Dans notre précédent édito, nous propositions une introduction rapide à Enlightenment Now, le dernier ouvrage de Steven Pinker, au travers d’une sélection de six données clés sur lesquelles l’auteur s’appuyait pour dire que la civilisation des Lumières avait pleinement réussi.
Espérance de vie toujours plus élevée, nombre de morts enfantines en chute libres, apports caloriques journaliers permettant la subsistance, y compris, chez les plus pauvres, chute drastique du pourcentage des populations qui vivent sous le seuil de l’extrême pauvreté, réduction de l’inégalité entre les pays (les pays pauvres deviennent riches plus vite que les pays riches continuent de s’enrichir) ; et que grâce au progrès technologique, nous ne cessons d’améliorer notre environnement. Cette petite sélection, si elle donne un avant-goût de la thèse défendue, reste cependant bien pauvre, car les données amassées par Pinker et le travail effectué est considérable : il s’appuie sur plus de 75 graphiques pour soutenir que le Monde va mieux et que tout cela est à mettre sur le compte de la Philosophie des Lumières qui nous a apporté la Science et l’Humanisme.
Par exemple, on y apprend également que les guerres entre les pays sont devenues obsolescentes et les guerres civiles inexistantes sur les 5-6ème du globe ; les génocides sont devenus rares, les homicides tuent aujourd’hui plus que les guerres, bien que ceux-ci soient en chute libre. La vie n’a jamais été plus « sure » qu’aujourd’hui. Les chiffres aux USA sont impressionnants : les citoyens américains, au cours du XXème siècle ont 96% moins de risques de se faire tuer dans un accident de voiture et 99% moins de risque de mourir dans un accident d’avion. Ils ont également 92% moins de risques de mourir asphyxiés ou encore 95% moins de risque de mourir sur leur lieu de travail.
A la diminution drastique des risques s’ajoute, une amélioration générale du système politique qui accroit la liberté. En effet, d’après Pinker, il y a deux siècles, seuls quelques pays embrassaient les idéaux démocratiques, aujourd’hui, ce sont plus de deux-tiers des pays du globe qui représentent deux-tiers de la population mondiale. Les pays qui ont des lois contre les minorités raciales diminuent, les femmes peuvent voter désormais dans tous les pays où les hommes peuvent voter sauf un seul (contre un seul pays au début du 20è siècle). Les lois contre les homosexuels deviennent de plus en plus rares, les crimes de haine et la violence contre les femmes déclinent sur le long terme, de même que l’exploitation des enfants. La connaissance n’a cessé de progresser également : ainsi au début du 19ème siècle, 12% de la population mondiale était capable de lire et d’écrire, aujourd’hui, c’est 83%. A tous ces progrès enfin s’ajoutent les progrès sociaux : les américains, par exemple, travaillent 22 heures de moins par semaine qu’auparavant et disposent de davantage de temps libre.
Devançant la question des externalités négatives, Pinker, affirme « de même que les sociétés sont en meilleure santé, plus riches, plus libres, plus heureuses, et mieux éduquées, elles ont désormais une vision sur les challenges globaux les plus pressants. Elles ont émis moins de polluants, moins déforesté, moins gaspillé de pétrole, préservé davantage d’espèces en voie de disparition, sauvé la couche d’ozone et atteint le sommet de leur consommation de pétrole, de terres agricoles, de bois, de papier, de voitures, de charbon, et peut-être même de carbone. Et malgré toutes leurs différences, les nations sont parvenues à signer un accord mondial sur le changement climatique. [1]»
Je me permets alors de poser l’ouvrage de Pinker quelques instants et d’ouvrir une petite parenthèse. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque l’autre jour, en achetant le nouvel hebdomadaire Vraiment , je découvrais en titre énorme : « La civilisation industrielle va bientôt s’effondrer », une interview de Pablo Servigne et de Raphaël Stevens, respectivement docteur en biologie et expert en socio-écologie. Les deux compères ont publié en 2015 un livre au Seuil sur « Comment tout peut s’effondrer » dans lequel ils affirment avoir mis au point un nouveau champ d’étude scientifique, la « collapsologie » ou science de l’effondrement. Ainsi, Pablo Servigne affirme : « La collapsologie – terme issu du latin collapsus, « tombé en un seul bloc » – étudie l’effondrement de la civilisation industrielle et ce qui pourrait lui succéder. Elle se base d’une part sur une analyse documentée par des productions scientifiques transdisciplinaires, et d’autre part sur les sciences cognitives [processus d’acquisition des connaissances, NDLR], qui s’appuient sur l’étude de nos émotions et intuitions. L’ensemble de ces chiffres, faits, hypothèses, avis d’experts, scénarios dresse un panorama complet des crises (énergétique, financière, biologique, climatique, etc.) en expliquant leurs interactions afin de proposer une analyse systémique globale. Tout cela affine une intuition qui nous permet de formuler l’hypothèse suivante: la civilisation industrielle va bientôt s’effondrer. L’objectif de la collapsologie est d’informer le plus grand nombre de cette possibilité, et de proposer des outils pour mettre en place des politiques susceptibles de rendre cet effondrement moins brutal. »
Nous voici donc en présence d’une belle perspective de controverse entre un auteur qui collecte les datas « Pro Enlightenment » et des auteurs, qui, au contraire, collectionnent les données catastrophistes pour démontrer que la civilisation des Lumières est vouée à l’échec. Il y a certainement une thèse à écrire sur le sujet. Mais revenons à notre lecture de Pinker. Dans le chapitre The Future of Progress, l’auteur, après avoir résumé tous les avantages chiffrés apportés par la société de la connaissance, fait le travail inverse et présentent de manière négative les données précédemment exposées.
