
Alors qu’à l’approche du scrutin de 2019 la construction européenne subit des questionnements politiques profonds, le programme Horizon Europe (FP9) devrait susciter facilement l’accord de tous. En effet, dans un communiqué diffusé avant l’été, la Commission a divulgué le plus vaste programme de recherche et d’innovation jamais envisagé à ce jour. Une occasion inédite pour European Scientist de poursuivre sa réflexion sur le financement de la recherche scientifique.
100 milliards d’euros pour la R&D
Le programme baptisé Horizon Europe – dans la continuité d’Horizon 2020[1] – s’inscrit dans le budget à long terme de l’UE (2021-2027) et prévoit une enveloppe de 100 milliards d’euros pour la recherche et l’innovation. D’après Jyrki Katainen, vice-président de la Commission européenne en charge de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité, il faut s’appuyer sur la réussite existante ; le financement de l’UE a permis de générer des découvertes incroyables et l’objectif est de s’« appuyer sur cette réussite et continuer d’améliorer la vie des citoyens et de la société dans son ensemble ». Au programme de bourses et d’échanges baptisé Marie Sklodowska-Curie déjà existant, Horizon Europe propose d’ajouter de nouveaux volets :
- Un Conseil européen de l’innovation (sorte de guichet unique de l’innovation dédié aux recherches et aux entreprises innovantes) ;
- Des missions de recherche et d’innovation au niveau de l’UE (par exemple lutte contre le cancer, transports non polluants ou encore déplastification des océans…) ;
- De « maximiser le potentiel d’innovation dans toute l’Union » (par exemple soutenir les États membres où la recherche accuse du retard) ;
- De promouvoir la science ouverte afin de favoriser la diffusion de l’information scientifique (accès ouvert aux publications et aux données).
Le communiqué précise l’urgence de la mise en place d’un accord : « Les retards contraindraient les chercheurs les plus brillants à chercher des opportunités ailleurs, ce qui signifierait la perte de milliers d’emplois dans la recherche et nuirait à la compétitivité de l’Europe. » Cela pourrait, d’après les auteurs, entraîner des retards également dans les différents domaines de recherche concernés. Enfin, les retombées attendues sont conséquentes puisque : « chaque euro investi par le programme pourrait générer un rendement allant jusqu’à 11 euros de PIB sur une période de 25 ans. On estime que les investissements en R&I de l’Union devraient déboucher sur la création de 100 000 emplois dans des activités R&I au cours de la « phase d’investissement » (2021-2027) ».
S’il fallait un exemple pour se convaincre de cet enthousiasme, le succès remporté par Galileo au cœur de l’été, est venu pour illustrer les efforts de mutualisation consentis par la recherche européenne.
Retour des grands travaux : l’exemple de la 5G
Pourtant, à l’annonce d’un tel plan on est en droit de se poser des questions. Force est de constater que les plans quinquennaux ont vécu et la recherche d’État en mode « politique industrielle » a perdu de sa superbe. Il est vrai que lors de ces quarante dernières années les entreprises qui ont pris la tête de l’innovation (et par défaut souvent de la R&D) ont vu le jour dans des garages. Les GAFAM et les NATU, pour ne citer qu’elles, ont réussi à dépasser la taille et le pouvoir des États sans aucune aides de leur part. Mais faut-il pour autant enterrer la vertu de la mutualisation et l’intervention de l’état sur le secteur de la R&D ? Pour répondre à cette question, nous voudrions nous appuyer sur une étude de cas : celui de la compétition que se livrent les USA et la Chine autour de la mise en place de la 5G. Il se pourrait bien que, comme le rapportent les auteurs d’un dossier du WSJ, le pays de la Grande Muraille ait pris une longueur d’avance, grâce à l’implication du gouvernement chinois.
