Sorti il y a quelques mois maintenant « The changing world of energy and the geopolitical challenges », le nouvel ouvrage de Samuele Furfari reste incontestablement un ouvrage de référence pour le secteur de l’énergie. Il s’agit d’un travail imposant en deux volumes de plus de 1250 pages, avec 437 figures et cartes, dans lequel l’auteur a résumé tout ce qu’il a appris pendant ses 39 années de travail dans le domaine de l’énergie. Chaque volume est fait de 12 chapitres. European Scientist a eu l’occasion d’interviewer ce professeur et fonctionnaire à la Commission européenne.
ES : Pourquoi un ouvrage si important ? A qui s’adresse cette somme ? Aux Experts ?
SF : A l’université Libre de Bruxelles, j’enseigne un cours sur «Politique et géopolitique de l’énergie». C’est donc d’abord un livre que j’utilise pour mes étudiants. Ce sont eux mes premiers lecteurs. Pour les déformater de leurs croyances accumulées au fil des commérages énergétiques je tiens à leur montrer que la politique énergétique et la géopolitique de l’énergie sont déterminées, ou à tout le moins conditionnées, par les tendances de la technologie énergétique. Mais il ne il ne s’agit pas du tout d’un « livre technique ». Tout le monde peut y avoir accès, y compris les non-spécialistes. C’est parce que la politique énergétique ne peut pas ignorer la technologie que j’ai pensé qu’il était essentiel de d’aborder la géopolitique par la réalité des faits c’est-à-dire par la technologie ; mon expérience d’enseignant me conduit à penser que cela est nécessaire à une compréhension crédible du secteur de l’énergie et de sa géopolitique.
ES: Un exemple d’impact de la technologie sur la géopolitique ?
SF : Si on ne comprends pas comment on produit le gaz de schiste on peut facilement tomber dans le piège tendu par ses opposants. Au contraire si on comprend les bases – même sans détails – on pourra comprendre pourquoi il ne peut y avoir de pollution des nappes phréatiques et pourquoi cela a changé toute la politique énergétique des U.S.A. et cela du temps – et malgré lui – du Président Obama.
Comme le titre l’indique, le monde de la technologie de l’énergie a considérablement changé ces dernières années et cela a déclenché des changements géopolitiques. J’ai donc condensé mes 39 années d’expérience dans le secteur de l’énergie en un volume de plus de 1 250 pages. J’y aborde des sujets aussi variés que les fondamentaux de la physique, le lien entre énergie et développement durable, les réserves des énergies fossiles, le Moyen-Orient, les temps modernes, «Les biocarburants, une réalité subventionnée», les villes intelligentes, et aussi «Rosatom » pour ne citer que quelques exemples. L’idée est de fournir au lecteur des repères dans un univers qui a tout de sables mouvants.
ES : C’est la technologie qui préside la géopolitique et non l’inverse, pouvez-vous nous en dire plus ?
SF : Le livre est fait de deux grandes parties. Tout d’abord « Comprendre les développements énergétiques » puis « les sables mouvants: la géopolitique de l’énergie ». Les grandes leçons que je tire sont qu’actuellement le pétrole continue de régner en maître. A côté de cela, on peut prédire que dans les 40 années qui viennent, le gaz – l’or bleu – va monter en puissance jusqu’à jouer un rôle majeur dans l’approvisionnement de l’énergie mondiale, y compris le gaz naturel comme carburant pour les transports terrestres et maritimes, secteur où il n’y a plus rien à démontrer mais à appliquer. Ce que j’essaye de démontrer, c’est que la technologie évolue et que la géopolitique s’adapte à ces changements. Beaucoup de gens pensent que les politiques entraînent des changements technologiques. Selon moi, c’est l’inverse. Ce sont les géologues et les ingénieurs, qui ont conduit, par exemple, à une nouvelle ère d’abondance des combustibles fossiles, qui a à son tour complètement remodelé la géopolitique de l’énergie. Cette thèse me sert de fil conducteur pour tout l’ouvrage et je l’illustre par de nombreuses études de cas. Par exemple comment expliquez-vous que le prix le prix du brut se soit effondré en octobre 2014 en plein conflits au Moyen-Orient ? Pourquoi le prix du baril n’a pas explosé comme c’était le cas avant? La raison en est simple, l’exploration pétrolière a fait un tel bon technologique que cela a permis le développement de nouveaux champs dans de nombreux pays, de baisser les coûts de production et d’améliorer son transport. Il a fallu en conséquence que réalisant que nous sommes dans un nouveau paradigme, l’OPEP s’adapte à cette nouvelle réalité et à baisser ses quotas de production. C’est une évidence, l’exploitation rendue possible du pétrole et du gaz de schiste grâce aux progress technologiques ont totalement modifié l’équilibre énergétique mondial en offrant de manière surprenante l’indépendance énergétique aux U.S.A. dans quelques années.
ES : Vous semblez avoir un point de vue réservé sur les énergies renouvelables.
