Si le sujet « vérité et connaissance scientifique » est un pilier de la philosophie classique et de l’épistémologie contemporaine, il se pourrait bien que, dans une ère de post-vérité, ce thème soit progressivement remplacé par celui de la chasse aux « fausses informations ». Pour le dire autrement, ce qui compte, ce n’est plus la quête d’un sens métaphysique ou une recherche de cohérence logique, mais qu’un énoncé tienne le plus longtemps possible à la Une de l’actualité avant d’être remis en cause.
En affirmant ceci notre objectif n’est pas de donner un blanc seing au relativisme ou d’abandonner la méthode scientifique, bien au contraire. Il s’agit de réfléchir sur la possibilité de redonner à celle-ci sa superbe ; d’autant plus qu’elle n’est plus simplement une affaire de scientifiques : les médias, les politiques, les ONG et l’opinion s’emparent immédiatement de la moindre expérience rendue publique et se trouvent engagés de manière quasi instantanée dans le processus de « vérification » qui passe d’abord souvent par l’acceptation. Ce qui montre la nécessité d’éduquer l’opinion pour lui apprendre à détecter les différentes typologies d’erreurs scientifiques. Voici donc une petite grille de lecture que nous avons établie en classant cinq grandes typologies d’informations scientifiques qui se sont révélées fausses…
Rétractation d’un article sur le réchauffement des océans : l’erreur scientifique
Fin septembre, le célèbre journal Nature a annoncé qu’il retirait un article qui avait fait énormément de bruit sur le réchauffement des océans [1]. Le papier en question soutenait que les océans se réchauffaient bien plus rapidement que prévu, ce qui laissait croire, d’après les auteurs, que l’augmentation de la température du globe était liée à un doublement de la teneur de CO2 dans l’atmosphère et plus élevée que ce que l’on pouvait imaginer. Or un économètre ayant débusqué des erreurs de calcul statistique dans le papier et l’ayant signalé, Nature en personne a demandé aux auteurs de retirer ce papier et ils se sont exécutés[2]. Rien de choquant a priori dans ce cas de figure, où la méthode du peer-reviewing –– la relecture par les pairs – a bien fonctionné. Signalons toutefois que la publication de l’article initial a donné lieu à un grand nombre de reprises dans la presse grand public, alors que la rétractation de l’article, elle, est passée quasi inaperçue. Certains commentateurs ont vu dans cet épisode une preuve que la thèse du réchauffement climatique est loin d’être assurée[3], d’autres, au contraire, ont soutenu que cette rétractation ne permettait nullement d’en douter[4]. Nous y voyons le processus naturel de la science qui repose sur la falsifiabilité des propositions. Ce qu’a parfaitement résumé Karl Popper : « Le jeu de la science est un principe sans fin. Celui-là se retire du jeu qui décide un jour que les énoncés scientifiques ne requiert pas de test ultérieur et peuvent être considérés comme définitivement vérifiés »[5]. Une citation que feraient bien de méditer ceux qui pensent que la nature d’une vérité scientifique se définit par son caractère irréfutable. C’est tout le contraire qui est vrai. Aussi, cette première typologie de « fake news » s’inscrit dans le processus normal des controverses scientifiques.
Nuage de « Tchernobyl » : la maladresse des experts et des décideurs
Le deuxième exemple dont nous voudrions parler nous pousse à élargir la cible de la communauté des scientifiques en y ajoutant les politiques. L’accident de Lubrizol vient de faire ressurgir de mauvais souvenirs dans l’opinion et notamment l’épisode de Tchernobyl. Or c’est un classique du genre que l’on ressort pour dire que l’état est le premier propagateur de fake news. L’opinion française notamment est persuadée que c’est lui qui a voulu faire croire que le nuage de Tchernobyl n’avait pas traversé la frontière. Or comme le montre la journaliste Géraldine Woesner dans un article très fouillé, on trouve ici un bel exemple de cacophonie de la part des services de l’État. Si les autorités ont bien annoncé dans un communiqué de presse l’arrivée du nuage, cette information n’a pas été communiquée avec suffisamment de détail par l’ex SCPRI[6] (Service central de protection contre les rayonnements ionisants), l’instance en charge et d’autres structures, telles que le ministère de l’Agriculture, ont « cafouillé » [7]. Ce manque de précision, sera l’origine de nombreuses critiques et notamment de nombreuses théories du complot. Nous sommes donc ici en présence d’une deuxième catégorie de fake news. Celle-ci ne regarde plus les experts, mais les instances officielles qui ne savent pas sur quel pied danser pour communiquer ce genre d’information et se trouvent dans une valse-hésitation. L’expert pris entre le marteau et l’enclume hésite entre rassurer et susciter une peur panique dans l’opinion. L’information scientifique en paye forcément les pots cassés.
