Nous voudrions profiter du #Worldenvironmentday pour revenir sur un problème auquel nous réfléchissons depuis quelques années maintenant. Dans une chronique récente, Laurent Alexandre soutient la thèse selon laquelle l’homme combat la Nature depuis des millions d’années… Pourtant, force est de reconnaître qu’il existe un continuum Homme Nature et que le combat en question est surtout un affrontement idéologique.
Lutte des classes Homme vs Nature
Constatant à juste titre qu’une forme d’idéologie écologiste déifie de plus en plus la Nature, le docteur Laurent Alexandre s’insurge : « En réalité, la nature peut être affreusement méchante et la grandeur de l’humanité est de la combattre. » Et selon lui, « la vie n’a jamais été aussi douce depuis que nous combattons la Nature » Aussi, il rappelle toutes les innovations salutaires pour l’humanité (lunettes, savon, chauffage, vaccins, médicaments…) et, de l’autre, les catastrophes naturelles et les maladies (pestes noires, grippe espagnole). Cette thèse qui semble couler de source a cependant ceci de gênant : elle suppose l’existence de deux classes distinctes d’êtres qui s’excluraient mutuellement – les hommes d’un côté et la Nature de l’autre. Or on peut se demander si un tel partage – de par son côté abstrait –n’est pas simplement une vue de l’esprit ? Et a-t-on vraiment intérêt à couper ainsi l’existence en deux ?
Continuum Homme-Nature
En effet, tout nous porte au contraire à constater une certaine continuité dans l’existence entre l’homme et la nature. Et ce, à de nombreux niveaux. Les philosophes et scientifiques depuis l’aube des temps s’échinent à trouver ces parallèles. Ainsi dans le livre De la Connaissance de Dieu et de soi-même, Bossuet affirme « L’oreille a des cavités pratiquées pour faire retentir la voix de la même sorte qu’elle retentit dans les rochers et dans les échos… Les vaisseaux ont leurs soupapes tournées en tous sens ; les os et les muscles ont leurs poulies et leurs leviers. » On pensera aussi bien évidemment aux automates de Descartes.
Ces analogies se transposent sur le plan technologique en applications concrètes, dont les plus connues sont bien évidemment les tenues de camouflage. Aussi, il existe un nombre infini de cas de figure où l’Homme s’est inspiré de la Nature pour innover. La thèse répandue étant que la Nature reste le meilleur ingénieur et que l’Homme peut se contenter de copier les solutions qu’elle propose dans ses différentes inventions. Une vidéo pédagogique de la BBC partagée plus d’un million de fois explique comment les Japonais ont résolu le problème de sonorisation de leur « bullet train » qui faisait un bruit intenable au moment de pénétrer sous un tunnel en s’inspirant de la forme du bec du martin-pêcheur qui, lui, est capable de fendre l’eau tout en étant à la fois plus rapide et plus silencieux.
L’histoire des innovations technologiques pullule ainsi d’exemples de la sorte. On pourrait encore argumenter sur ce continuum et prouver que l’Homme n’est pas une exception en s’appuyant sur certaines expériences d’éthologie. Ainsi, comme nous en avions parlé, récemment certains chercheurs ont montré que les abeilles étaient capables de compter.
Tous ces exemples allant bien évidemment dans le sens de la thèse d’un continuum entre l’Homme et la Nature.
Affrontement idéologique
Il est vrai toutefois qu’il existe bien une lutte qui ne cesse de s’intensifier. Mais, à notre avis, cette lutte n’oppose pas l’Homme et la Nature, mais une idéologie qui veut s’accaparer le concept de Nature et lui attribuer certaines propriétés afin de définir « ce qui est naturel » et « ce qui ne l’est pas »… Tout cela dans l’optique de parler en son nom et de s’appuyer sur ces « règles » pour prendre le pouvoir.
C’est ainsi que nous avions démontré que la querelle des OGM était de nature idéologique, car elle opposait, d’une part, ceux qui veulent réduire la nature au transfert vertical de l’information génétique (c’est-à-dire les êtres issus de la reproduction) et, d’autre part, ceux qui acceptent également le transfert horizontal de l’information génétique comme étant un phénomène « naturel ». De ce fait, on obtient un combat qui oppose les anti-OGM et les pro-OGM. Alors que les premiers ont une vision réductrice de la nature, les seconds, eux, ont une vision élargie de celle-ci. Ils savent parfaitement, par exemple, que l’Homme ne fait que copier la Nature quand il fait des OGM, car, comme l’a montré Conrad P. Lichtenstein le tabac à l’état sauvage, par exemple, contient du matériel génétique qui a été transféré autrement que par le biais de la reproduction. En faisant des OGM, on ne fait donc que copier la Nature. Ceux qui ont une vision réduite de la Nature voudraient empêcher les autres de développer la technologie, en affirmant que celle-ci n’a rien de naturel.
Comme on le constate, si combat il y a, ce n’est pas entre l’Homme et la Nature, c’est un combat idéologique entre deux visions de la Nature, sachant que les uns (les écologistes extrémistes) voudraient imposer leur définition de la Nature de manière idéologique, pour contrôler et empêcher tout développement technologique. Un parallèle intéressant est à faire avec les guerres de religion : quand une religion essaye d’imposer son monopole de la définition de Dieu pour combattre ceux qui en ont une autre acceptation …
Libération plutôt que combat
En revenant à l’analyse de Laurent Alexandre, une question doit cependant être soulevée : n’est-ce pas parce qu’il y a une philosophie qui voudrait faire de l’Homme une exception dans le règne naturel, un être qui pourrait se passer totalement de limites, que d’autres, en réaction, voudraient finalement d’abord limiter toute activité, puis pour les plus extrêmes, le voir disparaître ?
Si, en revanche, comme on l’admet, il existe bien une continuité, alors peut-être que nous pouvons un peu adoucir le propos de cette « lutte » supposée sans pour autant tomber dans la déification de la nature. À notre sens, le terme de « libération » (employé également par LA) est beaucoup plus juste que celui de « combat ». Car l’entreprise humaine est davantage une tentative de se libérer du déterminisme et de la fatalité. Et pour y parvenir, cela implique une bonne connaissance des règles plutôt qu’un « combat » contre celles-ci. Et parce que certains ont pensé que l’homme pouvait innover en se passant totalement de « limites » et de « cadres », d’autres voudraient tout faire pour le limiter en tout. Or, comme nous l’avons vu encore récemment dans notre débat entre Borlaug et Vogt la résolution de cette « controverse » passe par davantage de connaissance scientifique et d’innovation technologique.
C’est là que réside le vrai combat à mener pour les années qui viennent !
This post is also available in: EN (EN)DE (DE)