(suite de l’édito 150e anniversaire de la table périodique)
Dans l’éditorial de la semaine précédente nous évoquions le 150e anniversaire de la table périodique des éléments de Mendeleïev ainsi que la campagne de sensibilisation organisée par EuChems (La Société Européenne de Chimie) sur les matériaux rares. Au travers d’une table revisitée, l’institution a communiqué sur la rareté dont faisaient désormais l’objet certains éléments. Afin de mieux sensibiliser le public, ils ont montré du doigt les téléphones portables comme faisant partie des principales sources de dispersion de ces matériaux rares. Ainsi dans une notice explicative, les auteurs concluent leur démonstration en disant : « La prochaine fois qu’on vous proposera une mise à niveau de votre smartphone, réfléchissez à nouveau et demandez-vous si vous en avez vraiment besoin ou si vous pourriez conserver celui que vous avez encore pendant un an ou plus et apporter votre contribution personnelle à la conservation de ces éléments rares et importants. » Ayant lu mon édito, un ami chimiste m’a fait remarquer que les smartphones étaient loin d’être les seuls objets concernés et qu’il y avait des « innovations » considérées comme étant bien plus écologiques, qui, en fait, contribuaient à dilapider les terres rares. Je me suis donc senti obligé de faire une petite mise au point.
Vert et pourtant consommateurs de matériaux rares
S’il semble assez facile de faire culpabiliser le consommateur qui change souvent de téléphone, il est beaucoup plus difficile de lui raconter l’histoire des éoliennes, grandes consommatrices de matériaux rares. En effet, on sait que dans l’imaginaire collectif, celles-ci représentent le symbole ultime de l’écologie. Or comme le remarque Kevan Saab, les alternateurs à aimants permanents qui sont nécessaires à leur fonctionnement, utilisent beaucoup de matériaux rares tels que néodyme-fer-bore, le dysprosium et le praséodyme. Selon ce spécialiste : « pour fabriquer une éolienne de 3 MW, la compagnie Frontier Rare Earths, spécialisée dans le domaine des terres rares, cite des quantités de terres rares allant jusqu’à 2 700 kg ! Avec le développement de l’éolien au niveau mondial, l’industrie des terres rares s’attend donc à une demande de plus 8 000 tonnes de la part de l’industrie éolienne en 2014. »
Cette thématique a été développée en profondeur dans l’ouvrage de Guillaume Pitron, « La Guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique ». L’auteur s’interroge sur une question fondamentale : comment réussirons-nous à nous procurer les matériaux rares qui sont indispensables pour fabriquer les équipements essentiels à la réussite de la transition énergétique : « éoliennes, panneaux solaires, voitures électriques … » ? La réponse est pour le moins dérangeante à l’égard de la doxa communément admise. En effet, il met au jour le paradoxe suivant : les énergies dites propres ont un besoin énorme de matériaux rares. Aussi pour obtenir ces derniers sans lesquels on ne pourrait pas produire les énergies dites « renouvelables », on fait appel à des méthodes d’extraction qui, elles, pour le coup ne sont pas propres. On nage donc en plein paradoxe et du coup on se met à douter : faut-il suivre les conseils du prophète qui annonce le déclin de la civilisation des lumières ou ceux du magicien qui continue de faire confiance à la science et à sa capacité à nous sortir de toutes les situations ?
Toujours privilégier la science
On le voit, une campagne de sensibilisation tout en étant juste, est forcément incomplète et ne touche qu’une partie du problème. Sensibiliser l’opinion sur le gaspillage inutile des éléments est une bonne chose. Mais lorsqu’on met le doigt dans l’engrenage on est obligé d’aller jusqu’au bout et de soulever des questions fondamentales. Et si on dénonce les objets technologiques gros consommateurs de terres rares, il faut aussi parler de tous les équipements, y compris ceux que l’on considère comme étant des sources d’énergie plus propres. Mais alors comment échapper ensuite au risque d’une forme de pessimisme qui verrait l’homme condamné derrière les cages des éléments du tableau de Mendeleïev et de l’usage – pour ne pas dire le gaspillage – qu’il ferait de chaque matériau ? Comme nous le rappelions dans l’édito précédant, un des pères fondateurs de ce tableau est le chimiste Lavoisier et grâce à ce dernier, nous avons hérité d’un principe célèbre selon lequel en chimie : « rien ne se perd, rien ne se créé, mais tout se transforme. ». À cela s’ajoute le fait que certains scientifiques, comme nous le rappelions, ne désespèrent pas de compléter la table des éléments. Quelques bonnes raisons de croire qu’il faut toujours privilégier la science pour innover et continuer de trouver des solutions, pendant que la politique, elle, en faisant des choix et en privilégiant un mode de vie par rapport à un autre, tend à fermer les issues.