Luc Ferry sur l’économie circulaire : …La croissance peut être non polluante, voire dépolluante, pourvu qu’on conçoive en amont de la production industrielle la possibilité non seulement d’un désassemblage des produits permettant un recyclage complet, mais utilisant en plus des ingrédients favorables à l’environnement. Les produits industriels devraient être désormais conçus pour aller du « berceau au berceau » et non plus du « berceau au tombeau ». C’est cette alternative à la décroissance que William Mc Donough et Michael Braungart, un architecte américain et un chimiste allemand, présentent de manière argumentée et forte dans leur livre Cradle to Cradle (« du berceau au berceau »), créer et recycler à l’infini (Gallimard 2012) […] Il ne faut donc pas s’arrêter de faire des enfants, encore moins de soigner les vieux, afin de réduire la population mondiale pour « sauver la planète », ni renoncer à la technique et à l’innovation ou à la croissance et à la consommation, pourvu qu’au lieu de chercher à être moins mauvais on s’efforce « tout simplement » d’être bons, voire excellents dans la production et dans l’utilisation des ingrédients…
Trois options face au problème énergétique
C’est là une affirmation implicite de plus que tout problème de création, de transformation ou de destruction matérielles se ramène à un problème énergétique, que le vivant y soit ou non pour quelque chose. Dès lors, comme tout phénomène de l’Univers, celui de la métamorphose permanente d’un genre humain pour le moins singulier ne peut subsister qu’en trouvant constamment le moyen de fournir à sa sophistication technique et démographique toujours plus énergivore les KWh qu’elle réclame. Or, pour y procéder, l’espèce ne disposera encore longtemps que des trois options suivantes : taper indéfiniment dans le stock alimentaire du matériau terrestre ; recycler non moins indéfiniment, après usage, l’essentiel des composants de toute nature de ce stock ; tirer le meilleur profit de la conversion directe de la matière en énergie.
Sans surprise, ces trois procédés de perpétuation de ladite métamorphose ne sont en fait que des modes de consommation énergétique, le premier pour sustenter une vaste communauté planétaire, en inondant les biotopes terrestres de déchets tendant à les stériliser, le second pour mettre en mouvement une possible économie circulaire, le troisième pour exploiter de façon combinée le gisement énergétique de la conversion ci-dessus mentionnée et les gisements de ressources naturelles estimés les plus inépuisables à l’échelle des règnes animal et végétal.
Le cas de la production d’eau douce
Le dernier procédé est manifestement le plus garant de pérennité énergético biologique. La production d’eau douce par dessalement de l’eau de mer en fournit le meilleur exemple, à laquelle une part croissante de la communauté planétaire va devoir immanquablement recourir à plus ou moins court terme. Ce qui suit dit pourquoi l’énergie nucléaire que les Russes qualifièrent autrefois de fondamentale est seule à même de déconstruire rationnellement – c’est-à-dire durablement et à moindre frais – l’assemblage élémentaire non moins fondamental dont il est ici question.
Selon la banque mondiale et les Comités sur les Ressources Naturelles afférents, en 1997, 80 pays représentant environ 40% de la population mondiale étaient en situation de pénurie d’eau (zone rouge de la figure ci-après).
À l’évidence, les ressources planétaires en eau sont non seulement rares, mais inégalement reparties et surtout très fragiles. Ainsi que l’illustre la figure suivante, outre la démographie et la dynamique des populations, ces ressources et les écosystèmes les renouvelant sont aujourd’hui gravement menacés par de multiples agressions : surexploitation et pollution, instabilité climatique, usage et aménagement arbitraires des territoires…
À titre d’exemple, les ressources renouvelables d’eau douce de l’Afrique étaient d’environ 15000 m3/habitant/an en 1960. En 2025, elles ne seront plus que de 2000 m3/habitant/an.
En tout cas, une conséquence directe de la pénurie et de la détérioration de la qualité de l’eau potable, à travers le monde, est qu’aujourd’hui environ 3,3 milliards de personnes en tombent malades et 2 millions en meurent, chaque année.
Le nucléaire pour dessaler l’eau
Actuellement, les capacités de dessalement nucléaire de l’eau de mer sont relativement faibles : < 2000 m3/jour. Le pionnier en la matière, fut le réacteur à neutrons rapides d’Aktau au Kazakhstan, le BN350 semblable à feu notre Superphénix, utilisé pour la production d’électricité de 1973 à 1999.
C’est de l’exploitation de ce réacteur qu’ont été tirées les informations R et D parmi les plus précieuses, en matière de perfectionnement et d’industrialisation des procédés MED de distillation à effets multiples et MSF dit MultiStage Flash, de même qu’en matière d’architectures de couplage de ces procédés.
Reste que, avant Fukushima, le Japon exploitait 11 réacteurs nucléaires REP semblables aux nôtres, couplés aux procédés MED, MSF et même aux procédés d’osmose inverse dits RO, sans qu’aucun problème technique ou de sûreté lié à ces configurations n’eut jamais à être signalé, pour une production d’eau douce comprise entre 1000 et 2000 m3/jour.
De son côté, l’Inde est réputée avoir procédé au couplage d’un système hybride (MSF-RO) à la centrale de Kalpakkam, dans le Tamil Nadu, pour produire 6300 m3/jour, avec 2 fois 170 MWe.
Avec un programme de dessalement nucléaire basé sur le développement propre de réacteurs dédiés dérivés du projet français Thermos, produisant de la chaleur et couplé au procédé MED, la Chine n’est bien entendu pas en reste. Son réacteur d’une puissance de 5 MWth est opérationnel depuis 1989, un autre du même type produisant 3500 m3/jour est prévu sur le site de Shandong.
Enfin, une étude technico-économique indépendante, lancée en 1990 par le Metropolitan Water District (MWD) et le Département d’Energie (DOE) américains, a pour la première fois montré que, dans le contexte national, le dessalement nucléaire est plus compétitif que le dessalement par énergies fossiles. L’étude s’est appuyée sur l’observation de l’exploitation de 4 tranches de 350 MWth fonctionnant en cogénération et couplées au procédé MED, délivrant à la fois une puissance de 466 MWe et 401000 m3 par jour d’eau dessalée.
Plus généralement, on sait aujourd’hui que le coût du dessalement nucléaire par le procédé MED est inférieur de 10 à 80 % à celui de l’option conventionnelle la plus économique, le procédé MSF en centrale à charbon à lit fluidisé circulant, selon que l’on procède ou non à l’internalisation des coûts externes…
Hélas, alors que le succès d’une économie circulaire ne peut qu’être proportionnel à l’énergie consommée pour conserver au mieux et aux meilleurs prix l’inventaire naturel de la planète, les sectateurs brandissant le sinople du frugalisme en toutes occasions et manipulant depuis trop longtemps les centres décisionnels de l’UE et de ses pays membres n’ont rien trouvé de mieux qu’arracher à la politique énergétique commune de faire de la sobriété énergétique volontaire l’une de ses finalités primordiales.
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