SF : La production des énergies renouvelables est une réalité et cela continuera grâce également aux progrès technologiques dans ce domaine. Mais il faut rester modeste. Lorsque en 1987 a été publié le Rapport Brundtland sur le développement durable les énergies fossiles représentaient 81 % de la demande d’énergie mondiale. Aujourd’hui les énergies fossiles représentent encore 81% et le dernier rapport de l’Agence Internationale de l’Energie prévoit que ce sera encore 81% en 2040. La différence est que puisque la valeur absolue de la demande en énergie augmente, la production d’énergies renouvelables augmente également. Mais cela ne remplacera pas les énergies fossiles encore avant longtemps. Les énergies renouvelables sont en croissance et elle comblent une partie de la croissance de la demande totale de l’énergie. Et puis il faut aussi ne pas cacher la vérité: ces énergies renouvelables se déploient parce qu’il y a des « mandats » et des financements publics. Il existe des progrès indéniables dans le domaine des énergies renouvelables, mais, il ne faudrait pas que cet engouement cache le fait que les autres technologies énergétiques dans les domaines moins populaires continuent de se développer et donc à maintenir voire accroître le différentiel de cout entre les énergies.
ES: Êtes vous autant réservé sur l’efficacité énergétique ?
Peu de gens le savent mais ce concept remonte à 1924 lorsqu’on a eu peur pour la première fois de « la fin du pétrole ». Depuis sous différent noms l’efficacité énergétique n’a cessé de prendre de l’importance. Ma thèse sur l’efficacité énergétique est que, bien qu’elle semble couler de source et qu’elle est très justement encouragé politiquement, cela ne suffira pas à éliminer le recours aux combustibles fossiles dans de nombreuses parties du monde. Nos économies d’énergie bien venues en Europe ne vont pas combler la demande d’énergie en Afrique.
ES Le public Européen n’est pas suffisamment informé selon vous.
SF : Oui. Comme toujours dans la représentation du publique et des médias il y a beaucoup d’imagination et on préfère croire les choses sympathiques plutôt que la dure réalité. Si on prend le cas du charbon, par exemple, celui-ci va continuer à jouer un grand rôle au niveau mondial dans les années qui viennent. Or le public Européen est à 1 000 lieux de cette réalité. Pourquoi ? Certaines ONG se sont chargées de sa mauvaise réputation. Pourtant, grâce aux nouvelles technologies, le charbon propre est une énergie disponible, la moins chère pour générer l’électricité, en grande quantité, sans enjeux géopolitiques. C’est pourquoi ce que j’appelle « l’inévitable charbon » fournit 41% de l’électricité mondiale loin devant le gaz naturel qui en produit la moitié du charbon. Il en va de même pour le nucléaire. Il serait regrettable qu’à cause du règne sans partage des ONG anti-nucléaire, cette énergie ne se retrouve que dans les mains de la Russie, de la Chine, de la Corée ou du Japon qui eux n’ont ni abandonnée le charbon ni le nucléaire
ES Pour vous le passé détermine l’avenir ?
SF : Selon moi le contexte historique est essentiel. Sans compréhension du passé il est impossible de saisir l’avenir. Ainsi les crises énergétiques des années 1970 déterminent fortement ce qui s’est passé aujourd’hui. L’histoire de l’industrie pétrolière est la plus importante et la plus essentielle pour comprendre comment la politique énergétique mondiale et européenne s’est développée de la Première Guerre mondiale à aujourd’hui.
ES Votre livre n’oublie personne ?
SF : J’ai fait des chapitres exhaustifs afin de décrire la politique de la transition énergétique de l’UE, mais aussi sur la Russie qui est un « partenaire énergétique historique », la Turquie et l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. J’ai écrit également un sous-chapitre sur l’Arabie Saoudite – « le géant pétrolier » – et l’Iran – « le géant gazier » – par exemple. Le Canada, l’Australie, le Mexique, le Brésil, , la Chine, Taïwan, le Japon, la Corée du Sud, l’Afrique et, bien entendu, les États-Unis ont également leur propre analyse ; même Trinité-et-Tobago car c’est un beau cas d’étude pour mesurer l’échec du Venezuela.
ES « Sauver la planète » est-il inconciliable avec l’économie de marché comme vous le prétendez ?
C’est une grosse erreur que certain ont tendance à commettre. Il est impératif de libérer le marché. Alors qu’il était jadis contrôlé par des compagnies pétrolières, il est désormais entre les mains de décideurs politiques et des entreprises électriques qui ont des intérêts particuliers. Et que dire des subventions qui ont un impact catastrophique sur l’efficacité énergétique ! Je démontre avec plusieurs cas concrets en Europe et dans le monde que plus on subventionne l’énergie plus on la gaspille et donc plus on pollue. Il faut faire davantage confiance au marché notamment pour ce qui concerne les justes prix. Ce n’est pas parce que l’on a dit cela qu’on est contre la législation en particulier en matière de protection de la pollution atmosphérique. Les idéologues qui veulent faire passer la planète avant l’humanité se trompent ; l’histoire montre que c’est le progrès technologique qui favorise la consommation d’énergie, qui elle créée de la qualité de vie et qui induit la protection de l’environnement. Paradoxalement, là où on consomme beaucoup d’énergie on pollue moins; il suffit de comparer New-York et Calcutta… J’espère que mon livre contribuera à ouvrir les esprits à ces sujets passionnants.
A propos de Samuele Furfari
Samuele Furfari est docteur en sciences appliquées et ingénieur chimiste de l’Université libre de Bruxelles. Il s’est consacré sa vie durant sur les questions énergétiques et plus spécifiquement sur la politique énergétique. Il est haut fonctionnaire européen à la Commission européenne où il a travaillé pendant 35 ans dans ce domaine. Il enseigne également depuis 15 ans la géopolitique de l’énergie à l’Université libre de Bruxelles. Il a publié neuf autres ouvrages, dont certains ont été traduits en espagnol et en portugais.
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