« Atomkraft Nein Danke ! Oder vielleicht trotzdem noch ein wenig ?» (*) ou « La triste saga de l’irréprochable nucléaire civil allemand ». Dans ce texte Gilbert Moritz expert du nucléaire nous raconte en détail les rebondissements du nucléaire allemand
Genèse puis pause de l’Atomausstieg
En 2001, les patrons des quatre grands électriciens opérant en Allemagne (E.On, RWE, EnBW et VATTENFALL), bien qu’ils aient fortement regimbé, ont été fermement incités par le Chancelier Gerhard SCHRÖDER à signer une sorte d’acte de reddition précisant les modalités d’application de l’Atomausstieg (Loi sur la Sortie du nucléaire qui venait d’être votée).
Ils pensaient pourtant que cette orientation lourde serait remise en cause en cas de changement de majorité, et justement celui–ci se profilait avec la montée en puissance de la CDU/CSU, sous l’égide de l’étoile montante, Angela MERKEL.
En 2005, Mme MERKEL est bien devenue Chancelière à l’issue des élections au Bundestag, mais elle a dû gouverner en coalition avec le SPD, parti favorable à la sortie du nucléaire.
De plus, dans l’intervalle, diverses institutions parties prenantes avaient subi l’influence des Grünen et les tractations internes à la coalition allaient rendre les débats sur le nucléaire difficiles, interminables même, avec une société allemande s’affichant contre le nucléaire à 70%, dont un bon 20% virulent et franchement hostile.
Fin 2010, un compromis fût finalement trouvé et voté au Bundestag. L’amendement n’abrogeait pas l’Atomausstieg, mais allouait une prolongation d’exploitation de 14 ans aux réacteurs les plus récents (i. e. construits après 1981) et de 7 ans aux plus anciens.
Les exploitants y gagnaient l’espoir de pouvoir ultérieurement faire abolir cette loi, car il n’était plus question d’allouer des quotas de GWh à produire par les réacteurs avant de les arrêter définitivement.
En mars 2011 survint l’accident de FUKUSHIMA, qui a conduit le pouvoir politique allemand à demander la mise à l’arrêt quasi immédiat de tous les réacteurs « anciens » (ceux construits avant 1981 et qui n’étaient pas déjà arrêtés pour maintenance ou incident), afin que soient réalisés des « stress tests », les autres réacteurs ayant pu faire leurs stress tests en fonctionnement.
L’opinion allemande, déjà très rétive au nucléaire, s’est alors fortement exprimée contre la poursuite d’exploitation des centrales nucléaires.
Mme MERKEL, ayant bien senti cette hostilité, a mis en place un Comité d’Ethique (composé de scientifiques, d’écologistes, de sociologues, de représentants d’Eglises,…), lui demandant une analyse du ressenti de la société allemande consécutivement à l’accident japonais. La conclusion, remise début juin 2011, indiquait sans ambages : « Le peuple allemand ne veut plus du nucléaire ».
La Chancelière (1), personnellement émue par l’accident de FUKUSHIMA, a donc pu faire abroger aisément l’amendement de décembre 2010, permettant ainsi de revenir au planning initial de l’Atomausstieg, signé en 2001. Ce compromis politique n’a eu aucun effet négatif sur sa popularité, bien au contraire.
Pour donner une idée du traumatisme, alors que l’économie allemande ne pouvait, du jour au lendemain, se priver sans dommages de sa production nucléaire, aucun réacteur « ancien » n’a obtenu l’autorisation de redémarrer par la suite et seuls les réacteurs « récents » ont pu poursuivre leur exploitation, sachant qu’ils seraient progressivement arrêtés définitivement, conformément à l’Atomausstieg.
Monopole médiatique de la cause des Grünen et Energiewende
Depuis 2001, quelques politiques et scientifiques allemands ont bien tenté de s’exprimer sur le non-sens qu’est l’Atomausstieg quand on souhaite mener sérieusement une politique de décarbonation de l’économie, mais ils ne pouvaient percer dans les media allemands, largement acquis à la cause des Grünen, foncièrement anti-nucléaires. L’accident de TCHERNOBYL puis celui de FUKUSHIMA ont toujours servi d’écrans repoussoirs derrière lesquels s’abritaient (et s’abritent encore) les politiques, les media et tous les antinucléaires allemands.
Depuis l’invasion de l’UKRAINE, les sanctions économiques de l’UE et les mesures de rétorsion russes, la situation a radicalement changé, principalement en termes de livraison de gaz, énergie vitale pour l’industrie et les ménages allemands.
En réaction, on a pu voir les démarches à l’international du ministre HABECK pour signer des contrats de livraison de gaz diversifiant les approvisionnements afin de se délier de la source russe.
