La semaine passée, Elon Musk a encore émerveillé la planète terre en réussissant le lancement de son Falcon Heavy, la fusée réutilisable la plus puissante actuellement en activité. Cet exploit a été vue par certaines mauvaises langues comme un paravent permettant de cacher les résultats en demi-teinte de l’entreprise Tesla. N’empêche qu’en quelques années, Space Explorer a accompli un sacré bout de chemin et permis de diminuer les coûts de lancement. Aux prémices de l’intérêt de Musk pour l’espace – lecteur à 14 ans du Guide du voyageur galactique – on trouve la rencontre en 2001 avec un groupe intitulé « the Mars Society » créé par Robert Zubrin. Ceux-ci envisageaient d’envoyer des souris en Orbite autour de Mars ; Musk, lui voyait déjà plus grand et voulait non seulement les envoyer sur la planète rouge, mais aussi les faire revenir. On trouve alors un passage très instructif dans la biographie d’Ashlee Vance « Plus il pensait à l’espace, plus son exploration lui semblait importante. Il sentait que le public avait perdu une partie de son ambition et de son espoir pour l’avenir. Le citoyen lambda pourrait considérer l’exploration de l’espace comme une perte de temps et d’effort et se moquer de lui pour avoir osé parler du sujet, mais Musk réfléchissait très sérieusement au voyage interplanétaire. Il voulait inspirer les masses et revigorer leur passion pour la science, la conquête et la promesse de la technologie. Ses peurs que l’humanité ait perdu beaucoup de sa volonté de repousser les frontières ont été renforcées un jour où Musk est allé sur le site de la Nasa. Il se serait attendu à trouver un plan pour l’exploration de Mars et à la place il n’aurait trouvé rien d’intéressant (« bupkis ») (…) Musk avait toujours cru que l’idée fondamentale de l’Amérique était liée avec le désir que l’humanité avait d’explorer »[1]
A la lecture de ces phrases, on comprend tout de suite mieux l’image du robot pilotant la Tesla dans l’espace. Revenons un instant sur le parcours extraordinaire de Musk jusqu’à la piste de lancement. Après l’élevage de souris, Musk a eu l’idée d’y installer une serre miniature. Puis, s’intéressant de plus en plus au sujet, il finit par calculer qu’il était possible de baisser drastiquement les coûts des voyages dans l’espace. C’est avec cet objectif qu’est née la société Space Explorer. Portée sur les fonds baptismaux avec 100 Millions de $ (argent que Musk a récolté de l’introduction en bourse de PayPal). Notons que c’est seulement au quatrième lancement que le Falcon 1 a pu être mis sur orbite alors que l’entreprise était sur le point de faire faillite. A la suite de ce succès, le 23 Décembre 2008, la NASA a alors décidé de confier à Musk un contrat de 1,6 Milliards de dollars afin de réaliser le transport de cargo pour la station spatiale internationale. En 2011, Musk se lance dans un projet de fusée réutilisable. Après avoir de nouveau connu plusieurs échecs, il réussit à faire revenir une fusée et même, à la faire atterrir sur une plateforme au milieu de l’océan Atlantique en 2015. Et pendant tout ce temps Musk a réussi à faire rajouter sur le site de la Nasa la rubrique « Journey to Mars ». On sait d’ailleurs qu’il compte bien y construire une ville et même trouve fantastique l’idée d’y mourir.
De nombreux critiques ne manquent pas d’attaquer Musk sur le fait qu’il s’amuse avec l’argent public, bénéficiant par ailleurs d’un contrat exclusif de la NASA et du protectionnisme US qui veut que, selon la loi en vigueur, les lancements institutionnels soient obligatoirement opérés par des acteurs américains. Ainsi SpaceX en profite en facturant le double à la NASA ou à l’armée.
