Née en France la révolte des Gilets Jaunes est considérée par certains analystes comme l’une des premières révoltes contre les politiques fiscalistes contraignantes afin d’atteindre les objectifs climatiques. Les politiques qui ont communiqué en s’appuyant sur certains résultats scientifiques ont encore des progrès à faire pour réussir à convaincre l’opinion des bien-fondés des mesures qu’ils décident. Un challenge loin d’être gagné.
Une révolte contre les taxes pour sauver le climat ?
Dans un article intitulé « Paris is Burning Over Climate Change Taxes – Is America Next ? », l’analyste Chuck DeVore s’interroge : « Si les rues de Paris brûlent pour une taxe proposée de 25 cents le gallon sur le changement climatique, imaginez l’affrontement mondial autour d’une taxe de 49 $ le gallon[1]. » On sait que « D’ici à 2100, les Nations unies estiment qu’une taxe sur le carbone de 27 000 dollars par tonne est nécessaire, soit 240 dollars par gallon, pour limiter le réchauffement de la planète à un maximum de 1,5 degré Celsius. » D’après l’auteur, si cette taxe punitive voit le jour cela suppose que les politiques pourront l’imposer indépendamment du consentement de leurs électeurs sachant que les troubles en France ont été déclenchés par une hausse imminente de « 25 cents », ce qui représente un peu moins de 10 % de taxes en plus que les automobilistes français paient déjà.
Pour atteindre les exigences réclamées par les Nations unies, les taxes sur les carburants en France devraient être multipliées par 17. Chuck Devore en déduit que les défenseurs acharnés du changement climatique ont encore du pain sur la planche pour convaincre les électeurs des démocraties occidentales de renoncer à leur mode de vie. « Aussi une tactique souvent utilisée par ceux qui voudraient dire au reste d’entre nous comment vivre, où vivre et comment travailler – pour le bien de la planète, bien sûr – est l’étude alarmiste et l’utilisation de mensonges d’omission et de commission. » Et comme nous pouvons le constater, de plus en plus de politiques ont tendance à manipuler l’information scientifique pour séduire leur électorat et promouvoir leurs idées.
38 000 morts par an dans le monde, dont 48 000 en France
Dans ce combat pour imposer aux Gilets Jaunes les hausses de taxes sur le diesel, il était capital de communiquer sur la qualité de l’air respiré afin de sensibiliser les citoyens aux risques encourus. Aussi, il s’est trouvé que le président Macron en personne a twitté les résultats d’un rapport de l’Agence Santé Publique France : « Cette hécatombe, c’est 48 000 décès par an, c’est plus que tous les accidents de la route, tous les suicides, tous les meurtres, toutes les noyades, tous les accidents domestiques réunis. ».
Or comme l’a brillamment analysé Philippe Stoop pour European Scientist, « ce chiffrage de 48 000 morts « est la fourchette haute d’un intervalle dont la fourchette basse est de … 11 ; il « provient d’un modèle statistique purement théorique : Avec un choix méthodologique inhabituel (risque relatif choisi a priori par les auteurs, et non calculé à partir des données réelles de mortalité) et dont les auteurs ne présentent aucun élément de comparaison avec la réalité du terrain » ; ce qui « revient à attribuer à la pollution de l’air l’intégralité du différentiel d’espérance de vie connu depuis longtemps entre le Nord et le Sud de la France, expliqué habituellement par le régime alimentaire : c’est bien sûr possible, mais cela mériterait d’être argumenté (alors que ce « léger détail » n’est même pas évoqué dans le rapport de SPF) ».
Comme le remarque alors cet expert, membre de l’Académie d’agriculture « Rien de tout cela n’est vraiment rédhibitoire d’un point de vue scientifique, mais cela montre bien que ces fameux 48 000 morts ne relèvent à ce stade que d’une combinaison d’hypothèses audacieuses, qui auraient bien besoin d’être démontrées. Nous sommes ici dans le domaine de la spéculation théorique, et non dans le chiffrage d’un phénomène solidement démontré sur le terrain : une posture légitime pour des chercheurs (à condition qu’ils passent ensuite à la validation de leurs hypothèses…), mais plus surprenante pour une agence d’évaluation sanitaire, censée s’appuyer sur des méthodologies éprouvées… et validées au niveau international ! » Aussi, d’après lui, « La prudence scientifique la plus élémentaire aurait donc conseillé de ne pas publier une hypothèse aussi audacieuse, sans fournir de comparaisons avec les données de mortalité réelle par commune, et sans avoir testé sa plausibilité dans d’autres pays que la France. Mais quand une hypothèse répond si bien aux préoccupations politiques du moment, il est parfois difficile d’attendre… »
Certes, on imagine que le président a autre chose à faire que de se plonger dans la lecture d’une analyse critique de ce niveau et qu’il est plus simple de faire confiance au résultat brut donné par une agence sanitaire, mais on regrettera cependant que l’information ne soit pas présentée avec davantage de précaution, d’autant que d’autres critiques avaient déjà été formulées et cela bien avant. Ainsi en 2016, Jean De Kervasdoué dénonçait déjà le manque de consistance de ce chiffre dans le magazine Slate [2].
