscité l’interrogation sur le « concept d’équivalence en substance » de celles-ci : les « semenciers » pouvaient-ils les rendre disponibles sur le marché agricole au même titre que les semences issues du catalogue classique ? Rappelons que dans ledit catalogue, on trouvait des plantes provenant de toutes les technologies utilisées depuis que l’homme sélectionne le vivant, dont des plantes produites à partir de la mutagenèse dirigée, technique utilisée depuis plus de 70 ans pour accélérer certaines mutations.
En 2001, la création d’une directive européenne spécifique pour les OGM résulte d’une controverse sur l’équivalence en substance ( un OGM serait une plante comme les autres). Les opposants à la technologie, de ce fait, inversant la charge de la preuve, ont supposé a priori l’existence d’un risque avéré et ont réclamé l’application du principe de précaution. Signalons au passage, qu’après trente années de mise aux champs, dont vingt de culture intensive, aucun retour d’expérience négatif n’a jamais pu être tiré de l’ensemble des études menées sur les OGM. Ainsi les rapporteurs de la commission indépendante mise en place par l’UE affirmaient déjà en 2010 que « La conclusion principale à tirer des efforts de plus de 130 projets de recherche, couvrant une période de plus de 25 ans de recherche, et impliquant plus de 500 groupes de recherche indépendants, est que la biotechnologie, et en particulier les OGM, ne sont pas intrinsèquement plus risqués que par exemple les technologies conventionnelles d’amélioration des plantes. »1
Alors que les questionnements liés à la transgénèse semblaient ne plus défrayer la chronique, en 2012, les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont mis au point une nouvelle technologie qui a permis un grand nombre d’améliorations, dont celle d’accroître la précision de l’intervention sur le génome. La solution baptisée Crispr-Cas9 (« Crispeur Cas neuf ») qui utilise une propriété de certaines bactéries pour « découper » des portions du génome et les « remplacer » par d’autres qui auront été sélectionnées. Jusqu’à présent, cette technologie miracle était présentée comme une véritable révolution : « Instantanément les laboratoires du monde entier s’emparent de cette chirurgie du gène, plus précise, plus rapide, et surtout moins chère que les techniques d’édition génomique classiques. Désormais, obtenir une souris transgénique ne représente plus que deux mois de travail et quelques milliers d’euros de matériel. Des chercheurs parviennent même à modifier la technique pour que l’enzyme Cas9 ne coupe pas les gènes cibles, mais stimulent son expression, l’inhibe ou le remplace par un autre gène, transformant les « ciseaux génétiques » en un véritable « couteau suisse génétique ». Un succès tel que la revue Science considère Crispr-Cas9 comme l’une des plus grandes percées scientifiques de l’année 2013 et comme l’innovation scientifique de l’année 2015. »2
On se rappellera qu’avant de devenir polémique en 1996, le traitement de l’actualité sur les OGM était également centré sur l’angle innovation technologique. C’est à la suite d’une couverture du journal Libération qui titra « Alerte au soja fou » que tout a basculé, jetant l’opprobre sur la technologie en faisant l’amalgame entre une crise sanitaire et une innovation technologique, jugée avant-cela, comme révolutionnaire. Notons que l’article en question fait suite aux premières importations de soja génétiquement modifié en Europe, et l’enchaînement des militants de Greenpeace dans le port d’Anvers. L’activisme des ONG a redoublé pour donner corps à la polémique et faire basculer le sujet « scientifique » dans le sensationnel. C’est ainsi que « les faucheurs volontaires » sont apparus, une nouvelle forme de luddites qui a rythmé la quiétude médiatique estivale pendant plus d’une dizaine d’années. Ils viennent donc de saisir l’opportunité pour faire leur grand retour à la une des médias, aussitôt l’avis de la CJUE rendu : à Druelle, une cinquantaine d’individus ont détruit une parcelle de deux hectares de tournesol entièrement dédiés à la recherche, de la société RAGT. On peut lire dans l’article de la Dépêche qui relate ce saccage que « Les militants anti-OGM pointent du doigt des plantes mutées Variété rendue tolérante aux herbicides qui viennent d’être reconnues OGM par la Cour de justice de l’Union européenne ».
La « Nature » de nouveau en question
Comme nous l’avions démontré, la « Querelle des OGM » a pour fondement une opposition idéologique entre deux visions de la Nature. Le retour des faucheurs nous ramène à cette problématique. En effet, comme on peut le lire dans le communiqué de la CJUE « Par arrêt de ce jour, la Cour considère tout d’abord que les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM au sens de la directive sur les OGM, dans la mesure où les techniques et méthodes de mutagenèse modifient le matériel génétique d’un organisme d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. » Nous voici de nouveau face à cet argumentaire du « phénomène qui ne se produit pas dans la nature » et qui fait suite à l’affirmation qu’il n’y a pas d’équivalence en substance. Alors même que les protagonistes, eux, sont persuadés qu’ils améliorent toujours plus leurs outils qui leur permet de connaître et donc de modifier le vivant, les opposants, veulent sortir ces modifications de l’ensemble des êtres qui répondent à leur définition du concept de Nature. Il y a bien deux visions qui s’affrontent : la première, celle des « anti », rejette l’intervention de l’homme et ne considère comme « naturel » que les êtres issus du transfert vertical de l’information génétique, c’est à dire les êtres issus de la reproduction. Les « pro », eux, ont une vision plus large qui intègre également les êtres issus du transfert horizontal de l’information génétique (qu’il soit induit ou spontané) et incluent toutes les manipulations du génome : selon eux, il existent un véritable continuum entre les possibles du vivant et les modifications biotechnologiques. Par ailleurs les premiers s’appuient sur leur vision restreinte pour émettent un paralogisme : « Tous les êtres naturels sont bons », « Les OGM ne sont pas naturels », « Les OGM ne sont pas bons ». Or ce raisonnement vrai en apparence est une pétition de principe qui ne repose sur rien de scientifique et ne se fonde que sur des croyances non étayées. En effet, seule une étude au cas par cas peut déterminer les propriétés d’une semence donnée, et, il n’est pas possible de ce fait, de s’appuyer uniquement sur son mode d’obtention. Pourtant visiblement, c’est la vision très arrêtée et réductrice de la nature que la CJUE a choisi pour juger a priori du statut des NBT.
