En cette période de mutations maléfiques, une phalange supplémentaire est venue aux sciences et techniques des grands systèmes électriques, mais cette adaptation opportuniste n’est guère à redouter, bien au contraire. En effet, en cherchant à figurer le devenir du mix national en 2050 (1), on viendrait de montrer, qu’une volonté politique inflexible parvient à tordre les lois physiques de la discipline, et à bousculer les tabous les mieux ancrés.
Yes we can !…Vraiment ?
Est récemment parue une étude RTE-AIE (2), au titre alambiqué, qui conclut que, tout étant plus ou moins bien pesé, faire couvrir la plus grande partie de nos besoins en électricité en 2050, par des énergies renouvelables, ne serait peut-être pas impossible….
« Enfin nous y sommes : » diront pourtant les tenants des éoliennes et des panneaux PV et, gommant tous les considérants de l’étude, de ne retenir que ce qu’ils voient déjà comme une rupture définitive avec les vieux dogmes, que de hardis politiques ont osé interroger.
Certes, à l’impossible nul n’est tenu, mais tout redevient possible si on donne une nouvelle acception à l’impossible : c’est de la casuistique (3), mais « ça marche ! »
Par exemple, on peut afficher possible une option pour laquelle, dans l’état actuel des connaissances et des technologies, même en les évaluant de manière prospective et hors toute considération de VA sociétale et de « soutenabilité » économique, tout indique qu’elle ne l’est pas !!
Il suffit pour cela que le politique déclare la voie ouverte, même si aucun audacieux alpiniste ne l’a encore frayée.
Un nouvel avatar du « en même temps »
Lorsqu’une commandite d’Etat impose un résultat ad hoc à des organismes ayant pignon sur rue, et même sur grande rue (AIE, RTE), ceux-ci, pour aboutir à des conclusions conformes aux objectifs assignés, leur aura étant en jeu, sont contraints d’empiler les conditionnels, au point de discréditer totalement l’approche.
Mais c’est sans compter avec la magie des « si », bien s’il s’agisse de « si majeurs »,
laquelle est toujours capable de laisser entrevoir ou espérer de la lumière, même au travers d’une multiplication d’écrans opaques.
Il y a effectivement une différence entre déclarer l’impossibilité et dire qu’on n’a pas su démontrer que c’était impossible, même en empilant vertigineusement les conditionnels, et c’est évidemment cette « seconde manière » qui a été exclusivement retenue pour le mode de communication de l’Exécutif commanditaire.
Pas impossible, c’est donc possible et si c’est possible, un tabou tombe, c’est même une « révolution copernicienne » n’a pas hésité à lancer notre Ministre de la Transition.
Le Figaro Entreprises, le traduit à sa manière : « En 2050, la France pourrait se passer de nucléaire », alors oui, notre ministre, viscéralement anti-nucléaire, a bien raison de jubiler, même si tout ce montage relève largement de la fabrication.
A cet égard, et comme dit déjà, on doit s’interroger sur l’inféodation au politique d’organismes, comme RTE dont le rôle est d’inventorier le champ des possibles pour le système électrique du pays, et d’identifier en son sein celui du souhaitable. Que les gouvernements optent alors pour telle ou telle solution en fonction de leur options politique (ou plutôt de leur stratégie électorale), ce choix leur revient, mais pas celui d’afficher pouvoir contraindre le réel !
Trahison sur commande
Lorsque JB Lévy, le PDG d’EDF a déclaré en 2019 qu’il lui paraissait difficile d’atteindre la neutralité carbone en 2050, sans avoir fait basculer, autant que faire se peut, des usages carbonés vers l’électricité, et que dans ce contexte, le nucléaire avait toute sa place et qu’il fallait d’ores et déjà se préparer à lancer de nouveaux chantiers EPR,….. il s’est vu opposer un désaveu cinglant (4) par la Ministre de la Transition alors en charge, E. Borne.
En gros, « ce n’est pas à EDF de faire la politique énergétique de la Nation » et plutôt que de faire de la nucléaro-manie, ses limiers devraient se pencher plus avant sur l’étude d’un schéma électrique 100% EnR, afin qu’EDF participe à cette grande mutation !
Apparemment, ce coup de menton a suivi la commandite d’une étude destinée à montrer que cette option, parmi d’autres, mais au même rang, devait être considérée.