Pour ce qui concerne l’électricité, l’Allemagne reste arc-boutée sur les principes de l’Energiewende et prend des dispositions administratives et juridiques (2) pour accélérer le déploiement des EnRs, avec plus ou moins d’efficacité pour l’instant : il y a toujours des Burgerinitiativen (manifestations citoyennes) pour s’opposer soit à des installations d’éoliennes on-shore, soit à des tracés de lignes de transport THT. A noter que le photovoltaïque domestique est en vogue et les entreprises d’installations de panneaux sur les toitures sont obligées de refuser des clients.
La production nucléaire française à la rescousse !!!
Aux citoyens allemands qui s’inquiètent de l’approvisionnement d’électricité, certains politiques et « experts » des media rétorquent que les EnRs vont être plus rapidement déployés dorénavant et que les jours sans vent ou sans soleil, on pourra compter sur l’interconnexion, car « l’Allemagne n’est pas seule en Europe ».
Sans surprise (quoique…), le débat sur la prolongation d’exploitation des trois dernières centrales nucléaires (qui devraient s’arrêter définitivement fin 2022) qui avait jusqu’ici fait peu de bruit dans le monde politique et les media, s’est enflammé. D’un côté, les partis de droite (CDU/CSU, FDP, AfD) partisans d’une prolongation a minima pour passer l’hiver (3), et de l’autre, (SPD, Grünen), partisans du strict respect de l’Atomausstieg.
A cet égard, il est intéressant de noter ce nouveau revirement de la CDU/CSU, partis qui avaient largement soutenu Mme MERKEL lors du retour à l’Atomausstieg initial, en juin 2011.
Le ministre HABECK vient de demander à ses quatre gestionnaires de réseau d’effectuer une nouvelle analyse encore plus poussée (des stress tests !) sur la sécurité d’approvisionnement de l’électricité du pays cet hiver.
Parmi les différents points clés figurent les capacités d’interconnexion et (comble d’ironie !) il est demandé de regarder particulièrement la situation de la production nucléaire française (4). En fonction du résultat de ces stress tests, BERLIN décidera de la prolongation, ou non, de l’exploitation des trois réacteurs restants (EMSLAND de RWE, ISAR 2 d’E.On et NECKARWESTHEIM 2 d’EnBW) pour aider au franchissement de l’hiver 2022-23.
Mais pour pouvoir prolonger, il faudrait :
· d’une part que ces trois réacteurs baissent dès maintenant leur production car il n’est pas, pour l’instant, prévu de recharger du combustible (qui d’ailleurs n’est pas fabriqué …) et les contrats d’approvisionnement se terminent fin décembre.
· d’autre part que l’Autorité de Sûreté valide le fait que les tranches puissent être exploitées en toute sûreté (ressources humaines, compétences … ) durant cette extension (5)
· que les trois compagnies concernées donnent leur accord et assurent juridiquement leur responsabilité d’exploitant nucléaire durant l’éventuelle période d’extension. Pour l’instant, on attend leur décision.
Mais il serait tout de même ubuesque qu’une des raisons justifiant une prolongation (très relative) d’exploitation des réacteurs allemands soit présentée comme la conséquence de la faible disponibilité (3) des réacteurs français, l’Allemagne n’ayant d’ailleurs cessé de pousser à leurs fermetures (FESSENHEIM comptant parmi ses trophées).
De plus, pour torpiller le nucléaire en Europe, l’UE, sous forte pression allemande, a accouché d’une taxonomie comportant des contraintes inacceptables pour un développement rationnel du nucléaire civil en Europe.
S’agissant d’énergie, il semble bien que, marcher sur la tête soit devenu une habitude européenne et que ceux qui s’en étonnent, voire s’en émeuvent, passent pour des hurluberlus.
- physicienne de formation et ex-ministre fédérale de l’Environnement, de la Protection de la Nature et de la Sûreté des réacteurs de 1994 à 1998
- dans le Bade-Wurtemberg, un projet d’installation d’éoliennes qui « traîne » depuis 10 ans vient d’obtenir l’autorisation de construction. Etant dans une région où le milan rouge a élu domicile, les éoliennes seront arrêtées durant la journée en période de couvaison de l’oiseau
- voire, comme le propose la CSU, de prolonger carrément l’exploitation, pour au moins un an, en renouvelant le combustible à ISAR 2 en Bavière. Un député FDP recommande également d’exploiter les tranches jusqu’en 2024 car le passage d’hiver 2023/2024 lui semble être encore plus problématique que le précédent
- actuellement pas à son meilleur niveau, suite à la conjonction de plusieurs facteurs : arrêts pour rechargement dont ceux du grand carénage en pleine pandémie de Covid, phénomène de corrosion sous contrainte sur certaines tranches, faible niveau des retenues hydrauliques du fait de la canicule
- pour aller au-delà de 2022, il aurait fallu que l’analyse sûreté ait été réalisée en 2019
.
(*) « Energie nucléaire, non merci ! Ou peut-être quand même encore un peu ? »
Image by Ralph Lindner from Pixabay