Après avoir longtemps circulé dans le monde perdu de Jurrasic Jurassic à Hollywood, le projet de la résurrection d’une espèce disparue semble désormais avoir pris pour de bon le chemin du laboratoire. Il se trouve à son tour sous le feu des projecteurs, depuis la disparition, au Kenya, au mois de mars de cette année, du dernier rhinocéros blanc mâle nommé Sudan.
Deux techniques pour une résurrection
Peu après ce triste événement soit venu mettre un terme à l’histoire de cette espèce de mammifères la plus menacée au monde, des équipes de scientifiques se sont manifestées pour proposer des solutions. Une première approche menée par des chercheurs de l’Institut de Recherche pour la Conservation du Zoo de San Diego a été présentée au mois de mai. En utilisant les techniques de génie génétique, ils ont séquencé l’ADN de cellules de rhinocéros blanc du nord disponibles dans une banque d’échantillons (Un zoo congelé). À la suite de cette opération de séquençage, ils ont publié une étude dans la revue scientifique Genome Research, dans laquelle ils affirmaient détenir suffisamment de diversité génétique pour ressusciter toute une population viable de rhinocéros.
Au début de ce mois, c’est l’équipe menée par le professeur Thomas B. Hildebrandt qui a publié dans le journal « Nature » un article laissant entrevoir une autre forme d’espoir, par le biais, cette fois, de l’adaptation des techniques de procréation médicalement assistées existantes. En effet, ces derniers ont réussi à fertiliser les ovocytes de rhinocéros blanc du sud avec une partie du stock de sperme de rhinocéros blanc du nord dont ils disposaient. Ils ont ainsi pu créer des embryons hybrides qui pourraient, d’après-eux, être ré-implantés dans le ventre d’une femelle rhinocéros porteuse. Si cette expérimentation réussit, alors les chercheurs solliciteront les autorités kenyanes, afin que celles-ci les ré-autorisent le prélèvement des ovocytes des deux dernières femelles rhinocéros blanches du nord. Ils pourront alors reproduire leur protocole et fertiliser ces œufs.
Les vrais enjeux de la biodiversité
Un esprit critique dira que, si elles sont menées jusqu’au bout, ces expériences ne permettront pas de ramener l’espèce dans son milieu naturel, mais seulement de conserver celle-ci en captivité, pour continuer la tentative de préservation. Par ailleurs, comme le fait remarquer Stéphane Marchand, rédacteur en chef de « Paris Innovation Review », « faut-il le faire ? À quoi bon ? La dés-extinction est une prouesse d’ingénierie génétique de plus en plus réaliste, mais elle est aussi controversée. Consacrer des ressources à la résurrection d’espèces disparues se ferait forcément au détriment des moyens déjà insuffisants alloués aux espèces vivantes. » Selon lui, la Nouvelle Zélande aurait fait le calcul : réintroduire 11 espèces éteintes dans leur ancien habitat mobiliserait autant de fond que pour protéger 31 espèces encore présentes dans la nature.
Il n’empêche que ces deux expériences démontrent à quel point la science dispose de ressources pour s’attaquer au problème de la biodiversité. Contrairement à l’opinion reçue, on voit ici que la technologie peut-être elle-même facteur de cette biodiversité, et ce, de manière pro-active. Il est important de le souligner car la thèse dominante affirme, au contraire, que l’homme et la technologie seraient à l’origine de la disparition de bon nombre d’espèces. Or comme chacun sait, la prise de conscience de ce problème est relativement récente, puisque c’est au sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 qu’il a été défini comme un objet majeur du développement durable. Cet engagement n’en est pas moins radical, puisque d’après les sources compilées par la Banque mondiale, la proportion de territoires protégés, de parcs nationaux et de réserves est passée de 8,2 % en 1990 à 14,8 % en 2014, soit l’équivalent en superficie d’un pays comme les États-Unis. Il en va de même pour la protection des fonds marins qui aurait doublé durant la même période et représenterait désormais plus de 12 % de la superficie totale des océans (1).