Or la maîtrise de cette technologie semble essentielle aussi bien pour les pays que pour leurs entreprises (développement des technologies, défense nationale et espionnage, dépôt de brevets …) : « À bien des égards, la Chine est en avance. Depuis 2013, un comité dirigé par le gouvernement a travaillé avec les opérateurs de téléphonie mobile et les fabricants de composants chinois sur des tests et le développement de la 5G. Le soutien de l’État, combiné à un énorme marché national, garantit aux entreprises chinoises telles que Huawei de vendre de grandes quantités d’équipements 5G et d’acquérir une expérience précieuse dans le processus. Aux États-Unis, où le gouvernement évite généralement de s’impliquer dans le secteur privé, la plupart des expérimentations ont été menées par des entreprises telles AT&T, Verizon, Samsung et Nokia. (…) La Chine a fait de la 5G une priorité après avoir échoué à suivre le rythme des pays occidentaux dans le développement des générations précédentes de réseaux mobiles. Les États-Unis ont dominé la 4G, bâtie à la fin des années 2000, tout comme les Européens contrôlaient les normes 3G.(…) La manifestation physique de la volonté d’avancer de la Chine est un laboratoire 5G géré par le gouvernement près de la Grande Muraille, au nord de Pékin. [2]»
Les auteurs de l’article ont un commentaire instructif : « Le gouvernement des États-Unis n’ayant pas réussi à imposer des efforts au secteur privé, les résultats sont plus diffus, déterminés par le travail de chaque entreprise. En janvier, un haut responsable du Conseil national de sécurité a lancé l’idée de rivaliser avec Pékin, appelant le gouvernement à construire un réseau sans fil nationalisé. »
Cette étude de cas semble montrer l’importance que peut jouer une structure de type étatique dans le cadre de travaux colossaux comme ceux qui consistent à développer un réseau de communication. Pour autant n’en déduisons pas trop vite que tout investissement en R&D doit être piloté par une structure étatique qui avancerait de manière totalement aveugle par rapport au marché. Pour revenir à la 5G, il semblerait que le coût des données soit trop cher pour que les consommateurs l’utilisent et comme l’aurait déclaré le directeur général des activités d’AT&T : « Si vous déployez la technologie en avance sur les besoins, avant qu’il existe de réelles applications, vous gaspillez de l’argent ». On aurait tort d’en déduire à la suite de cet exemple, qu’on peut sans réfléchir accorder un blanc-seing à la recherche d’État en laissant croire qu’il suffit de subventionner et de mutualiser les efforts pour que les choses avancent. Cela peut être vrai de certains projets spatiaux et militaires. Mais, pour le reste, n’oublions pas que l’histoire des sciences et technologies est jonchée d’échecs de projets de R&D étatiques. Ce qui complexifie encore un peu plus la question.
Existe-t-il un financement idéal de la recherche ?
Pour répondre à cette question stratégique, European Scientist s’est engagé dans un tour d’Europe du financement de la recherche. Nous avons à ce jour donné la parole sur ce sujet à Alexandre Nawrat, le directeur du Centre National de la Recherche et du Développement polonais, ainsi qu’à Raymond Piccoli, astrophysicien et chercheur français.
Le Polonais a insisté sur la nécessité d’intervention de l’État (ainsi que de l’Union européenne), pour venir appuyer le deuxième tour de table d’entreprises dont le projet est prometteur et qui ont besoin de relais de croissance, l’objectif étant d’éviter la fuite des cerveaux en organisant des partenariat public-privé : « Les changements proposés par le ministère de la Science et de l’Enseignement supérieur vont permettre de libérer le potentiel des scientifiques polonais : deux lois sur l’innovation ainsi qu’une Constitution pour la science. Ces documents offriront aux universités la possibilité de commercialiser plus facilement les résultats de leurs recherches, de fonder leurs propres sociétés (ce qu’on appelle des spin-off) ou de nouer des coopérations avec le business. »
Le Français, lui, a dénoncé les abus du financement public de la recherche dans lequel il voit un mécanisme pervers et en a appelé à des solutions participatives : « Sans argent, sans moyens, ou sans collaboration, il est impossible de mener à bien une recherche scientifique digne de ce nom. Pour obtenir des financements, il faut publier et avoir publié, et pour publier, il faut mener des recherches, donc avoir des financements… Voilà une équation qui au final est plutôt perverse et bien difficile à résoudre ».[3]
Les deux visions énoncées, ainsi que cet éditorial, ne sauraient épuiser la thématique. Aussi, les contributions à venir enrichiront le sujet. Une base de réflexions qui pourra peut-être servir de guide à un projet pharaonique tel que Horizon Europe, dans l’optique de sa politique de « science ouverte ». Le débat est ouvert : n’hésitez-pas à participer.
[1] « Jusqu’en mai 2018, ce programme avait soutenu plus de 18 000 projets et accordé plus de 31 milliards d’euros. »
[2] Josh Chin, Sarah Krouse et Dan Strumpf. Avec Drew FitzGerald et Yang Jie, The 5G Race : China and U.S. Battle to Control World’s Fastest Wireless Internet, https://www.wsj.com/articles/the-5g-race-china-and-u-s-battle-to-control-worlds-fastest-wireless-internet-1536516373
[3] Thématique reprise et approfondie pour European Scientist par Claude Huriet qui propose des critères pour sélectionner la publication scientifique, « Publier ou disparaître : Comment faire éclater la bulle de la publication scientifique ? » . Lien : https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/publier-ou-disparaitre-comment-faire-eclater-la-bulle-de-la-publication-scientifique-2/
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Très bien, mais nous aimerions savoir où en sont les développements pratiques ! Par exemple, qu’est-il advenu de l’étude européenne Projet CAMbrella (FP7, 39 pays) de 2012 ? Le retour d’informations est difficile et ténébreux !
cordialement
DB