En 2015, une étude technique de l’ADEME, complétée en 2018 par son volet économique (5) avait déjà traité ce cas d’école emblématique du 100% EnR, mais ses résultats avaient été fortement contestés, par le contexte qu’ils impliquaient (volume et structure de la consommation), pour des raisons techniques cardinales , (pilotabilité et stabilité des réseaux,…), et enfin, parce qu’aucun cheminement crédible n’existait pour une « transition », entre la situation existante et cet îlot de « vertitude ».
Cette fois, c’est au couple RTE-AIE que la nouvelle demande a été adressée avec, à n’en pas douter, un résultat imposé, charge à ces organismes de l’habiller des attendus nécessaires, sans pour autant le désavouer…Un cheminement sur une ligne de crête on s’en doute, certains diront même, toujours, filant la métaphore alpine, que dans l’ascension hivernale de cette face nord, la cordée a dévissé…mais c’est pourtant le résultat d’une « première » qui a été affiché, repris et commenté.
Quelques arcanes de la magie
Vouloir faire reposer un système électrique sur une part léonine de productions aléatoires est effectivement une gageure, mais mettre l’imagination au pied du mur est, dit-on, le meilleur moyen de la stimuler.
Pourtant, cette créativité ne doit pas faire fi des fondamentaux, ni devoir s’appuyer sur des techniques ou schémas surréalistes pour les honorer.
Ainsi, l’inertie d’un système électrique est fondamentale pour sa stabilité, les éoliennes et les panneaux PV ne pouvant y contribuer (ne vibrant pas en phase avec le réseau), il faudra la reconstituer artificiellement et cette tâche clé promet d’être ardue.
La réalisation à tout instant de l’équilibre « production-consommation » est un des autres cardinaux et sans moyens pilotables (hors hydraulique, définitivement limitée à ce qu’elle est), c’est à un stockage-déstockage massif et dynamique (en temps contraint) qu’il faudra recourir, or aucune technique (sauf les STEPs, mais en France, on a fait le plein des sites socialement acceptables…) n’est actuellement économiquement mature, aucun break technologique n’est en vue, la physique étant têtue.
Les indispensables moyens de pointe pilotables pour compléter la donne renouvelable devront être aussi « carbon-free » (dans un monde réel, c’est le gaz qui aurait ce rôle), aussi imagine-t-on des centrales à gaz renouvelable, voire le recours à l’hydrogène (directement ou via des Piles à Combustible), sans inventorier vraiment les questions ainsi posées.
La multiplication des sources EnR (les facteurs à considérer sont énormes) implique de pouvoir les relier au schéma national par une foultitude de connexions, transformant radicalement la logique du système et entrainant des investissements conséquents. Par ailleurs, quid de l’acceptabilité sociétale des équipements envahissants et de leurs tentaculaires liaisons ?
Ce n’est rien moins que la logique d’une production s’adaptant à la demande qu’il faudrait inverser avec, on s’en doute, des adaptations ardues, même si les évolutions ne se feraient pas en un jour.
Enfin, l’hypothèse de frugalité est sous jacente à toutes les dimensions précédentes, antinomique avec une décarbonation des activités qui privilégierait le vecteur électrique.
Retour sur terre
Une évaluation des conséquences économiques globales d’un tel schéma reste à mener et elle est programmée dans les prochains mois (sans doute pas avant mai 2022), mais comment mesurer le poids de technologies et de dispositions qui n’existent pas à ce jour, ou qui n’ont jamais été testées à grande échelle.
Par ailleurs les bouleversements socio-économiques qu’implique un tel schéma sont à mettre en regard des bénéfices qui seraient affichés, hors ceux, altruistes d’œuvrer pour le bien de la planète. Un point clé qui, toutes implications considérées, reste à démontrer dans l’absolu et, a fortiori, par comparaison à d’autres solutions qui aménageraient pragmatiquement l’existant.
Au final, on doit s’interroger sur la pertinence de faire réaliser de telles projections, largement idéologiques au risque de fragiliser un champ technique pourtant vital pour la nation et sur lequel tout raisonnement resterait durablement biaisé par cette perspective chimérique du tout renouvelable. Comment seraient accueillis de nouveau chantiers EPR, qui se révèleront vite indispensables, sauf à s’adonner définitivement au gaz, quand ils seront regardés comme illégitimes en référence à cette étude éthérée ?
(1) Conditions et pré-requis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050.
(2) RTE : Réseau de Transport de l’Electricité (THT), AIE : Agence Internationale de l’Energie affiliée à l’OCDE
(3) Citation du Grand Robert : « …nous avons aperçu dans la casuistique des scribes, des moyens détournés pour se débarrasser des préceptes… » Daniel Rops : « le Peuple de le Bible ».