Mais certains défenseurs de la biodiversité pensent que l’on ne va jamais assez loin et qu’il faut toujours en faire davantage pour un domaine encore incompris. Ainsi, dans une interview, Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle, compare une institution comme le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) – qui depuis 30 ans, sensibilise l’opinion sur les thèmes liés au climat – et l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) créé il y a six ans, afin de faire un travail similaire sur la biodiversité. Selon lui, cette administration qui « fait des rapports sur les insectes pollinisateurs, sur les oiseaux, sur les mammifères (…) ne peut procéder que par agrégation. C’est un peu comme de vieillir : si l’on regarde dans la glace tous les jours, ce n’est pas flagrant, mais au bout de dix ans c’est évident ! La majorité des gens vivent dans des villes et pensent que la biodiversité est toujours là. Il y a de moins en moins d’oiseaux ? C’est normal, on s’habitue. La biodiversité est un tableau impressionniste, alors que le climat c’est une œuvre d’Ingres ».
La nature du problème
Cette métaphore artistique pour expliquer le rapport au problème de la biodiversité en dit long. Et de ce fait, il semblerait qu’elle ait plus de points communs avec l’esthétique qu’avec la science. Une analyse que l’on retrouve dans un article de Jonathan Dubrulle. Le jeune ingénieur agronome s’interroge : « Et si la biodiversité n’était qu’une construction sociale, reflet d’un idéal esthétique, donnant lieu à une vision anthropomorphique de la nature ? » Pour appuyer sa thèse, il rappelle à quel point l’activité humaine n’est pas l’ennemie de la biodiversité, bien au contraire, et que c’est un non-sens d’affirmer comme l’a récemment fait Nicolas Hulot, ministre Français de l’Environnement, que « l’Homme est devenu une arme de destruction massive contre la nature ». Ainsi, par le biais des échanges commerciaux, tout d’abord, puis, par la sélection végétale et animale ensuite et, enfin, par l’agriculture, l’activité humaine n’a cessé d’être à l’origine de l’apparition de nouvelles espèces.
Comme on le voit, la nature du problème de la biodiversité est surtout ontologique. Faut-il faire de la lutte pour la biodiversité un projet conservateur ayant pour but de freiner le développement technologique humain afin de sauver une vision idéalisée de la nature ou, peut-on affirmer que cette même technologie n’est pas l’ennemie de la biodiversité et qu’au contraire, elle peut même être au service de sa conservation ? Où mettre le curseur ?
Sélection naturelle et sélection négative
Enfin, on aurait tort de ne faire porter qu’à l’homme le chapeau de la disparition des espèces. Comme chacun sait, celles-ci peuvent être victimes de la sélection naturelle et comme le rappelle le philosophe Raymond Ruyer, d’un autre facteur, bien plus intransigeant, la « sélection négative » : « Pour l’espèce humaine, pour les peuples et leur culture, comme pour les espèces végétales et animales, la sélection naturelle ne paraît ni moraliste, ni artiste, ni perfectionniste : “ Les plus belles choses ont le pire destin. »” Les plus courageux sont tués dans une guerre, les aristocrates de toutes sortes sont éliminés. Les généreux et les capables donnent leur vie pour des égoïstes ou des stupides. Les fautes d’orthographe de la vie et de la culture vivante ont leur chance, tant qu’elles sont les fautes de vivants qui veulent vivre et s’affirmer, qui parlent mal, mais qui prétendent parler tout comme les autres, à leur manière. Les seuls porteurs de fautes impardonnées sont les absents, non nés par la faute de leurs parents, qui ont renoncé à parler, bien ou mal, la langue biologique, c’est-à-dire qui n’ont pas assuré leur reproduction. » (2)
Or la sélection négative s’abat sur toutes les espèces naturelles, dont l’homme. De ce point de vue, la science et les technologies qu’elle peut mobiliser pour aller à l’encontre de la disparition des espèces, montre à quel point l’humanité contribue activement et par tous les moyens à sa disposition, à cette fin. Une chose est certaine, qu’il s’agisse de ressusciter des espèces dans un laboratoire, par le biais des biotechnologies ou de l’embryologie expérimentale, ou d’en créer de nouvelles ex nihilo, il s’agit toujours d’un projet chimérique mené par la technologie humaine, au service de la créativité et donc, de la diversité du vivant.
- Steven Pinker, Enlightenment now, p. 133, figure 10-6, Protected areas, 1990-2014 ; source : World Bank, 2016 and 2017.
- Raymond Ruyer, Les Cent prochains siècles : le destin historique de l’homme selon la nouvelle gnose américaine, FAYARD, (1 janvier 1977)
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Et si nous dépensions cet argent pour essayer de sauver toutes les autres espèces menacées. Je vous l’intérêt de faire de la recherche génétique à ce sujet mais ça ressemble plus à une fuite vers l’avant à ce stade d’érosion massive de la biodiversité.