Alors qu’avait lieu le match de football us Harvard-Yale, ce samedi, des étudiants des deux prestigieuses universités rivales ont envahi le terrain durant la mi-temps et retardé le début de la deuxième partie. Les scientifiques engagés ont toujours existé mais avec la cause climatique le phénomène prend de plus en plus d’ampleur : la science y gagne-t-elle ?
Un sit-in de l’élite des grandes écoles américaines
C’était une première pour cette rencontre qui se déroule chaque année depuis 1875 : les étudiants de Harvard et Yale ont organisé un sit-in pour protester contre le réchauffement climatique. Ils ont déroulé des bannières sur lesquelles on pouvait lire « Personne ne gagne. Yale et Harvard sont complices de l’injustice climatique. » Les organisateurs de la manifestation ont déclaré par ailleurs « Harvard et Yale affirment que leur objectif est de créer des leaders étudiants qui œuvrent pour un monde plus juste, équitable et prometteur » en « améliorant le monde aujourd’hui et pour les générations futures ». Pourtant, en continuant d’investir dans des industries qui trompent le public, dénigrent les universitaires et dénient la réalité, Harvard et Yale se rendent complices de la destruction de cet avenir. [1] » Notons que la candidate démocrate Élizabeth Waren a soutenu le mouvement.
I support the students, organizers, and activists demanding accountability on climate action and more at #HarvardYale. Climate change is an existential threat, and we must take bold action to fight this crisis. https://t.co/lm1V6honI4
— Elizabeth Warren (@ewarren) November 24, 2019
Une pétition de 11 000 scientifiques
Ce type de mouvement spontané propulsé par la future élite de la nation américaine ressemble furieusement aux appels à la grève des études de Greta Thunberg. Dans le même genre, on peut également la rapprocher de l’ « Appel des scientifiques du monde entier pour une action urgente sur le climat[2] ». Ce texte a été rédigé par cinq scientifiques qui revendiquent un devoir moral d’avertir l’humanité en disant les choses telles qu’elles sont. Leur texte a été signé par 11 000 chercheurs. Notons que l’initiateur William Ripple récidive puisqu’en 2017, il était déjà à l’origine ? d’une d’alerte similaire qui, elle, avait recueilli 15 000 signatures[3].
Cet article bien que publié dans une revue à comité de lecture, se distingue toutefois, par son caractère engagé : les auteurs et ceux qui les ont soutenus s’adressent directement à l’opinion et aux politiques. Ils énumèrent deux séries de courbes : celles qui croissent (population humaine, nombre de ruminants, consommation d’énergie, transport aérien, émissions de CO2, émissions de GES…) et celles qui décroissent (surface des glaces, épaisseur des glaciers, acidité de l’eau de mer, taux de fertilité humain). En conséquence de quoi, ils proposent d’assister les politiques pour les aider à opérer un changement radical.
Lanceurs d’alerte et moratoires scientifiques historiques
Le fait que des scientifiques s’engagent pour une cause n’a rien de nouveau. L’histoire est truffée d’exemples. L’un des plus célèbres est sans doute celui d’Einstein qui écrit une lettre d’avertissement à Franklin Roosevelt. Il avait été informé par Léo Szilard que les Nazis avaient commencé d’extraire de l’uranium dans le Congo belge et faisaient des recherches sur la bombe [4]. Muni de ces informations, le président américain a fondé le projet Manhattan sous la houlette de J. Robert Oppenheimer pour faire une bombe atomique.
Dans un autre genre, on citera le moratoire scientifique qui a fait suite à la conférence d’Asilomar. Dans le secteur des biotechnologies naissantes, au milieu des années 1970, des chercheurs se sont engagés pour que celles-ci ne sortent pas du laboratoire à la suite d’un appel lancé dans la célèbre revue Science par le biologiste moléculaire Paul Berg. Selon l’historien Robert Bud « les contributions historiques d’Asilomar étaient un appel sans précédent pour une pause dans le domaine de la recherche jusqu’à ce que celle-ci soit régulée de telle manière que le public n’ait pas besoin d’être anxieux, et cela a, en effet, conduit à un moratoire de 16 mois jusqu’à ce que les directives du NIH soient valables au milieu de 1976 (…) la plupart des débats qui ont eu lieu à Asilomar reflétaient le problème de l’impact de la science sur la société ; rétrospectivement, la communauté scientifique semblait préoccupée par l’auto-imposition de règles à l’intérieur desquelles elle pourrait travailler sans rencontrer d’avantages de problèmes avec la société. » Deux engagements évidents a posteriori et qui démontrent bien la nécessité de l’engagement des scientifiques, tout en soulevant la question de l’articulation entre science et politique.
L’engagement renforce-t-il la scientificité d’une cause ?
Avec la cause climatique, comme on a pu le constater le mouvement d’engagement politique s’accélère et des groupes se constituent pour monter au créneau. Il semble d’ailleurs parfois que sur ce sujet – contrairement à d’autres – la cause des scientifiques rejoint celle des ONG.
À un tel point que le débat à totalement quitté la sphère de la controverse scientifique (un débat entre experts) pour se nicher uniquement dans le registre de la polémique. Ainsi, d’un côté les tenants de la thèse du réchauffement climatique anthropique accusent les climato-sceptiques d’être dans un déni, quant à ces mêmes climato-sceptiques, ils accusent leurs opposants de prioriser l’agenda du GIEC, un organisme politique, par rapport à celui de la science.
