Dans la catégorie des pseudo-sciences on a coutume d’inclure spontanément les thèses des déclinistes et autres prophètes de malheur et il ne nous vient que rarement à l’esprit de parler des hypothèses issues du milieu qui milite pour les progrès issus de la science. Pourtant, la confrontation de certains points de vue sur la « Singularité » et de la « Téléportation » nous permet de nous poser quelques questions.
Commençons par la Singularité. Pour rappel celle-ci émet l’hypothèse « que l’invention de l’intelligence artificielle déclencherait un emballement de la croissance technologique qui induirait des changements imprévisibles sur la société humaine. » Pas un jour sans que cette idée nous soit présentée dans les médias comme étant inéluctable et faisant partie du destin scellé de l’humanité. Les têtes de ponts des GAFAM (Zuckerberg et Gates en tête) se sont succédées, plus prévenantes les unes que les autres, pour lancer des messages d’alertes à l’humanité.
Or si on lit l’ouvrage de Jean-Gabriel Ganascia intitulé le « Mythe de la singularité » on a vite fait de revenir sur Terre. Selon cet auteur, ce temps unique dans l’histoire de l’humanité ne serait, non seulement pas prêt de se produire, mais en plus, a toutes les chances de ne jamais advenir – n’en déplaise aux trans-humanistes. Ainsi comme le constate l’expert français en la matière, il y a de fortes similitudes entre les attentes de ce moment et l’attente du retour du Christ au Moyen-Age. « En 1993, l’année 2023 laissait un délai de trente ans, ce qui donnait du temps ; en 2010, ce terme approchant, Ray Kurzweil s’offre alors un répit supplémentaire, à nouveau d’un peu plus d’une trentaine d’années ce qui lui évite d’avoir à donner des gages empiriques de ses affirmations. Tout se passe comme au Moyen-Age, avec l’anticipation de la date de l’apocalypse. » J.G. Ganascia énumère dans son ouvrage une quantité d’arguments afin de démonter pièce par pièce la thèse qui est présentée par beaucoup comme une éventualité.
Pour ne prendre qu’un seul argument, il identifie un obstacle de taille qui porte sur la loi de Moore, à laquelle font souvent référence les protagonistes. Celle-ci comme on sait suppose que les machines continuent de croitre de manière continue et régulière (doublement du nombre de transistors d’un circuit électronique à prix constant tous les dix-huit mois ou tous les deux ans, doublement des performances, de la rapidité ou de la capacité de stockage d’information à un rythme équivalent…). Or selon ce professeur de l’université Pierre et Marie Curie, « Il n’y a pas de lien direct entre la puissance de calcul des machines et leur capacité à simuler l’intelligence. En conséquence, quand bien même la loi de Moore resterait valide, ce qui est, nous l’avons vu, bien hypothétique, cela ne conduirait pas inéluctablement à la création de machines ultra-intelligentes…. »
Autre thèse qui – bien qu’empreinte de scientificité et baignant dans un univers très pro-science – suscite quelques doutes : la téléportation. Dans un ouvrage de vulgarisation daté de 1964, Norber Wiener affirme : « […] il est conceptuellement envisageable de transmettre un être humain à travers une ligne télégraphique […]. Pour l’instant et peut-être pour toute la durée de l’espèce humaine, cette idée est impraticable mais elle n’est pas pour autant inconcevable. ».
Là encore nous nous retrouvons avec un possible dont certains sont persuadés qu’il adviendra avec le progrès continu des sciences. Ainsi le professeur Michio Kaku de la City University de New York affirme que téléporter une personne vivante à un autre emplacement de la terre ou même de l’espace sera possible dans un avenir proche. Or en face de cette vision optimiste on retrouve, comme dans le cas de la singularité, des experts beaucoup plus sceptiques. C’est le cas du physicien Anton Zeilinger. Ce président de l’Académie des Sciences d’Autriche est le premier à avoir réalisé une communication intercontinentale et inviolable avec la Chine, car chiffrée avec ce que l’on appelle une « clé quantique ».
Or quand on interroge ce grand spécialiste mondiale de la physique quantique – surnommé Mr Beam pour son expérience de téléportation quantique – sur la possibilité de « téléreporter un être humain » sa réponse est catégorique. Il affirme que l’information contenue dans les particules qui composent un être humain est bien trop importante pour réaliser une telle opération. Dans une interview récente qu’il a donnée il affirme que s’il fallait graver cette information sur des CD et les empiler les uns sur les autres, on obtiendrait une tour qui s’élèverait du soleil jusqu’au centre de la voie lactée (Würde man sie alle auf CDs brennen und diese aufstapeln, ergibt das einem Turm von der Sonne bis ins Zentrum der Milchstrasse. Vergessen Sie es. Beamen ist pure Science-fiction. » )
Singularité et Téléportation, voici deux concepts qui ont fait les beaux jours de la science-fiction et dont certains scientifiques disent désormais qu’ils sont tout à fait possible, démontrant à quel point Hollywood continue d’influencer la science (et vice-versa). Mais en face de ces opinions, on trouve également des chercheurs plus critiques et qui ne semblent pas vouloir s’en laisser conter. Les deux scientifiques sceptiques que nous avons identifiés résident sur le vieux continent. De là à en conclure que le scepticisme européen fait face une fois de plus à la science-fiction hollywoodienne, il n’y avait qu’un pas, que nous avons osé franchir.
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