Plus de 85 000, c’est le nombre de pétitionnaires français qui ont signé Bac S : c’était quoi ce sujet de math 2018 ? (filière S) ; en Allemagne, ils sont 19 000 pour « Mathe Abitur 2018 NRW zu wenig Zeit » (Bac de Math NRW, pas assez de temps)… Un nouveau marronnier est né. À la fin de l’année scolaire, les digital natives de certains pays européens semblent désormais avoir pris l’habitude : ils utilisent Internet pour se lamenter à la suite de leurs examens. Trop difficile, pas assez de temps, impossible à résoudre, inattendu…. les raisons invoquées sont diverses et variées. Comme le rappelle le journaliste du journal français Le Monde, ces pétitions sont lancées chaque année bien qu’elles n’aient aucun succès. change.org n’a cependant pas le monopole des médias sociaux pour ce genre récrimination. En effet comme on peut le lire dans The Guardian, un sujet de maths jugé injuste par les candidats du General Certificate of Secondary Education (certificat général de fin d’étude secondaire) a fait l’objet d’un fil de discussion sur twitter dans lequel les étudiants malgré leur dépit n’ont pas hésité à faire preuve d’humour en recourant à des memes.
Loin de ne concerner que les mathématiques, ce phénomène touche à tous les sujets et semble présenter une véritable récurrence, d’année en année. Ainsi, un article du Monde de 2017 fait état d’Une pétition demandant « l’harmonisation des notes » de l’épreuve de physique-chimie du Bac S 2017 organisée dans de nombreux lycées français à l’étranger qui a réuni plus de 5 000 signataires qui se sont plaint d’un sujet inabordable. Cette pétition reprend quasiment mot pour mot un texte de 2016 exprimant la même requête et signé, lui, plus de 11 000 fois.
Un acte militant bien impuissant
On aurait tort cependant de croire que l’agitprop des candidats est né avec les sites de pétitions en ligne. En effet, en mai 68 en France, à la suite des manifestations de lycéens, le ministre de l’Education va démissionner et son successeur validera le bac à l’oral. Les professeurs s’appuieront sur le livret scolaire des élèves ce qui donnera un taux de réussite de 81,3 %, une large progression par rapport à l’année précédente, où le taux n’était que de 62 %. Il apparait pourtant clairement au regard des sources médiatiques analysées que le recours à la pétition devient quasiment un réflexe conditionné des lycéens.
Doit-on en déduire que la familiarité des jeunes avec les médias sociaux et cette tendance généralisée à utiliser le web comme outil de contestation pousse ce phénomène à s’accentuer ? Ou tout simplement que les examens de ce type sanctionnant le parcours du second degré (Abitur, A-level, Diploma, Baccalauréat, Bachiller, Matura….) ne sont plus adaptés ? Dans un pays comme la Belgique, par exemple, qui a favorisé le contrôle continu, les élèves ne semblent pas céder facilement à ce genre de rituel.
On peut penser que les élèves protestataires ont d’excellentes raisons, ou imaginer qu’ils pourraient s’épanouir ailleurs. Si on creuse le problème, une question surgit : le jour où ces jeunes dans leurs carrières professionnelles seront confrontés à un problème, que celui-ci soit de nature scientifique, technique, ou tout autre, on se doute qu’ils ne vont pas aller twitter ou déposer une pétition en ligne pour appeler à l’aide. Certes, les examens et les concours n’ont pas pour vocation à faire émerger des génies, mais on imagine difficilement Einstein déposant une pétition sur change.org pour qu’on l’aide à démontrer la relativité restreinte, ou encore Marie Curie pour qu’on vole à son secours pour l’aider à découvrir le Polonium. Ce raisonnement par l’absurde nous fait comprendre combien la compétence ne peut pas et ne pourra jamais résulter d’un acte militant.
Le modèle Suisse comme alternative ?
Dans ce cas, il semblerait peut-être judicieux de réfléchir sur l’éducation en général et de trouver des solutions alternatives à ces examens qui génèrent de plus en plus de mécontents et une jeunesse insatisfaite qui semble se plaindre auprès de la société de l’injustice qu’on lui fait subir. Un pays comme la Suisse, de ce point de vue, présente des solutions intéressantes. En effet, dans son livre Formation l’Autre Miracle Suisse, l’écrivain et historien François Garçon étudie un modèle atypique qui génère un taux de bacheliers situé en-dessous de la moyenne européenne (« autour de 60 %) : « En 2012, 33 % des jeunes ont décroché un certificat de maturité en Suisse, soit l’équivalent du baccalauréat. Taux de maturité gymnasiale bas, et même spectaculairement bas si l’on retient les seules maturités gymnasiales (20 %), étiage suisse spectaculaire comparé avec l’Allemagne (33,9 %), ou encore avec le pourcentage de jeunes Français décrochant leur bac dans leur classe d’âge (71,6 % en 2011) » S’interrogeant sur ce modèle, l’auteur conclut : « Comment expliquer cet écrêtage, qu’illustre le mince filet de maturité gymnasiale (l’équivalent du bac général), décroché par seulement un jeune sur cinq ? Sauf à considérer les jeunes Suisses comme moins aptes aux études que leurs voisins italiens ou français, on en déduira d’abord que les haies pour arriver à la maturité suisse sont moins hautes dans les pays mentionnés et, surtout, que l’alternative proposée en Suisse, l’apprentissage en mode dual, séduit la grande majorité des jeunes qui la préfèrent. »
Sans aucun doute, la recrudescence de mobilisation virale post-exam est le signe d’une inadaptation. En Pologne, les lycéens qui passaient le Matura (équivalent du bac) en math, bio et physique, se seraient plaints de la difficulté des questions directement auprès du Ministère de l’éducation. Celui-ci aurait répondu que le niveau allait augmenter d’année en année et que c’était une bonne manière de sélectionner les élèves qui se présentaient bien trop nombreux pour faire des études supérieures. Les éducations nationales des pays européens concernés par ce phénomène annuel qui ne cesse de croître devraient saisir ces occasions pour repenser leurs politiques d’éducation, plutôt que de laisser celles-ci se transformer en pure revendication politique.
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