Paru aux presses des Mines courant 2022, Enjeux biotechnologies des OGM à l’édition du génome, cet ouvrage de Catherine Regnault Roger est plus que jamais d’actualité. En effet, vous avez dû lire récemment que « Du colza OGM importé a poussé en bord de route à la suite de ‘lacunes’ » (1). Ou encore «OGM cachés»: la justice européenne fauche l’herbe sous le pied des Faucheurs volontaires (2). Ces titres énigmatiques vous interpellent et vous les associez à la malbouffe ou à l’environnement… Il est plus que jamais temps de réviser vos connaissances sur le sujet et de vous procurer cet ouvrage publié dans la collection Académie d’Agriculture de France.
Un livre d’expert pour les passionnés, accessible au grand public
Disons-le franchement : rares sont les scientifiques qui ont le sens de la communication. Catherine Regnault Roger fait partie de ce petit groupe. Pharmacien de Paris 5, Docteur d’Etat ès-sciences naturelles de l’Université Pierre et Marie Curie, elle est aujourd’hui Professeur des universités émérite (E2S UPPA) et membre de l’Académie d’Agriculture. Elle est reconnue pour ses travaux de recherche sur la bioprotection des agrosystèmes et de l’environnement à travers une démarche d’écologie chimique et de qualité sanitaire des récoltes (mycotoxines), puis pour des recherches transdisciplinaires sur les biotechnologies et le biocontrôle. Enfin, elle a exercé comme membre du Comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies pendant 12 ans. Il est donc difficile de trouver quelqu’un plus qualifié qu’elle pour écrire un ouvrage bilan sur les « Enjeux biotechnologies, des OGM à l’édition du génome » … rendre ce sujet accessible au plus grand nombre et nous offrir un véritable panorama sur le sujet… Un travail d’autant plus nécessaire que l’opinion en a bien besoin. Remarquablement construit, ce livre est fait de courts chapitres didactiques très bien argumentés et documentés qui vous permettent d’aller du plus général au plus particulier de la connaissance sur le sujet.
Ma thèse poussiéreuse à l’épreuve des faits
Ne sachant par quel bout présenter le sujet, j’ai décidé de ressortir mes écrits poussiéreux du placard pour m’en servir comme fil conducteur et voir ce qui avait bien pu changer en 20 ans et surtout je me suis dit que c’était l’occasion où jamais de vérifier la scientificité de mes propos. En 2004 je soutenais la thèse selon laquelle les opposants aux OGM s’appuyaient sur des arguments idéologiques ; je m’appuyais sur les données de l’époque et leur affirmation infondée que la transgenèse (technique utilisée pour faire des plantes génétiquement modifiées) n’était pas naturelle, dont j’avais tenté de démontrer qu’elle reposait sur une série de contradictions. Ils utilisaient cet argument pour en déduire que les organismes génétiquement modifiés devaient être mauvais pour la santé, pour l’environnement et pour la société entre-autres critiques. Selon moi ils se trompaient et cette « Querelle des OGM » (3) menaçait l’avenir de notre agro-industrie en France et en Europe et je dénonçais les manipulations politiques (4) qui se trouvaient derrière… Ma thèse a-t-elle donc résisté aux faits ? Le livre de Catherine Regnault Roger répond à toutes ces questions.
Oui la nature et l’homme font des OGM depuis la nuit des temps
Comme le rappelle l’auteure dans une forme de chapitre introductif les biotechnologies sont « intemporelles, essentielles et omniprésentes » et on peut faire remonter leur origine « dès le Néolithique » avec la naissance de l’agriculture jusqu’à l’essor des biotech modernes avec la modification du génome. Elle nous rappelle la définition de l’OCDE : « L’application de la science et de la technologie à des organismes vivants de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services. » Définition qui recouvre de vastes champs d’application « déclinées en couleur : marines (biotechnologies bleues), végétales (vertes), santé (rouge), industrielles (blanches), protection de l’environnement (biotechnologies jaunes ou pédagogiques (oranges) … une chose est certaine, c’est « qu’elles ont de tous temps fit partie de l’environnement de l’Homme et l’ont aidé à mieux vivre. Les hommes s’en sont servis sans en avoir conscience comme M. Jourdain parlait en prose sans le savoir. » Mais ce domaine prend vraiment son essor avec les « biotechnologies par génie génétique ».
Aussi la modification génomique est l’essence même de la vie biologique et même la nature produit d’incessantes modifications du génome « qui n’ont pas besoin de la main humaine pour se produire ». Contrairement à l’idée sur laquelle surfent encore les opposants aux OGM « la mutagenèse et la transgenèse, techniques largement utilisées pour transformer le génome, sont deux mécanismes naturels ».