Ainsi, au lieu d’affirmer que 90% des individus sont sortis de l’extrême pauvreté, il affirme que 700 millions vivent encore dans l’extrême pauvreté et que l’espérance de vie tombe à 60 ans en moyenne dans les régions où ils se trouvent concentrés. Qu’au moins un million d’enfants meurent de la pneumonie chaque année, qu’une douzaine de guerre font rage dans le monde, etc etc – un angle que ne renieraient sans doute pas nos deux Collapsologues. S’interrogeant alors sur cette autre lecture possible des faits, il fait la remarque suivante : « Mon objectif en présentant des faits identiques de ces deux façons n’est pas de dire qu’on peut se concentrer sur le verre à moitié plein ou à moitié vide. C’est de rappeler que le progrès n’est pas une utopie, et qu’il y a de la place – en vérité, un impératif – pour nous de persévérer dans le sens de ce progrès. (…) La philosophie des lumières est un process continu de découverte et d’amélioration. »
L’auteur s’interroge alors sur les possibilités de cette tendance et il fait une remarque qui nous permet de comprendre en quoi la réalité du progrès des Lumières n’a rien de relatif et ne peut être réduite, selon le bout par lequel on le prend à un phénomène étudié par la « collapsologie » ou tout autre vision catastrophiste, non argumentée : « Encore mieux : les améliorations se construisent les unes sur les autres. Un monde plus riche peut mieux se permettre de protéger l’environnement, de surveiller ses gangs, de renforcer ses filets de sécurité sociale, d’enseigner et de guérir ses citoyens. Un monde mieux éduqué et connecté se soucie plus de l’environnement, se livre moins aux autocrates et commence moins de guerres. Les avancées technologiques qui ont propulsé ce progrès ne devraient que s’accélérer. La loi de Stein continue d’obéir au corollaire de Davies (Les choses qui ne peuvent durer éternellement peuvent durer plus longtemps que vous ne le pensez), et la génomique, la biologie synthétique, les neurosciences, l’intelligence artificielle, la science des matériaux, la science des données se développent. Nous savons que les maladies infectieuses peuvent être éteintes, et beaucoup sont prévues pour le temps passé. (…) Je peux présenter cette vision optimiste sans rougir car ce n’est pas une rêverie naïve ou une aspiration ensoleillée. C’est la vision de l’avenir qui est la plus ancrée dans la réalité historique, celle avec les faits froids et durs de son côté. Cela dépend uniquement de la possibilité que ce qui s’est déjà passé continuera à se produire.[2] »
Merci monsieur Pinker pour cette belle et riche analyse, qu’on doit lire absolument pour résister à la collapsologie ambiante, d’autant plus que, paradoxalement et malgré l’évidence de tous les faits énoncés, celle-ci semble croître de plus en plus dans les esprits. Mais cela est-il étonnant ? Quand on regarde le tout premier tableau de Enlightenment now, on se rend compte que depuis 1945, la tonalité des news du New York Times n’a cessé de s’enfoncer dans une tournure toujours plus pessimiste…. Là encore quel contraste avec tous les progrès énoncés !
