La chimiste française Emmanuelle Charpentier et l’américaine Jennifer Doudna ont obtenu le prix Nobel de Chimie pour la découverte Crispr-Cas 9. Certains médias se sont empressés de dénoncer l’hypocrisie de nos politiques qui se vantaient du fait qu’une française avait eu le prix Nobel, alors que, comme nous l’a expliqué Agnès Ricroch, si la chercheuse aurait bien pu « faire sa découverte en France sur le plan fondamental, elle n’aurait pas pu en développer les applications, notamment en agriculture en France ». Ainsi, la prof à Agro-Paris-Tech nous dit « J’ai dénombré dans l’union européenne 5 essais actuellement au champ de plantes modifiées (éditées) sur le tabac, la cameline, le mais, le colza par CRISPR-Cas en Belgique, en Espagne et au Royaume-Uni : la France brille par son absence » Cet épisode, nous donne à penser. Il illustre à quel point notre pays est en train de s’enfoncer dans l’obscurantisme et exhibe de manière flagrante la différence entre la science et l’idéologie, voici pourquoi.
Pendant que la science progresse …
En 2006, après avoir affirmé que la querelle des OGM était de nature idéologique (1), nous préconisions de remplacer le principe de précaution par le principe de cas par cas. Ce dernier développe plusieurs idées (particularité de chaque OGM, nécessité d’effectuer une comparaison ) dont une qui est ici fondamentale : la science procède toujours au « pas à pas ». En conséquence, il ne sert à rien de bloquer les innovations scientifiques par le biais d’une application absolutiste du principe de précaution, car la science se corrige en permanence. « Le facteur temps est incontournable. Alors que le principe de précaution butte sur une notion qui est la capacité de prévoir un risque a priori, le principe de cas par cas, affirme que le propre de la technologie réside dans sa capacité à se corriger. On comprend tout à fait qu’une technologie disparaisse ou qu’une technologie vienne en remplacer une autre dans le cadre d’une évolution ‘pas à pas’. De ce point de vue, elle n’exige pas, comme pourrait le faire une interprétation stricte du principe de précaution, de disposer d’une solution immédiate et infaillible dès le départ. »(2)
La découverte de Charpentier et Doudna et les applications qu’elle permet est une parfaite illustration de cette règle. Le propre de l’innovation scientifique étant de se corriger en permanence, Crispr-Cas 9 est d’autant plus importante qu’elle peut mettre théoriquement un terme à la critique idéologique des OGM.
En effet, depuis le début, une des principales raisons pour laquelle les anti-OGM refusent la transgenèse végétale (qui suppose le transfert horizontal de l’information génétique), est qu’ils sacralisent la barrière des espèces. Ils partent du principe que la technologie qui permet d’insérer un génome d’une espèce dans une autre espèce qui ne se croisent par le biais de la reproduction sexuée (on parle de transfert vertical (3) ) n’est pas naturel.
Or, l’innovation de Charpentier et Doudna apporte une solution qui résout ce problème en permettant en théorie de se passer de la transgenèse (le en théorie est important, puisqu’on peut aussi pratiquer la transgenèse), puisque désormais il est possible de modifier le vivant en ayant recours à Crispr-Cas 9 et aux NBT (Pour New Breeding Techniques (4) ). Ceci fait d’ailleurs dire à des biologistes comme Marcel Kuntz, Klauss Ammann ou Agnès Ricroch qu’il est impératif de revoir la legislation européenne sur les OGM en évaluant les risques réels d’après une méthode opérationnelle simple, « qui se concentre sur le phénotype d’une nouvelle variété au lieu de la méthode utilisée pour la générer. (…) Ce système devra évaluer les risques réels et non pas surévaluer les risques perçus des variétés qui sont tombées dans le cadre réglementaire des ‘OGM’ (5) ».
…. Les croyances subsistent
Hélas, il semble bien que certains n’aient pas encore saisi cette nuance, puisque en juillet 2018, Confédération paysanne ainsi que huit autres entités (principalement des ONG) ont saisi le conseil d’Etat en France pour que les semences issues des nouvelles techniques de sélection, techniquement appelées NBT soient considérées comme des organismes génétiquement modifiés et, à ce titre, soumises aux mêmes principes que ces derniers (6). Ce qui rend plus compliqué leur utilisation dans l’agriculture avec pour conséquence d’accroitre le retard de l’Europe. A la suite de cette action, la Cour de justice de l’Union européenne, a rendu un arrêt préjudiciel (7) dans lequel elle affirme que les « organismes obtenus par le biais de la mutagenèse étaient des OGM et qu’en tant que tels ils devaient être soumis aux mêmes principes que ces derniers ». Point que nous avons développé longuement dans un édito plus ancien.
Nous voici donc clairement en présence de deux méthodes de penser : d’un côté, nous avons la méthode scientifique dont le critère de démarcation – pour reprendre un terme cher au philosophe Karl Popper – est une perpétuelle remise en question : c’est vrai pour les sciences dures mais également pour leurs applications, qui sont sans cesse soumises à un processus d’innovation, le plus souvent guidé par le marché qui est en quête de meilleures solutions (notons de ce point de vue que les objectifs du marché sont parfaitement conciliables avec ceux de l’environnement).
De l’autre, nous avons la pensée obtuse et idéologique qui ne progresse jamais et reste enfermée éternellement dans des pseudo-certitudes, la plupart du temps totalement fausses et qui utilisent le principe de précaution pour bloquer toute avancée possible…. Le propre de cette manière de voir le monde étant qu’elle continue de penser les mêmes idées malgré la survenue de changement évident et alors que les faits, les connaissances et ici on le voit, les technologies disponibles ont évolué. Bref, son critère de démarcation est l’absence totale de remise en question en présence d’une nouvelle information, qui pourrait susciter la volonté d’appréhender le monde différemment.
Si Emmanuelle Charpentier et Jenifer Doudna méritent amplement leur prix Nobel de Chimie pour cette découverte dont les applications semblent infinies dans tous les domaines impliquant les biotechnologies, la France, elle mérite amplement son prix Nobel d’Idéologie pour la capacité unique qu’ont certains activistes de freiner, voire, de refuser toute forme de progrès scientifique et technologique…. C’est bien regrettable.
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(1) Les OGM, querelle idéologique, par Jean-Paul Oury dans Le Monde https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/05/20/les-ogm-querelle-ideologique-par-jean-paul-oury_1047107_3244.html
(2) Jean-Paul Oury, in la Querelle de OGM, PUF, p.192
(3) Précisons que, ce faisant, ils s’appuient sur une définition idéologique et biaisée, puisque le transfert horizontal existe bel et bien dans la Nature, de même que le transfert vertical.
(4) https://en.wikipedia.org/wiki/New_Breeding_Techniques
(5) Agnes E. Ricroch, Klaus Ammann, Marcel Kuntz, Editing EU legislation to fit plant genome editing, EMBO reports (2016), http://embor.embopress.org/content/early/2016/09/14/embr.201643099
(6) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32001L0018&from=FR
(7) curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=204387&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=973678
La recherche innovante s’appuie sur » la méthode scientifique dont le critère de démarcation est une perpétuelle remise en question » à l’opposé d’une pensée enfermée éternellement dans des pseudo-certitudes, la plupart du temps totalement fausses et qui utilisent le principe de précaution pour bloquer toute avancée possible » .
Tout est dit dans cet article éclairant de Jean-Paul Oury.
Oui aujourd’hui il faut revoir la réglementation européenne sur les Nbt.
C’est un enjeu majeur pour le futur de l’agriculture européenne.
Merci chère Catherine