En conséquence de quoi, le débat se fait à coup de pétitions interposées. Ainsi, le 20 novembre 779 scientifiques ont signé la déclaration présentée au Parlement Européen, intitulée « Il n’y a pas d’urgence climatique »[5]. On s’arrêtera particulièrement sur la première phrase de ce manifeste : « La science du climat devrait être moins politique, alors que les politiques climatiques devraient être plus scientifiques. »[6]
Étonnamment c’est ce même souci que l’on retrouve également dans la dernière tribune de Michael Shellenberger, un éditorialiste qu’on ne peut pas supposer d’être climato-sceptique. En effet, dans le magazine Forbes, celui qui a été nommé héros de l’Environnement par Time Magazine s’interroge sur « Pourquoi les déclarations apocalyptiques sur le climat sont fausses »[7]. Dans ce texte, il passe en revue les déclarations catastrophistes des ONG, des médias, des politiques, mais également de certains scientifiques pour démontrer qu’elles obéissent toutes à une grosse part d’exagération. Le risque étant, d’après lui, que la science sur le climat perde toute crédibilité aux yeux du public[8].
Il démontre alors point par point comment certaines affirmations du GIEC se retrouvent totalement déformées. Notamment celle selon laquelle nous risquons de connaître la famine alors que nous produisons suffisamment d’aliments aujourd’hui pour nourrir 10 milliards d’individus et même 25 % de plus que nécessaire[9]. En conclusion, il cite Kerry Emmanuel, un scientifique du MIT qui souligne le fait que pour sortir de la pauvreté les populations indiennes, il faudra les laisser brûler encore davantage de charbon, ce qui les aidera à sortir plus vite de la pauvreté et donc au final, à rejeter moins de CO2 dans l’atmosphère[10]. Une preuve d’après Shellenberger, qu’il peut exister des terrains d’entente et qu’on peut éviter de tomber dans le catastrophisme à tous bout de champs.
Il est donc clair que si les chercheurs peuvent – et même doivent – s’engager pour une cause, cet engagement ne peut se confondre avec la méthode scientifique elle-même et on aurait tort de croire que la taille d’une pétition renforce l’irréfutabilité d’une thèse. Pour un sujet comme celui du climat, même les plus fervents défenseurs du sujet, se rendent compte que l’alarmisme est allé trop loin et qu’il est raisonnable de sortir de la surenchère apocalyptique. Pourvu qu’ils soient entendus.
[1] https://www.npr.org/2019/11/24/782427425/activists-disrupt-harvard-yale-rivalry-game-to-protest-climate-change
[2] William J Ripple, Christopher Wolf, Thomas M Newsome, Phoebe Barnard, William R Moomaw Author Notes, World Scientists’ Warning of a Climate Emergency, in BioScience, 5 Novembre 2019 https://academic.oup.com/bioscience/advance-article/doi/10.1093/biosci/biz088/5610806
[3] https://academic.oup.com/bioscience/article/67/12/1026/4605229
[4] D’après Paul Halpern, « Szilard avait calculé qu’une réaction en chaîne était possible, où les neutrons relâchés par la fission nucléaire d’un isotope de l’uranium stimulent la désintégration d’un nombre sans cesse croissant des noyaux, produisant ainsi des quantités énormes d’énergie destructrice » in Le dé d’Einstein et le chat de Schrödinger, p. 280
[6] Climate science should be less political, while climate policies should be more scientific. In particular, scientists should emphasize that their modeling output is not the result of magic: computer models are human-made. What comes out is fully dependent on what theoreticians and programmers have put in: hypotheses, assumptions, relationships, parameterizations, stability constraints, etc. Unfortunately, in mainstream climate science most of this input is undeclared.To believe the outcome of a climate model is to believe what the model makers have put in. This is precisely the problem of today’s climate discussion to which climate models are central. Climate science has degenerated into a discussion based on beliefs, not on sound self-critical science. We should free ourselves from the naïve belief in immature climate models. In future, climate research must give significantly more emphasis to empirical science. https://clintel.org/world-climate-declaration/
[7] https://www.forbes.com/sites/michaelshellenberger/2019/11/25/why-everything-they-say-about-climate-change-is-wrong/#16dc7ed112d6
[8] « Journalists and activists alike have an obligation to describe environmental problems honestly and accurately, even if they fear doing so will reduce their news value or salience with the public. There is good evidence that the catastrophist framing of climate change is self-defeating because it alienates and polarizes many people. And exaggerating climate change risks distracting us from other important issues including ones we might have more near-term control over. »
[9] « What about claims of crop failure, famine, and mass death? That’s science fiction, not science. Humans today produce enough food for 10 billion people, or 25% more than we need, and scientific bodies predict increases in that share, not declines. The United Nations Food and Agriculture Organization (FAO) forecasts crop yields increasing 30% by 2050. And the poorest parts of the world, like sub-Saharan Africa, are expected to see increases of 80 to 90%.Nobody is suggesting climate change won’t negatively impact crop yields. It could. But such declines should be put in perspective. Wheat yields increased 100 to 300% around the world since the 1960s, while a study of 30 models found that yields would decline by 6% for every one degree Celsius increase in temperature. »
[10] “If you want to minimize carbon dioxide in the atmosphere in 2070 you might want to accelerate the burning of coal in India today,” MIT climate scientist Kerry Emanuel said. “It doesn’t sound like it makes sense. Coal is terrible for carbon. But it’s by burning a lot of coal that they make themselves wealthier, and by making themselves wealthier they have fewer children, and you don’t have as many people burning carbon, you might be better off in 2070.”