Dans notre édito précédent, nous évoquions cette étude frappante de l’analyste Kalev Leetaru, citée dans l’ouvrage de Steven Pinker, Enlightenment Now. Le scientifique a appliqué la technique de l’analyse de sentiments (sentiment mining) sur les archives du New York Times entre 1945 et 2005 ainsi que sur des archives d’articles et d’émission traduites de plus de 130 pays différents. Cette technologie permet d’identifier la tonalité d’un article en comptant le nombre de mots et d’expressions avec une connotation positive et négative. L’auteur a constaté que le NYT avait sombré dans une ambiance littéralement très sombre depuis 1990, la « tonalité » des news n’ayant cessé de prendre une tournure toujours plus négative : un mouvement qui s’est amorcé dans le milieu des années 1970 et que l’auteur a également constaté dans les archives journalistiques des autres pays. Comme le remarque Pinker, ce résultat contraste largement avec l’information dont nous disposons pour mesurer le progrès humain. Ce qui fait dire à Pinker : « The world has made spectacular progress in every single measure of human well-being (…) Almost no one knows about it » et lui fait alors émettre l’hypothèse selon laquelle, il existe un contraste entre les temps longs sur lesquels sont obtenues ces données et l’immédiateté qui intéresse les médias. Ces derniers se trouvent alors dans l’incapacité de saisir la « big picture », le dessin général qui prouve que notre société se porte mieux et d’ailleurs, il ne semble même pas que ce soit leur objectif[1].
Il est vrai que d’une manière générale, la relation entre les médias et les scientifiques n’a cessé de se complexifier au point d’être parfois très tendue. C’est particulièrement vrai dans un pays comme la France, où les initiatives menées par les scientifiques se succèdent. Dans un édito précédent intitulé « la Révolte des scientifiques français », nous mentionnions deux tribunes différentes signées par respectivement plus d’une quarantaines de scientifiques, qui s’étonnaient du fait que la Résolution sur les sciences et le progrès dans la République, promue au niveau de l’Assemblée Nationale par les députés Accoyer et Le Déaut, soit totalement passée inaperçue des médias.
Une association comme l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique) lutte depuis des années pour mieux faire entendre la voix des scientifiques dans les médias. Son objectif est de fournir « un éclairage sur des sujets de société qui sont traités de manière pseudo-scientifique et font l’objet de désinformation ou polémiques, notamment autour de la santé, des nouvelles technologies et de l’environnement. » L’association organisera d’ailleurs prochainement à la prestigieuse ENS une table ronde sur le thème Science et médias : une relation sous influences ? Dans un registre similaire, mais plus « ciblé », l’Association Française pour les Biotechnologies Végétales est née en 2009 avec pour objectif de « pallier la sous-information et remédier à la désinformation qui sévit en France depuis de nombreuses années sur les biotechnologies végétales et leurs applications… »
Plus récemment, enfin, le collectif Science Technologie Action a entrepris de regrouper de manière interdisciplinaire des scientifiques venus de tous horizons qui se disent « consternés par la marginalisation de la science et les attaques incessantes contre les technologies innovantes » et compte « faire entendre la voix de la raison, de l’approche scientifique et du progrès, notamment auprès des décideurs politiques et des médias. »
Ces exemples nous montrent à quel point, les scientifiques se mobilisent pour l’information scientifique de qualité et la nécessité d’améliorer, dans un premier temps, la relation qu’ils entretiennent avec les médias. Mais la France est loin d’être isolée. En Grande Bretagne, un mouvement comme InSciOut basé à l’université de Cardiff étudie les relations entre scientifiques et médias, ce, afin de les améliorer [2]. Or comme chacun sait, le poncif selon lequel « les journaux n’aiment pas les trains qui arrivent à l’heure » a la vie dure et les scientifiques peinent parfois à trouver le bon ton. Pourtant, les médias eux-mêmes ne sont pas exempts de remise en cause et, les nouvelles technologies aidant, l’innovation touche également les formats éditoriaux. C’est ainsi que, désormais, pour répondre au nombreux « hoax » et autres « fake news », des sites ont vu le jour.
La vidéo, par exemple, peut être un support parfaitement adapté à la vulgarisation scientifique. De nombreux Youtubeurs scientifiques ont ouvert des chaînes se proposant de diffuser des savoirs a priori pointus auprès d’un large public. Avec succès. Aux USA, Le blogueur VSauce compte ainsi plus de 13 millions d’abonnés, MinutePhysics en compte 4 millions et VlogBrothers, plus de 3 millions. En France, la chaîne E-penser atteindra bientôt son million d’abonnés. Tous ces talents, pour la plupart scientifiques de formation et excellents acteurs, nous offrent des heures de programmes dans lesquels ils revisitent les grands principes ainsi que l’actualité de la sciences, avec parfois pour certain un ton humoristique, ce qui rend encore plus plaisant l’effort de vulgarisation.