Peter Thiel, ami de longue date et co-fondateur avec lui de PayPal, rappelle à propos de Tesla le talent de Musk pour avoir réussi à profiter en 2009 de la volonté du gouvernement US de subventionner les Cleantech : « In 2009, it was easy to think that the government would continue to support cleantech : « green jobs » were a political priority, federal funds were already earmarked, and Congress even seemed likely to pass cap-and-trade legislation. But where others saw generous subsidies that could flow indefinitely, Tesla CEO Elon Musk rightly saw a one-time-only opportunity »[2] On ne peut réduire cependant l’entreprise de Musk a cette habileté pour aller décrocher des aides publiques et même si c’était le cas, il faut bien reconnaitre que ses projets pharaoniques font avancer les choses dans tous les secteurs sur lesquels il porte son dévolu. Ainsi, si on revient à la conquête spatiale, comme le constate Fabien Goubet dans le Temps « Sa principale fusée, la Falcon 9, ne fait plus du tout rire ses concurrents. Elle a mené à bien 18 missions en 2017 (contre 11 pour Arianespace), et en vise une trentaine cette année. Une réussite insolente, voire arrogante » Aussi, comme le précise ce journaliste scientifique c’est le monde des satellites qui fait évoluer celui des fusées et une nouvelle génération de satellite vient d’arriver sur le marché qui relance la concurrence entre les lanceurs. On trouve alors désormais deux types d’aventurier de l’espace : « les milliardaires trublions » et les lanceurs historiques, tels que, par exemple, Ariane Espace, ainsi que deux modèles de fusées : les lanceurs à usage unique et les lanceurs réutilisables. Laquelle de ces deux solutions est alors la moins couteuse : « Les prédictions d’Elon Musk, bravache comme à son habitude, tablaient sur une diminution de 70%. La directrice générale de SpaceX, Gwynne Shotwell, a revu le chiffre à la baisse, avec 30%. Enfin, au catalogue, les lancements avec une Falcon 9 « d’occasion » ne coûtent finalement que 10% de moins pour le moment. Mais les prix devraient continuer à baisser chez l’américain. « Les acteurs privés américains maîtrisent toute la chaîne de production et arrivent avec des prix cassés, tandis qu’Ariane est fabriquée dans plusieurs pays européens. »
Peut-on dire alors que le leadership européen soit menacé ? Sous la pression des nouvelles solutions lancées par Musk et les autres milliardaires (Bezos, Branson) le modèle Ariane se voit dans l’obligation d’évoluer et d’améliorer ses performances (recours à l’impression 3D pour la production de pièces de moteurs, conception de solutions réutilisables avec Ariane 6, optimisation des coûts et recherche de solutions moins chères, nouveau moteur d’ici 2030…) Le journaliste conclut son analyse « Cette année, Ariane 5 va continuer ses lancements face aux fusées réutilisables de SpaceX. A l’horizon 2020, sa remplaçante aura donc fort à faire face à la concurrence américaine. Sans compter que d’autres acteurs travaillent d’arrache-pied pour ne pas se faire éjecter du marché : les Américains de United Launch Alliance veulent faire voler une nouvelle fusée, Vulcan, en 2019. Les Proton russes seront toujours de la partie, sans compter les lanceurs chinois et indiens. Enfin, Richard Branson, directeur de Virgin, caresse le projet d’envoyer de petites fusées en orbite à partir d’un Boeing 747, via sa filiale Virgin Orbit. Un milliardaire de plus. »
Si Elon Musk se rendait aujourd’hui sur le site de l’ESA, il serait sans doute déçu de ne pas y trouver de rubrique « Martienne ». Mais est-ce là l’objectif de cette agence ? Dans l’ouvrage les 100 Mots de l’Europe, on lit « L’Agence spatiale européenne (ESA) est une agence intergouvernementale rassemblant 18 états (…) Fondée en 1975, elle a pour mission de coordonner l’action de ses membres et de mettre en commun leurs moyens en matière spatiales dans les domaines des vols habités, des lanceurs, de l’observation de la Terre, de son environnement spatial, du système solaire, ainsi que de mettre au point des technologies et services satellitaires, comme Galileo, et de promouvoir les industries européennes (…) L’article 189 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne mentionne pour la première fois une ‘politique spatiale européenne’, à développer en liaison avec l’Agence spatiale européenne, qui lui a permis d’atteindre un niveau technologique et commercial parmi les premiers du monde. [3]». En lisant ses lignes on se pose forcément la question : l’ESA pourra-t-elle continuer de se développer ainsi en faisant collaborer les industriels de différents pays, ou devra-t-elle un jour outsourcer à des particuliers fortunés son innovation disruptive ? La réponse à cette question est loin d’être évidente sachant d’une part que ces rêveurs sont susceptibles d’aller plus vite à moindre coût, mais qu’ils peuvent aussi avoir l’ambition d’aller plus loin, ce qui pourrait revenir, au final, aussi cher…. Le débat reste ouvert.
[1] « The more he thought about space, the most important its exploration seemed to him. He felt as if the public had Lost Some of its ambition and hope for the future. The average person might see space exploration as a waste of time and effort and rib him for talking about the subject, but Musk thought about interplanetary travel in a very earnest way. He wanted to inspire the masses and reinvigorate their passion for science, conquest, and the promise of technology. His fears that mankind had lost much of its will to push the boundaries were reinforced one day when Musk went to the NASA website. He’d expected to find a detailed plan for exploring Mars and instead he found bupkis » Elon Musk, Ashlee Vance, Virgin Books, p.101
[2] Peter Thiel and Blake Masters, Zero to One, Virgin Books, p.167
[3] Jean-Paul Betbèze et Jean-Dominique Giuliani, Les 100 mots de l’Europe, Presse Univesitaire de France, 2011, p.66
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