Oui le marché des biotechnologies ne cesse de se développer et il profite aux plus pauvres
Au début des années 2000 Greenpeace avait fait appel à un cabinet conseil pour produire un rapport suggérant aux investisseurs de ne pas miser sur les biotechnologies…. Ceux qui ont suivi ces recommandations doivent aujourd’hui s’en mordre les doigts car les biotechnologies sont partout et ont ouvert de nombreuses perspectives dans tous les domaines du vivant, qu’il s’agisse de la santé humaine et animale (AGM), de solutions thérapeutiques, d’aliments biofortifiés (pour une meilleure conservation ou l’amélioration de la qualité nutritionnelle), des OGM végétaux et notamment les plantes transgéniques cultivées. Ce sont ces dernières que ciblait particulièrement le rapport mentionné, or : « Cela fait 25 ans, nous dit Catherine Regnault Roger, que les premières plantes transgéniques cultivées ont été commercialisées et les surfaces cultivées mondiales avoisinent aujourd’hui les 190 millions d’hectares ». Il faut savoir par exemple que « les superficies des terres cultivées en soja biotech par rapport au soja conventionnel sont devenues majoritaires (74% soit 92,4 millions d’ha en 2019) pour le coton également (79% en 2019 soit 25,6 millions d’ha) » Contrairement aux discours répandus par les ONG, 17 millions de petits paysans plantent des OGM et les pays en voie de développement en 2018 cultivaient déjà 54% des surfaces des PGM mondiales. « Ce ne sont pas les grandes exploitations de l’Amérique du Nord ou les haciendas et les fazendas de l’Amérique latine qui ont l’apanage de la culture des plantes transgéniques mais bien des millions de petits fermiers en Chine et en Inde notamment. » On trouve même désormais des cultures spécifiques telles que l’aubergine Bt au Bangladesh.
Oui les OGM protègent bien l’environnement et la santé
Les protagonistes des OGM ont toujours tenté de démontrer que leur innovation était bénéfique pour l’environnement. A la fin des années 90, Monsanto était même allé jusqu’à faire une pleine page dans le Monde avec comme slogan « Pour l’écologie, gie, gie, les biotechnologies, gie, gie » Hélas le message, sans doute trop provocateur pour l’époque, n’a jamais été entendu des opposants et ceux-ci ayant réussi à diaboliser la thématique, encore moins de l’opinion. Et pourtant des nombreuses plantes sont modifiées dans des visées environnementales. Tout ceci a d’ailleurs été mesuré. Comme le rappelle Catherine Regnault Roger, Graham Brookes et Peter Barfoot ont établi un suivi depuis 1996. Ils ont calculé sur une période de 22 années « qu’on peut attribuer aux cultures biotech en 2018, une réduction des émissions de CO2 de 23027 tonnes. » En lien avec cette économie, essentiellement les changements de pratiques agricoles (techniques culturales simplifiées, réduction des pulvérisations de produits phytopharmaceutiques, diminution du carburant consommé par les machines agricoles). A cela s’ajoute une « moindre vulnérabilité des sols à l’érosion et augmentation de la biodiversité tellurique. « La réduction des substances actives consommées lors des traitements insecticides et herbicides a été calculée et évaluée à 775400 tonnes.. » N’oublions pas enfin que plusieurs espèces ont été modifiées pour être adaptées à la sécheresse. On peut ajouter un aspect sanitaire également tel le cas d’école du maïs OGM MON 810 qui permet de réduire les « risques de fusarioses et de mycotoxines » qui contaminent toute une chaîne alimentaire : grain récolté, ensilage, lait de la vache et le fromage produit à partir de ce lait (comme ce fut le cas en Italie avec du parmesan).