(4) France-Inter, Questions politiques : émission du 10/11/ 2019, invitée : Elisabeth Borne
(5) Mix électrique 100% EnR en 2050 : Etudes ADEME (2015 aspects techniques), (2018 aspects économiques).
Image par enriquelopezgarre de Pixabay
Ce scénario ne prend pas du tout en compte l’opposition croissante et incessante de la populations aux lignes électriques, qu’elles soient aériennes ou souterraine, à haute tension ou pas, de même que l’opposition aux éoliennes.
Quant au photovoltaique, quel espace de surface agricole restera t-il quand la puissance effective des centrales nucléaire sera remplacée par ces ENR ?
La menace d’impotence du système électrique, liée à la pénétration croissante et non coordonnée des énergies renouvelables intermittentes et insoumises (EnRii) commence à se faire sentir en Europe ; l’Allemagne l’a bien compris. Sa stratégie précautionneuse est manifeste lorsqu’on considère la conservation de marges de production extravagantes, au regard de ses besoins. Ainsi pour couvrir une puissance de pointe historique de 84 GW, elle conserve plus de 220 GW dont environ 100 GW de moyens de production conventionnelle (charbon/lignite, gaz et fuel-oil) pilotable qu’elle sait nécessaire pour pallier, au pied levé, l’extinction totale des 116 GW d’EnRi déjà construit à la fin 2020 ; cette probabilité non nulle est retenue par ses trois gestionnaires de réseaux. Sur ce point, le contraste avec la France est saisissant.
Grâce à la clairvoyance de nos dirigeants, qui ont décidé et poursuivi le développement du nucléaire dans les années 1970 – 1980, la France peut se satisfaire de moins de 135 GW (dont 61,4 GW nucléaire (après le sabotage de 1800 MW à Fessenheim), près de 26 GW de capacités hydroélectriques et autant de renouvelable non conventionnel ; le reste étant pour l’essentiel d’origine hydrocarboné (gaz, charbon et cogénération vapeur-électricité) pour couvrir une pointe de 90 GW en janvier 2021 et, on l’espère, la pointe historique de 102 GW atteinte en Février 2012.
Personne ne peut ignorer l’appel pressant du GIEC et du HCC à la réduction rapide de nos émissions de GES. Aucun ne peut donc se satisfaire des justifications dilatoires de l’arrêt contreproductif du nucléaire à tous égards (sanitaires, financiers, opérationnels…). Sauf à être sourd et aveugle, comment alors comprendre la politique de « Gribouille » poursuivie par la France, à travers la PPE et la LTECV qui prônent, « en même temps », la réduction des émissions de GES et la production la plus efficace pour ce faire ? Comment suivre la politique d’un ministère de la transition dont la préoccupation obsédante est l’éradication rapide du meilleur atout industriel, historique et futuriste de mise en œuvre de la stratégie nationale bas carbone ?
Après avoir déjà engagé plus de 130 milliards d’euros pour décarboner un secteur électrique exemplaire, non carboné à 95% et économique, fiable et durable et qui permet aux français de bénéficier d’une fourniture d’électricité de qualité et relativement peu chère ; les français ignorent que le tarif d’électricité a baissé en monnaie courante pendant plus de vingt ans et qu’il reste le plus faible en comparaison de ceux de leurs voisins (-70% par rapport aux allemands). Et comme le coupe n’est pas pleine, nos dirigeants veulent multiplier par quatre nos capacités actuelles, pour atteindre 100 GW au plus tôt (2030) afin de tenter de pallier l’éradication arbitraire de 12 nouvelles unités entre 2028 et 2035.
Fascinée par l’Allemagne, dont la population est effrayée par LA catastrophe promise par les « Grünen » depuis un demi-siècle, la France court derrière, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. Notre voisin a certes des vertus dont nous pourrions nous inspirer ; mais est-ce bien le cas pour ce qui concerne la stratégie bas carbone ?
Forte de sa martingale financiaro-industrielle, l’Allemagne a engagé 500 Mds d’euros dans son Energiewende. Vingt ans plus tard, elle a réussi à ramener ses émissions à quelque 400 g de CO2éq/kWh et à se priver des trois quarts de sa production nucléaire originaire.