[1] Pinker S., Enlightenment now, Viking, p.324
[2] « Better still, improvments build on one another. A richer world can better afford to protect environment, police its gangs, strengthen its social safety nets, and teach and heal its citizens. A better-educated and connecter world cares more about environment, indulges fewer autocrats and starts fewer wars. The technological advances that have propelled this progress should only gather speed. Stein’s Law continues to obey Davies’s Corollary (Things that can’t go on forever can go on much longer than you think), and genomics, synthetic biology, neuroscience, artificial intelligence, Materials science, data science and evidence-based policy Analysis are flourishing. We know that infectious diseases can be extinguished, and many are slated for the past tense. (…) I can present this optimistic vision without brushing because it is not a naïve rêverie or sunny aspiration. It’s the View of the future that is most grounded in historical reality, the one with the cold, hard facts on its side. It dépends only on the posibility that what has already happened will continue to happen. » in Pinker S., Enlightenment now, Viking, p.327
This post is also available in: EN (EN)DE (DE)
Pendant que certains s’ingénuent à « résister à la collapsologie ambiante » le collapse ambiant lui continue impertubablement…
oui, surtout ne changeons rien…
Les 2 approches ne sont pas du tout incompatibles : il y a eu d’énormes progrès, la situation s’est largement améliorée, mais cal pourra-t-il durer?
Les progrès n’auraient pu exister sans une abondance d’énergie dont on sait que la consommation croissante ne pourra pas suivre.
Et pourtant, les 2 auteurs ont absolument raison.
L’erreur provient du fait que l’homme est incapable d’appréhender la dynamique globale qui est en oeuvre.
Oui, la planète va mieux, oui, les inégalités se réduisent, oui l’environnement s’améliore sans cesse pour une proportion croissante d’individus.
Mais cette amélioration se fait au détriment d’un « stock » non renouvelable à court terme, c’est ce que pointent les collapsologues.
Stock de pétrole, de métaux précieux, de potasse, de biomasse, d’eau potable etc … toutes ces réserves s’épuisent et elles s’épuisent à une vitesse sans cesse croissante, avec un effet d’accélération.
Donc oui, le monde va mieux et il ira de mieux en mieux jusqu’à la rupture finale.
Cette rupture ne sera pas universelle, car les stocks ne vont pas s’épuiser simultanément dans tous les domaines, mais tout va commencer par le premier stock « systémique », celui qui fera basculer tout le reste parce que sans lui, tout le reste s’effondrera par effet de contagion.
On peut penser qu’il s’agira du pétrole, mais ce peut être la potasse ou le taux de Co2, peu importe.
Le travail des collapsologues, c’est d’expliquer qu’aucun mouvement visant à stopper l’épuisement des stocks en cours n’est en oeuvre, et que quand bien même on le déciderait, ce ne serait pas suffisant car la barrière de non-retour a déjà été franchie (elle a été estimée en 1992 environ).
Il faut raisonner « modèle de progression dynamique » dans cette matière, l’observation brutale des faits est tout simplement trompeuse, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle rien n’est fait.
Il a raison mais il arrête son raisonnement trop rapidement. Evidemment que les progrès ont été phénoménaux. Personne ne peut affirmer le contraire, mais à quel prix environnemental? A présent nous avons atteint le sommet des courbes notamment parce que nous avons quasiment épuisé les ressources gratuites qui nous ont permis ces énormes progrés. Et nous allons redescendre. Quelle courte vue…
Il arrête son raisonnement là ou ça l’arrange pour vendre son bouquin et donner des faux espoirs aux gens ..
Si tu pousses la réflexion plus loin, tu tombes dans la collapsologie, la chose qu’il essaie d’éviter.
Peut-être faudrait-il lire le livre de Servigne et Stevens avant d’affirmer qu’il est pessimiste ?
Peut-être que les deux visions énoncées dans le livre de Pinker et de Servigne sont vrais ? Tous les indicateurs socio-économiques sont globalement positifs, comme l’affirme Pinker, mais ça n’empêche pas que la fin du pétrole (omniprésent dans notre société mondialisée) et la crise écologique majeure qui nous attends sont aussi des réalités. En l’occurrence, Servigne reprends simplement les chiffres du GIEC, la température aura augmentée de 4 a 16 degrés dans un siècle. Au delà de 10 degrés, aucune agriculture n’est possible…
« L’auteur s’interroge alors sur les possibilités de cette tendance et il fait une remarque qui nous permet de comprendre en quoi la réalité du progrès des Lumières n’a rien de relatif et ne peut être réduite, selon le bout par lequel on le prend à un phénomène étudié par la « collapsologie » ou tout autre vision catastrophiste, non argumentée »
Non argumentée. Le gros probléme de la collapso, c’est qu’on cherche encore des gens qui sont capable de démonter ces arguments avec autre chose qu’une réthorique biaisée. Quand on a derriére sois un conssenssus de plusieurs milliers de scientifiques qui s’accordent a tirer toutes les sonettes d’alarmes depuis plus de 30 ans et qu’on ballaye ça d’un revers méprisant de la main c’est qu’on biaise a plein tube (biais de confirmation et de croyance).