Obsolescence de la directive 2001/18 ?
Dans une publication datée de 2016, Agnès Ricroch, Klaus Ammann et Marcel Kuntz3 avaient bien anticipé la situation et en appelaient à modifier la législation de l’UE pour l’adapter à l’édition (ou réécriture) des génomes, sachant que celle-ci était devenue totalement obsolète : « La réglementation européenne en matière de biotechnologie est basée sur le procédé technique d’amélioration génétique d’un organisme (variété végétale par exemple), plutôt que sur les propriétés de l’organisme lui-même (le phénotype). De plus, une seule technique est concernée : la transgénèse. Notre publication montre que cette réglementation déconnectée des réalités a joué un rôle majeur dans le blocage des « OGM » (organismes génétiquement modifiés), alors que tel n’était pas son but initial, et qu’elle est aujourd’hui obsolète. » Les auteurs affirment alors que les nouvelles biotechnologies vont subir le même sort. « L’Union européenne (UE) s’est politiquement enfoncée dans son principe de précaution mal interprété et est incapable d’aborder positivement la question des nouvelles biotechnologies (édition ou réécriture du génome) et le génie génétique en général. » Ce qui devrait avoir pour effet de bloquer totalement le développement des nouvelles biotechnologies. En conclusion, ils en appellent plutôt à la mise en place d’une évaluation des risques réels : « une méthode opérationnelle simple, qui se concentre sur le phénotype d’une nouvelle variété au lieu de la méthode utilisée pour la générer. (…) Ce système devra évaluer les risques réels et non pas surévaluer les risques perçus des variétés qui sont tombées dans le cadre réglementaire des « OGM ».
Il est dommage que la CJUE n’ait pas pris en considération ce point de vue avant de donner son avis. En se basant uniquement sur la position idéologique de la Confédération paysanne, elle ferme la porte à la science et à ses capacités d’évaluation. Si, dans le cadre des OGM, on pouvait comprendre les réticences de certains – restés attachés à une forme de sacralisation du vivant – à l’égard de la transgénèse qui se jouait de la barrière des espèces pour accélérer les modifications, avec les NBT, on dispose d’une technologie qui permet d’obtenir des résultats rapides en ayant simplement une bonne connaissance du génome des organismes qu’on veut modifier. Espérons qu’il ne soit pas trop tard et que l’Union Européenne voit le choses différemment… Car si l’Europe manque une fois de plus le train, ne doutons pas que d’autres se chargeront de développer cette nouvelle technologie à sa place.
- Commission Européenne, A decade of EU-funded GMO research (2001- 2010) », http://ec.europa.eu/research/biosociety/pdf/a_decade_of_eu-funded_gmo_research.pdf
- Laurianne Geffroy, Pierre Tambourin, Jean-François Prud’hHomme, in Le génie des gènes, la génomique au service de la santé et de l’environnement, collection « Cherche Midi », p. 42.
- Agnes E. Ricroch, Klaus Ammann, Marcel Kuntz, Editing EU legislation to fit plant genome editing, EMBO reports (2016), http://embor.embopress.org/content/early/2016/09/14/embr.201643099.
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le problème est justement de mettre l’idée de nature la dedans. La definition des ogm, c’est le franchissement de la barrière de l’espèce. On parle de plantes domestiquées, elles ne sont plus des plantes sauvages depuis des millénaires, elles sont parfois lourdement génétiquement modifiées mais en restant dans la barrière de l’espèce.
Ce qui est sidérant est que le juge suit les écolo pour qui « nature » s’arrête à nos grand parents. Avant c’est la « nature », ensuite c’est l’ère diabolique de Monsanto. Or ceci est faux, pour beaucoup de plantes domestiquées, en gros la fin de la nature au sens de « sauvage » c’est le néolithique, avec accélération au XIXéme siècle. L’erreur est de mettre la « nature » dans une définition sans la définir. la mutagenèse des plantes ça commence il y a 10000 ans, on n’a fait que l’améliorer depuis. Et heureusement
Voir ma publication sur Genomic Misconception:
Ammann Klaus (2014) Genomic Misconception: a fresh look at the biosafety of transgenic and conventional crops. A plea for a process agnostic regulation New Biotechnology 31 1 1-17 pp ISBN/1871-6784 http://dx.doi.org/10.1016/j.nbt.2013.04.008 AND open source: AND http://www.ask-force.org/web/NewBiotech/Ammann-Genomic-Misconception-printed-2014.pdf AND separate bibliography-fulltext http://www.ask-force.org/web/Genomic-Misconception/Ammann-Bibliography-fulltext-GENOMIC-MISCONCEPTION-2014.pdf