Faible de ses déficits financiers cumulatifs, la France n’a pas voulu rester à la traîne du « mouvement de l’histoire » ; elle a déjà mis sur la table quelque 130 Mds d’euros. Dédaigneuse des excellentes performances du secteur électrique français (moins de 50 g de CO2éq/kWh), notre pays a cédé à ses « Verts », à leurs alliés allemands et à l’UE (cf la taxonomie « verte » inclusive du gaz, malgré 480 g de CO2éq/kWh, mais exclusive du nucléaire (6 g de CO2éq/kWh, en France), en fermant Fessenheim. Ce faisant, nous sommes privés de 1800 MW d’énergie productible non carbonée (12 TWh en 2018 et en 2019).
Non content de retourner nos poches « profondes » et bien que condamné pour inaction envers le climat, notre Etat s’engage au clairon dans une amputation d’une part significative du meilleur moyen de satisfaire à la fois les nécessités climatiques et financières, sans altérer la qualité de notre fourniture électrique et sans accroître la prédation galopante de nos territoires.
La ministre de la Transition se réjouit que le rapport RTE-AIE projette la faisabilité d’un « mix électrique 100% renouvelable » à l’horizon 2050. Elle oublie un peu vite les conditions de réalisation de ce scénario extrême parmi huit, qui restent à caractériser et à chiffrer dans toutes leurs dimensions. Par respect obséquieux pour la PPE, aucun scénario ne prend en compte l’actuel mix électrique. Un tel « oubli » aurait un sens si l’on affrontait une crise singulière et brutale au point que le système électrique actuel serait devenu obsolète. Ca n’est pas le cas ; c’est même exactement l’inverse : les performances du système électrique français et leur comparaison avec celles des pays développés montrent que notre système est l’un des mieux adaptés au contexte présent et à son futur à l’horizon 2050 ; après celui de la Norvège qui bénéficie d’une hydroélectricité exceptionnelle (95%). S’il est dans l’ordre des choses que nos gouvernants et nos élus exercent des choix limbés de considérations diverses, d’intérêts électoralistes à court terme à l’intérêt général, il est contraire à la déontologie de l’expert d’écarter a priori toute hypothèse de réflexion et d’étude.
Le secteur électrique français (25% de l’énergie produite en France) s’avère parfaitement adapté aux nécessités de réduction des émissions de GES (7% des émissions totales de C02) ; de surcroît avec une économie de moyens (le coût complet de production nucléaire incluant tous les coûts, y compris ceux de démantèlement et de gestion des déchets et un retour sur investissement, tel que défini par la Cour des Comptes, reste de l’ordre de 50 euros par MWh ; c’est à dire bien inférieur à ceux des EnR à la mode, pourtant non chargés des coûts des externalités négatives qu’ils induisent ), attestée par un tarif très compétitif au regard de celui de tous ses voisins. Pourquoi alors ne pas introduire le scénario prenant en compte le parc nucléaire actuel, au potentiel de prolongation multi-décennal (60 ans, voire plus) ? Pour ceux qui en douterait, rappelons que près de 90 installations américaines, aînées de nos unités PWR, ont été autorisées par la NRC (l’équivalent US de l’ASN) à fonctionner jusqu’à 60 ans ; âge à partir duquel une nouvelle évaluation sera effectuée. Les plus anciennes unités ont même déjà reçu le feu vert pour fonctionner jusqu’à 80 ans avant une nouvelle évaluation.
S’il est loisible d’envisager un mix qui intègre une part significative d’EnR (30-40%) dans notre mix électrique, vouloir porter cette part à 100%, en l’état actuel de l’industrie, relève de la magie. En effet, la production fantasque de ces nouveaux moyens impose le soutien d’un socle solide, indispensable pour compenser les perturbations qu’ils induisent et continuer de satisfaire en permanence nos besoins industriels et domestiques. Seules les productions nucléaire et hydroélectrique apportent cette garantie tout en respectant le climat et nos finances. Poursuivre la réduction du nucléaire au point de devoir asservir la consommation à une production soumise aux aléas éoliens et solaires ne peut satisfaire que les décroissants qui applaudissent au scénario de réduction de notre fourniture électrique, quelles qu’en soient l’origine et les conséquences délétères.
Au-delà d’une recherche d’amélioration continue de l’efficacité énergétique, cette politique est d’autant plus absurde qu’une baisse significative des émissions de GES en France, tous secteurs confondus, passe impérativement par l’électrification de nos mobilités et du chauffage immobilier, de l’industrie et des services ; sauf à fermer la courte parenthèse, guère plus que séculaire, d’un mode de vie insoucieux des aléas météorologiques pour s’approvisionner et se nourrir, se déplacer et se distraire.