« Ségolène Royal, les pesticides et le cancer » : la bêtise des politiques
Invitée à s’exprimer à propos de la consultation gouvernementale sur les pesticides, Ségolène Royal a déclaré que « Aujourd’hui, plus d’une femme sur dix est touchée par le cancer du sein, est-ce que vous vous rendez compte de ça ? C’est dû à quoi, cela ? C’est dû aux pesticides. »[8] Voici donc une énorme contre-vérité que n’ont pas manqué de dénoncer certains journalistes. Emmanuelle Ducros, par exemple, dans L’Opinion[9] oppose à l’ancienne ministre de l’environnement l’étude de l’Agrican en France et celle de la cohorte de 50 000 agriculteurs américains, deux enquêtes qui font référence en la matière et qui ne fournissent aucune preuve pour affirmer que les agriculteurs seraient davantage victimes du cancer que d’autres populations.
Cette catégorie de fake news n’est pas rare. Les politiques, et parfois certains médias, sont friands de ces déclarations qu’ils produisent parfois à dessein, parfois par inculture. Le problème étant, bien évidemment, que la propagation de telles nouvelles contribue à accentuer les peurs dans l’opinion et génère des comportements irrationnels.
« La liste bio des produits chimiques » : l’intoxication publicitaire
Récemment, les entreprises du bio se sont réunies pour faire passer une publicité sur laquelle on voit une liste de composants chimiques. Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS a fait la recension de ce document pour European Scientist dont voici un extrait : « En résumé, cette liste a été « gonflée » avec des produits parfaitement naturels et habituellement consommés. On ne voit d’ailleurs pas comment les aliments bio pourraient éviter de les contenir ! Il n’y a donc pas lieu de monter une campagne de peur sur ces produits, sauf si on croit qu’une molécule est inoffensive si produite directement par une plante et devient toxique, tout en gardant la même formule chimique, par je ne sais pas quel sortilège, dès qu’elle est ajoutée par action humaine ». Dans cette catégorie on regroupera les démarches qui tronquent explicitement l’information scientifique ou la déforment pour faire passer un message publicitaire totalement faux. Ce n’est pas le fait cité qui est faux, c’est le message qui en est tiré qui est fallacieux.
« La carte du QI mondial » : la récupération idéologique par les ONG
Le dernier exemple que nous voudrions citer est moins une fake new que la récupération d’une information scientifique pour servir une idéologie. Une carte publiée sur Wikipédia établit une classification du QI. Les résultats qu’elle exhibe démontre que les pays du nord ont généralement un QI supérieur à ceux du sud. Or cette observation a été propagée abondamment sur les réseaux sociaux comme l’explique Le Nouvel Observateur[10] pour servir la thèse de certains mouvements suprémacistes blancs. Le docteur Laurent Alexandre, lui, n’hésite pas à dire qu’il faut carrément interdire la diffusion de cette carte.
J’ai expliqué dans @lemondefr que je suis contre la diffusion de cette carte. Et Wikipedia, dont elle est issue, devrait la censurer ! https://t.co/5vImOVFe6d
— Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre) June 19, 2019
Comme dans le cas précédent, ce n’est pas l’information qui est fausse, mais la récupération qui en est faite qui peut faire passer un message nauséabond. L’extrapolation et l’utilisation de ce fait par une idéologie qui veut donner une base de scientificité à sa thèse à la manière dont agissaient, par exemple, certains scientistes.