Non on n’est plus obligé de transgresser la barrière des espèces
A l’origine, une des principales raisons de l’opposition aux OGM était qu’on transférait des gènes entre deux espèces qui ne se reproduisaient pas naturellement. Mais comme l’affirme l’académicienne « Les progrès de la science génomique réalisés au cours des vingt dernières années taillent en pièces l’affirmation que réaliser des transferts de gènes horizontaux en laboratoire transgresserait une barrière génétique des espèces qui se révèle un mythe. » Par ailleurs, de nouvelles techniques génomiques (NGT) que présente l’académicienne se sont développées depuis 20 ans. Cela a valu un prix Nobel à la Française Emmanuelle Charpentier, co-auteure avec Jennifer Doudna d’un article publié dans Science en 2012 au sujet de CRISPR-Cas9. Un nombre considérable de brevets a déjà été déposé sur cette technique, qui est plus simple et moins chère à réaliser que les techniques du XXè siècle (transgenèse, mutagenèse aléatoire). Dans le secteur médical, notamment des vaccins ont pu être développés grâce aux NGT dans le cadre de la pandémie de la COVID, et elles suscitent de nombreux espoirs pour apporter des réponses aux maladies orphelines, la mise au point d’outils diagnostic, la lutte contre les maladies vectorielles ou la réalisation d’aliments biofortifiés. Les NGT peuvent avoir également des applications animales qu’il s’agisse de modèles de laboratoire, de médecine vétérinaire, de bien-être animal ou encore de performance des élevages pour la production alimentaire. L’impact sur les biotechnologies végétales n’est pas en reste : lutte contre les maladies ou ravageurs des plantes et résistance à la sécheresse pour faire face aux changements climatiques …
Oui la France et l’Europe sont les grandes perdantes
Dans un prologue intitulé l’exception culturale, je tentais un raisonnement par l’absurde dans lequel le monde entier cultiverait des OGM sauf la France. Et de fait je n’étais pas loin de la vérité. Après 25 années de culture des OGM, Catherine Regnault Roger nous explique que le monde est divisé en deux ; d’un côté les pays qui cultivent et exportent des plantes biotech (continent américain nord et sud) Asie et zone pacifique, quelques pays africains et deux pays de l’UE (l’Espagne et le Portugal). De l’autre les pays qui n’en cultivent pas mais les importent (la Russie, la majorité des pays africains et de l’UE, les pays du Moyen-Orient ). Côté recherche, ce n’est pas mieux ! Si on prend le secteur des NGT deux pays sont particulièrement actifs la Chine (40% des publications) et les Etats-Unis (33% des publications). Notons qu’on voit désormais des laboratoires africains faire des recherches sur les NGT (Afrique du Sud, Kenya, Ethiopie, Ouganda). L’Europe et la France, quant à elles, sont bel et bien à la traine avec moins 10% des brevets déposés sur CRISPR par exemple contre 40% pour la Chine et 40% pour les Etats-Unis.
Oui il suffit de changer les lois européennes pour changer d’idéologie
C’est tout le coeur de la réflexion de l’ouvrage de Catherine Regnault Roger et c’est sa grande force. Démontrer que la législation européenne est dépassée : la directive 2001/18 a tué l’industrie européenne des OGM de première génération, qui pourtant était leader dans les années 90. Il est totalement absurde qu’on continue de s’appuyer sur cette même législation pour empêcher le développement des NGT qui, comme on l’a vu, lève les principaux obstacles idéologiques qui bloquaient les opposants : ceux-ci ne voulaient pas de la transgenèse car – même si elle copiait la nature – elle faisait selon eux, se mélanger des espèces qui ne se mélangeaient pas naturellement. Les sélectionneurs n’étant plus obligés d’avoir recours à la transgenèse pour faire de nouvelles variétés, la querelle devrait s’éteindre d’elle-même et si les militants ont un peu de mal à comprendre, on pourrait s’attendre à ce que les instances européennes adoptent une nouvelle loi qui encourage les laboratoires et entreprises européens du secteur des biotech au moins au niveau du végétal… hélas on en est encore loin, même si on peut en avoir un vague espoir courant 2023 dans l’attente de la proposition de législation du commissaire à l’Agriculture, le polonais Janusz Wojciechowski. Ainsi on peut espérer que la nouvelle réglementation prendra en compte le résultat obtenu et non la technique d’obtention. Car comme le rappelle Catherine Regnault Roger, avec les NGT «on peut modifier de façon mineure le génome de telle sorte qu’il est impossible en examinant le résultat de certaines modifications génétiques de savoir si le produit obtenu résulte d’une mutagenèse spontanée, d’une mutagenèse ciblée ou des techniques de sélections classiques pratiquées depuis plus d’un demi-siècle, c’est-à-dire qu’on ne sait pas si on l’a trouvé par hasard dans la nature ou s’il a été réalisé dans un laboratoire. »
En 2004, je proposais de remplacer le principe de précaution – porte d’entrée des idéologies dans la science – par le principe de cas par cas, ce dernier prenait entre-autre en considération que la science et la technologie opèrent une perpétuelle remise en cause et améliorent les différents procédés auxquels elles ont recours. L’arrivée des NGT nous montre bien la différence entre les scientifiques et les idéologues. Les premiers font évoluer leurs idées au fur et à mesure qu’ils améliorent leur connaissance de la nature. Les derniers attendent que la nature se plie à leurs idées. Si vous voulez vérifier par vous-même, je vous invite vivement à vous procurer Enjeux biotechnologiques, des OGM à l’édition du génome de Catherine Regnault Roger et si vous avez besoin d’une ultime preuve lisez la lettre que ces scientifiques ont adressé à l’activiste Vandana Shiva qui continue d’être invitée aux quatre coins du monde en racontant les mêmes histoires totalement démodées depuis plus de 20 ans.
(1) https://www.agri-mutuel.com/cultures/du-colza-ogm-importe-a-pousse-en-bord-de-route-a-la-suite-de-lacunes/
(2) https://www.lopinion.fr/economie/ogm-caches-la-justice-europeenne-fauche-lherbe-sous-le-pied-des-faucheurs-volontaires
(3) Jean-Paul Oury, La Querelle des OGM (PUF 2006)
(4) https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/05/20/les-ogm-querelle-ideologique-par-jean-paul-oury_1047107_3244.html
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