Des bisous
sources :
http://www.psychomedia.qc.ca/psychologie/biais-cognitifs
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/le-cri-d-alarme-de-quinze-mille-scientifiques-sur-l-etat-de-la-planete_5214185_3244.html
L’analyse de Pinker est juste, cependant elle ne prend en compte que l’humanité et non le système Terre complet.
La terre est un système fini, la croissance et même une civilisation stable ne peut durer éternellement. (Des maths, tout simplement)
Et le collapsologue ne collecte pas les données catastrophistes, il collecte des données dans plusieurs domaines, et pas que des données de catastrophes.
(Il suffit de regarder les différentes références de Servigne à la fin de son bouquin)
« Un monde plus riche peut mieux se permettre de protéger l’environnement, de surveiller ses gangs, de renforcer ses filets de sécurité sociale, d’enseigner et de guérir ses citoyens. » –> Parce que un peu de croissance pollue, beaucoup de croissance nettoie. Laissez moi rire. Un monde plus riche donne plus de production et de consommation donc plus de pollution, et plus une société est technologie plus la revalorisation des objets en fin de vie est compliqué et énergivore. (L’âge des Low-Tech – P. BIHOUIX)
« Je peux présenter cette vision optimiste sans rougir car ce n’est pas une rêverie naïve ou une aspiration ensoleillée.C’est la vision de l’avenir qui est la plus ancrée dans la réalité historique, celle avec les faits froids et durs de son côté. Cela dépend uniquement de la possibilité que ce qui s’est déjà passé continuera à se produire.[2] »
Oui donc l’augmentation de la température moyenne de 4°c en 200 ans c’est du déjà vu, la 6éme extinction de masse c’est du déja vu. Continuez comme d’habitude, de toute façon nos ingénieurs thaumaturges vont nous sauver.
Vive le déni.. J’imagine que l’auteur de l’article doit faire partie de la génération X ou d’avant..
On en reparlera dans 20 ans quand ce sera la merde noire,et que nos ainés auront continuer à encourager la population à vivre dans l’excès le plus total du mode de vie occidental. On ressortira des articles comme celui ci à nos enfants, histoire de rigoler.
Cet edito donne l’impression que l’auteur n’a pas lu ou compris les arguments de la collapsologie… La collapsologie n’est pas anti progrès et ne nie pas les progrès acquis… Elle part d’un principe clair: la croissance infine dans un monde finie ne peut durer. Chose que n’importe quelles data ne peuvent renier.
Les progrès viennent d’une aisance technologique et d’une société qui repose sur des ressources (minerales ou provenant des ecosystèmes), sur des machines et sur de l’énergie. Or les ressources et l’energie fossiles vont manquer dans les 10 à 30 ans à venir, donc nous risquons d’être plus pauvres. Nous ne pourrons produire toujours plus avec nos machines si elles manque de ressources à transformer et d’énergie pour les transformer…
La collapsologie identifie les faiblesse de notre société, grâce à elle on comprend se qui se cas derrière le » système » tant décrié dans les discutions de comptoirs.
Voilà, tout est dit dans les commentaires. La collapsologie ne renie en rien les avancées sur les plans social, démographique, économique, etc. permises par la civilisation actuelle. Il s’agit d’un hors sujet total. Il y a derrière la collapsologie, une vraie démarche scientifique, qui ne se donne pas ce nom afin de se légitimer, et que je vous invite à étudier afin de pouvoir rentrer dans le débat, de manière intelligente et intelligible. Là nous passons totalement à côté du débat, et c’est bien regrettable.
Quelle surprise quand Servigne, lorsque la chaine Thinkerview lui demande de citer un livre a lire, cite…Pinker!
Je cherche à lire d’autres infos pour sortir du pessimisme ambiant et je tombe sur cette page.
Ce qui est écrit est antérieur aux élections Brésiliennes et à l’incendie de la forêt amazonienne. Quels arguments pour dire que ça va mieux? J’adorerais en lire.
Quelques chiffres dans Nature https://www.nature.com/articles/s41586-018-0411-9 et ici https://news.mongabay.com/2018/08/earth-has-more-trees-now-than-35-years-ago/