Comme nous l’avions déjà évoqué, Facebook est un réseau social particulièrement prolifique en termes d’information scientifique, même s’il faut se méfier et séparer le bon grain de l’ivraie. On trouve désormais d’excellentes sources telles que, par exemple, la page Today I Watched, une page qui se consacre à démasquer les fausses informations scientifiques qui courent sur le web au travers de petites présentations. Ainsi, dans la vidéo « Vaccines don’t cause autism », les auteurs reviennent en cinq minutes sur l’histoire de la publication, en 1998, d’un article dans Nature signé par le médecin britannique Andrew Wakefield, et remontent ainsi le cours de l’histoire de l’une des plus grosses rumeurs pseudo-scientifiques de ces dernières années. Une autre vidéo, elle, s’attache à démontrer pourquoi la terre est ronde et ne peut être plate, luttant ainsi contre une des nouvelles croyance qui s’est répandue récemment comme une trainée de poudre sur le net.
Enfin, dans la lignée du mythique site Hoaxbuster, qui depuis des années démasquait les intox et les fausses nouvelles qui inondent le web, les médias classiques se sont mis eux-mêmes à innover et à proposer des solutions aux internautes afin qu’ils puissent vérifier l’information qu’ils trouvent sur le web. C’est ainsi que le journal Libération a mis en place le site Check News. Ce dernier a, entre autres, permis de débusquer une fausse nouvelle liée aux compteurs Linky. Stéphane Lhomme, activiste anti-nucléaire et anti-ondes, annonçait que la technologie en question était à l’origine d’un premier mort. Afin de répondre aux internautes, les journalistes ont mené l’enquête et ont pu démontrer qu’il n’en n’était rien : si un incendie mortel a bien eu lieu dans une habitation équipée d’un compteur Linky, ce dernier n’en est pas responsable. D’ailleurs, une démonstration similaire a eu d’ailleurs lieu sur le même site à une seconde reprise.[3]
Si ces trois exemples de formats de communication innovants ne suffiront pas, à eux seuls, à transformer les relations compliquées entre scientifiques et médias, ils offrent tout de même certaines possibilités réjouissantes. Tout d’abord, on constate désormais que les scientifiques disposent de tous les outils pour entretenir un rapport direct avec le public et de faire eux-mêmes un travail de vulgarisation sans passer forcément par les médias traditionnels. Ensuite, la compétition entre les anciens et les nouveaux médias semble avoir pour conséquence une amélioration de la qualité de l’information scientifique, grâce à un effort de « sourcing » de la part des journalistes qui veulent gagner en crédibilité.
Qui a dit qu’il n’y avait pas de bonnes nouvelles intéressantes pour l’information scientifique ?
[1] « « And among the things that do happen, the positive and negative ones unfold on different time lines. The news, far from being a « first draft of history », is closer to play-by-play sports commentary. It focuses on discret events, generally those that took place since the last edition (in earlier times, the day before ; now, seconds before. Bad things aren’t built in a day, and as they unfold, they will be out of sync with the new cycle. The peace researcher John Galtung pointed out that if a newspaper came out once every fifty years, it would not report half a century of celebrity gossip and political scandals. It would report momentous global changes such as the increase of life expectancy. » Pinker, S. 2018. Enlightenment Now, p.41. Viking
[2] « We are a collaboration between scientists and journalism academics studying how science gets reported in the press and the processes that create misunderstandings and exaggerations. We focus on areas relevant for human health – biomedical and social sciences. We have carried out a large study to build a better evidence-base of where things go right and where things go wrong in the chain between published peer-reviewed studies, press releases and news reports. We are following this up with laboratory and online research on how readers understand or misunderstand different phrases and also collaborating with press officers to study actual press releases in the real world. »
[3] On sera d’ailleurs attentif au lien direct entre le journaliste et le lecteur que permet ce genre de site « Bonjour, Vous nous avez posé cette question que nous avons modifiée pour la raccourcir : «Bonjour, j’ai une question au sujet de Linky. Est-ce que comme j’ai pu le lire sur le site de Stéphane Lhomme (http://refus.linky.gazpar.free.fr/incendies-linky.htm) Linky a vraiment déjà causé la mort de deux personnes ?» (…) Quant au second mort supposé de Linky, un rapport d’expertise judiciaire a estimé que le compteur n’était pas en cause, d’après L’Est Eclair : «Tout porte à penser que l’incendie s’est déclaré au niveau de la rallonge multiprise retrouvée pendante», indique-t-il. Bien cordialement, Emma Donada »
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