La France déjà bon élève de la transition énergétique injustement punie ?
L’exemple cité montre à quel point les politiques doivent être précautionneux quand ils manipulent l’information scientifique pour faire passer des lois, car ils risquent toujours d’être rattrapés par la réalité. Ainsi les Gilets Jaunes pourraient justifier leur rébellion en s’appuyant sur un sentiment d’injustice perçu au regard des efforts demandés dans le cadre de la transition énergétique. Ainsi, à la suite du PPE, le gouvernement français a décidé de consacrer pus 7 milliards d’euros par an à la restructuration de son système électrique. Ce que n’hésite pas à dénoncer le collectif Science Technologies Actions en s’appuyant sur un tableau de l’IEA qui montre que la France émet très peu de CO2 avec 0,29 milliard de tonnes, alors que la Chine en émet 9,06 et les États-Unis 4,83. Les scientifiques s’interrogent : « pourquoi restructurer ce système qui n’est responsable de moins de 1/10 des émissions françaises de CO2, avec 0,027 milliard de tonnes en 2017 sur un total de 0,29 milliard de tonnes, déjà bien modéré grâce à lui en regard de l’effort qui incombe à d’autres. Car l’argent public n’est pas renouvelable ».
Dans une analyse sur les Français et le nucléaire, que nous avons publiée dans notre série, l’Europe de l’énergie, Jean-Pierre Riou s’interroge sur un sondage commandé ; ce dernier montre la méconnaissance des Français concernant les caractéristiques de leur parc nucléaire au regard des énergies renouvelables allemandes, alors qu’un rapport affirme : « Le nucléaire a un coût marginal plus faible que le charbon, si bien que sa production peut se substituer à celle des centrales à charbon lorsqu’il reste des capacités d’interconnexion disponibles. À l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne est améliorée. » L’auteur conclut en remarquant que « Nos politiques seraient avisés de se demander pour quel objectif on avait décidé de développer des énergies renouvelables intermittentes pour équilibrer notre réseau électrique. Et comparer les promesses de l’époque à la réalité d’aujourd’hui. Car la complexité des circonstances qui déterminent l’avenir industriel de notre pays semble peu compatible avec le recours à l’opinion publique pour légitimer leurs choix. » Une question qui se pose d’autant plus que le GIEC a recommandé dans un rapport récent la construction de centrales nucléaires pour favoriser l’énergie décarbonnée.
Hélas, souvent pressés, désireux de séduire l’opinion plus que de lui faire comprendre des mécanismes complexes qui se trament derrière certaines technologies, les politiques ne sont pas toujours les meilleurs amis de l’information scientifique. Laurent Alexandre qui n’a pas sa langue dans sa poche, va même jusqu’à parler de la « nullité scientifique des politiciens » et affirme : « Notre État doit faire sa révolution et se transformer en machine à favoriser l’innovation, en créant notamment des régulations intelligentes. Son fonctionnement et ses institutions sont à revoir. Les partis politiques doivent mettre en avant des militants capables de décrypter le monde de demain pour y préparer la France. C’est un véritable « Vatican II » de l’État et de la politique qu’il faut entreprendre : nous avons besoin de plus de savants comme Cédric Villani et Olivier Véran et de moins de Yannick Jadot ! »
Un appel plein de bon sens auquel ne peut que souscrire European Scientist dont l’objectif est de faire dialoguer scientifiques, politiques et leaders d’opinion. L’enjeu est crucial. Quand on connait les conséquences désastreuses d’une décision qui se fonderait sur une mauvaise orientation scientifique, les politiques devraient appliquer avec encore davantage de zèle l’adage de Montesquieu : « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante. »
[1] Un gallon = 4,54 litre
[2] « Les calculs de Santé Publique France montrent d’ailleurs eux-mêmes le côté très relatif de ce chiffre. Selon cette agence, avec le même mode de calcul, si la France respectait les valeurs guides de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de pollution atmosphérique, il n’y aurait alors que 17 712 morts prématurées, ce chiffre descendrait à 3 094 si l’on atteignait le niveau de pollution souhaité lors du Grenelle de l’environnement et 11 si l’on appliquait la directive 2020 de l’Union européenne. Quant à l’OMS, par d’autres méthodes, elle ne trouve « que » 28 000 décès prématurés si toute la France respirait l’air pur des 5 % des communes rurales les moins polluées… Morts en grande partie hypothétiques donc. En outre, qu’il s’agisse de 48 000 ou de 28 000 morts prématurées, ces «vies sauvées» supposent qu’il n’y ait pratiquement plus d’usine, d’agriculture, de chauffage et de transport, autrement dit on respirerait bien, mais on mourrait de faim ou de froid. » Jean De Kervasdoué, in Pollution atmosphérique : 48 000 morts ? De qui se moque-t-on ? http://www.slate.fr/story/132308/pollution-atmospherique-48000-morts-qui-dit-mieux.