Cette liste illustre la variété et la diversité des fausses informations scientifiques. Tous les publics sont concernés, à commencer par les scientifiques eux-mêmes. La conclusion de cette petite revue est que chacun doit exercer à chaque instant son esprit critique pour juger et interpréter sans se précipiter. Dans un monde surexposé où l’information n’a jamais été aussi abondante, le doute permet de faire le tri et surtout de se méfier de ceux qui s’appuient sur ce qu’ils présentent comme une « vérité absolue », « un fait incontestable », pour imposer une idéologie politique. Aussi on voit bien que ce qui pose problème c’est moins le fait que l’information puisse être fausse – encore une fois, le propre de toute proposition scientifique, c’est d’être réfutable – mais c’est qu’elle puisse être interprétée et ou récupérée dans le cadre d’une démarche d’influence (médiatique, politique, idéologique.…) qui elle entend présenter une vérité absolue. Mais c’est là un vaste sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.
[1] Retraction Note : Quantification of ocean heat uptake from changes in atmospheric O2 and CO2 composition https://www.nature.com/articles/s41586-019-1585-5.
[2] Journal ‘Nature’ retracts ocean-warming study https://phys.org/news/2019-09-journal-nature-retracts-ocean-warming.html.
[3] https://www.climato-realistes.fr/retractation-dun-article-de-nature-sur-le-rechauffement-des-oceans/.
[4] https://www.iflscience.com/environment/retraction-of-2018-oceanwarming-study-is-not-due-to-climate-change-doubts/.
[5] Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, éditions Payot, 2017.
[6] Le 19 juillet 1994, le SCPRI est remplacé par l’OPRI2. Celui-ci est intégré le 13 février 2002, à l’IPSN pour former l’IRSN
[7] « Dès le 30 avril, un communiqué du SCPRI envoyé à la presse confirme l’arrivée du nuage radioactif : on signale « une légère hausse de la radioactivité atmosphérique sur certaines stations du sud-sst, non significative pour la santé publique ». Suivi d’un autre, le lendemain : « Ce jour 1er mai 86, 24 heures, tendance pour l’ensemble des stations du territoire à un alignement de la radioactivité atmosphérique sur le niveau relevé le 30 avril dans le sud-est. Il est rappelé que ce niveau est sans aucune incidence sur l’hygiène publique. » Puis la radioactivité s’accroît dans l’est. Dans le nord-est, région la plus touchée, l’activité atteindra 25 Bq/m3. C’est effectivement rassurant : dans certaines maisons, l’exposition naturelle au radon peut atteindre 1 000 Bq/m3 ! La faute des autorités est qu’elles ne donnent pas ces valeurs, se bornant à transmettre des informations laconiques. En clair : les pouvoirs publics indiquent bien que le nuage radioactif a survolé la France et que les niveaux observés sont parfaitement rassurants, mais le public est prié de se contenter de cela. On s’inquièterait à moins… », in « L’increvable mythe du “nuage de Tchernobyl”, Géraldine Woesner, https://www.lepoint.fr/societe/l-increvable-mythe-du-nuage-de-tchernobyl-03-10-2019-2339144_23.php.
[8] https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/epandage-de-pesticides-5-ou-10-metres-ce-n-est-pas-suffisant-il-faut-100-150-metres-1191751.html.
[9] https://www.lopinion.fr/video/decryptage/pesticides-cancers-gros-bobards-segolene-royal-199762.
[10] https://www.nouvelobs.com/politique/20191004.OBS19315/pourquoi-l-emoji-carte-du-monde-est-en-train-de-devenir-un-symbole-dans-la-fachosphere.html.
Lisant avec intérêt votre article, je vérifie vos sources et constate avec consternation, mais hélas sans surprise, qu’elles ne disent pas tout ce que vous prétendez.
Ainsi lorsque vous écrivez « Certains commentateurs ont vu dans cet épisode une preuve que la thèse du réchauffement climatique est loin d’être assurée », vous faites référence à site soutenant la thèse de l’origine naturelle du réchauffement climatique.
Où on peut lire que la rédaction au contraire se félicite de ce l’erreur grossière ait été découverte rapidement mais malheureusement pas par le peer reviewing, et de conclure que Nature a peut-être un biais de confirmation pour ne publier que des articles allant dans un certain sens et ne pas les vérifier.
Je me dois de souligner que votre article sur les fakenews regorge de fakenews, et qu’aujourd’hui plus que jamais chacun se doit de vérifier tout ce qu’il lit.
Bien à vous.
Merci de votre réponse et de cette précision importante.